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tome 1, Chapitre 48 tome 1, Chapitre 48

La silhouette flasque de Valronn. Voilà ce que Cynred voyait derrière ses paupières quand il fermait les yeux. Depuis combiend e temps était-il mort ? Peut-être les arcanistes parviendraient-ils à le déterminer. Mallkyn avait dû arriver avec le corps au bastion du Sigile de Souviance, avec les cristaux et Sélyna. Cynred ne pouvait s’empêcher ce qui avait mené la jeune fille à cet état de folie, comme si le mensonge de son père pour la sauver était devenu réalité. Il posa les yeux sur Sirian, à ses côtés. Silencieux et pâle, il fixait le brasero de ses yeux exorbités. Les souvenirs de ce qui s’était passé à la chapelle ne devaient pas le laisser en paix, comme lui d’ailleurs.

Mallkyn et Cailéan avaient posé un regard stupéfait sur le corps à leur pied. Puis la Haute Inquisitrice s’était tournée vers sa pupille : un coup d’œil sur ses mains tremblantes, son mutisme, son regard perdu et son visage pâle avait suffi à la convaincre qu’il devait s’éloigner d’ici. Ils étaient donc partis les premiers, avec Isobel et deux gardes, au petit matin, après une nuit éprouvante.

Pendant tout le trajet, les images et les mots ne cessèrent de tourbillonner dans l’esprit de Cynred : les paroles prononcées par Fleurdys, le corps-marionnette de Valronn, son regard… Sirian n’avait pas ouvert la bouche depuis que la marionnette s’était effondrée ; il n’avait rien mangé, avait à peine dormi, n’avait répondu à aucune des sollicitations d’Isobel ni à aucune des siennes ou de Mallkyn. Au petit matin, il s’était préparé et s’était installé à cheval avec des gestes mécaniques, le regard vide. La Haute Inquisitrice avait essayé de lui parler, mais il n’avait pas réagi.

— Nous prendrons soin de lui, lui avait dit Isobel.

Mais Cynred avait bien vu qu’elle était de plus en plus inquiète. Le voyage s’était déroulé en silence : ils ne s’étaient arrêtés au relais que pour une pause et pour échanger leurs chevaux avec des Marcheurs du Roc.

Lorsqu’ils étaient arrivés au palais, Cynred était épuisé, mais soulagé : il était rentré chez lui ; ils allaient pouvoir se reposer et peut-être comprendre ce qui arrivait à Sirian. Celui-ci avait suivi Cynred jusqu’au bureau des Gouverneurs, tel un automate. Isobel n’avait cessé de lui jeter des coups d’œil inquiets.

— Je dois aller faire mon rapport à Dame Floraidh, dit-elle d’un ton hésitant.

Cynred lui serra l’épaule et déposa un baiser sur sa tempe.

— Ne t’inquiète pas, je veille sur lui.

Elle lui sourit, l’embrassa, puis quitta la pièce. Cynred s’affala dans l’un des fauteuils près du brasero. Sirian était déjà installé, le regard perdu dans les braises. Sa main posée sur l’accoudoir tremblait légèrement. Le jeune homme se concentra sur sa mélodie : elle était lente, sourde et répétitive, comme si son esprit était englué, loin de son dynamisme habituel. Et puis derrière elle, lointaine, il sentait une autre musique. Il fronça les sourcils.

— Sirian, fit-il avec douceur.

Le sigilite cligna des yeux, mais ne sembla pas l’avoir entendu. Une légère caresse mentale effleura son esprit. Il y sentait une question. Son cœur se serra. Les retrouvailles avec son père semblaient l’avoir plongé dans un profond choc. Certes c’était assez horrible, mais cela justifiait-il une telle réaction ? A moins que … Il jura intérieurement pour ne pas y avoir pensé plus tôt.

— Sirian, recommença-t-il d’une voix plus ferme.

Toujours pas de réaction. Mais les tremblements s’étaient transformés en frissons. Il attrapa son bras et essaya quelque chose qu’il avait imaginé, mais jamais tenté. Prudemment, il refléta sa propre mélodie dans l’esprit du jeune homme, pour signaler sa présence. Il le fit délicatement, doucement, n’ayant aucune idée des dégâts qu’il pouvait faire. L’esprit frissonna, la mélodie s’agita et avant qu’il ne comprenne ce qui lui arrivait, Cynred se sentit repoussé. Il lâcha prise et se prit la tête entre les mains.

— Bon sang ! grogna-t-il, alors que des éclairs de douleur traversaient son cerveau.

Cela eut au moins le mérite de faire réagir le sigilite. Sirian posa sur lui un regard effaré.

— Que … ? fit-il, perdu. C’est moi qui …

— Ce n’est rien, le rassura Cynred. Je l’ai cherché. Tu as une sacrée force !

Le sigilite soupira et se frotta les yeux.

— Je n’ai jamais fait ça. Je suis désolé.

— Eh ! Pas de souci. Je voulais te secouer et ça a marché. Tu commençais à m’inquiéter.

Sirian eut l’air surpris. Puis il eut un long frisson et resserra ses bras autour de sa poitrine.

— Étais-tu dans sa tête à la fin, quand … ? risqua Cynred.

Sirian lui jeta un coup d’œil puis soupira.

— Oui. Pas une très bonne idée.

Son interlocuteur eut un petit rire railleur.

— Tu crois ?

— C’était plus fort que moi. Je voulais qu’il sente ma souffrance. Mais son esprit était si chaotique et étrange, comme s’il n’était plus humain. Je crois qu’il y avait aussi des vestiges de l’esprit de Valronn, qui hurlaient de souffrance. C’était un maëlstrom et il m’a emporté ; j’ai même cru qu’il allait m’entrainer avec lui quand il s’est retiré du corps. Je n’ai jamais senti cela : d’habitude j’effleure à peine les esprits, captant quelques pensées ; il est très rare que j’aille très profondément. Mais là il m’a agrippé et j’ai cru que j’allais … disparaitre.

Sirian parlait, les yeux plongés dans les braises, comme si les mots se bousculaient pour quitter sa poitrine. Ses frissons s’intensifiaient et sa voix devenait rauque. Mais Cynred se contenta de l’écouter

— Le retrouver après toutes ces années ... Il est censé être mort, mais il était là dans ce corps. Car c’était bien lui n’est-ce pas ? C’était …

Sa voix finit par s’éteindre et il crispa les yeux, remonta ses genoux contre sa poitrine et y posa son crâne, dans une tentative de se couper du monde extérieur. Cynred se leva et s’assit sur le bras du fauteuil. Il posa une main sur son épaule et fut satisfait de sentir les tremblements s’affaiblir. Sa mélodie reprenait sa forme plus naturelle.

— C’est un monstre, dans tous les sens du terme, murmura Sirian.

— C’est vrai. Mais maintenant que la Haute Inquisitrice et un membre du Conseil Silencieux savent qu’il a trouvé le moyen de rester en vie, il va perdre tous ses soutiens et être acculé.

— Ne t’inquiète pas, siffla Sirian. Je vais le trouver et le détruire une bonne fois pour toute.

La haine qui émanait de sa voix troubla Cynred. Il eut la brève impression d’y entendre un autre écho. Cependant il comprenait : il avait ressenti cette haine envers Valronn et Sélyna. Mais elle semblait avoir disparu. Peut-être parce que l’espoir compensait cette part d’obscurité. Il souhaita qu’elle quitte Sirian aussi, mais il ne pouvait pas l’exprimer, pas maintenant. Si la haine l’aidait à sortir de son état de choc, alors elle avait son utilité.

— Cela doit être difficile de contraindre ton pouvoir tout le temps. Ne pas pouvoir émettre tes pensées à cause de ton secret.

Sirian leva les yeux, surpris. Il le considéra un long moment, en silence.

— Je me rappelle, quand nous étions plus petits. La première fois où je t’ai entendu dans ma tête, j’étais aux anges, tu sais, continua Cynred

Sirian sourit.

— Je suis désolé, fit Cynred soudain sérieux.

— Pourquoi ?

— Pour ne pas avoir réagi plus vite.

Le sigilite releva la tête en soupirant et l’appuya sur le bras de Cynred.

— Tu étais un enfant. Tu avais tes propres difficultés. Au final tu as fait ce qu’il fallait, ta mère aussi et Isobel. J’ai eu de la chance.

Sirian paraissait épuisé et apaisé, pour l’instant. Mais Cynred devinait les notes chaotiques et étranges qui continuaient à retentir derrière sa mélodie. Le sigilite regarda Cynred.

— J’aurais aimé revoir ta mère, pour la remercier encore… enfin, mieux. Quand elle m’a rencontré, je n’étais pas dans un très bon état …

Il s’interrompit en voyant le visage du jeune homme se rembrunir.

— Elle est morte, fit-il.

— Oh ! Je suis désolé, fit Sirian, le cœur serré. Tu as pu la revoir ?

— Non. Je me suis renseigné, une fois que j’ai été installé avec mon maitre, une fois que les choses se sont calmées. J’ai appris qu’elle était morte de maladie quelques mois après ma fuite. Cela ne m’a pas surpris.

— Pourquoi ?

— Ma mère a toujours été malade. Le baron lui prodiguait des soins…

Cynred pâlit, comme s’il réalisait quelque chose qu’il aurait dû comprendre depuis longtemps. Son visage se crispa.

— J’imagine qu’il ne l’a pas vraiment soigné, murmura-t-il.

Sirian posa une main sur celle de Cynred. Puis il ferma les yeux. Cynred retourna à sa place et s’enfonça dans la douceur du fauteuil. Il n’avait qu’une envie, dormir. Mais le sommeil ne venait pas à lui, pas plus qu’à Sirian d’ailleurs.

— Comment ça va les garçons ? fit-Isobel, en entrant.

Si sa joie était un peu forcée, personne ne lui en fit la remarque. Elle se percha sur le bras du fauteuil de Cynred et passa son bras par-dessus son épaule. Celui-ci agrippa immédiatement sa main. Cela faisait bien dix minutes qu’il entendait sa musique juste derrière les portes. Il sourit intérieurement.

— Horrifié. Épuisé. Choqué, fit Sirian. Dans le désordre.

Isobel lui lança un sourire compatissant.

— Il est temps d’aller dormir, fit-elle.

A la détresse qui apparut sur le visage de Sirian, elle comprit que la simple idée de se retrouver seul le terrifiait. Mais il ne dit rien. Elle échangea un regard avec son amant, qui hocha la tête.

— Je suis certaine que cela ne dérangera pas les gouverneurs si on reste un peu ici, reprit-elle.

Sirian la regarda : le soulagement qu’elle lut sur son visage lui serra le cœur. Un pâle sourire étira ses lèvres. Il se cala davantage dans son fauteuil et ferma à nouveau les yeux. Isobel se laissa glisser dans les bras de Cynred et il la serra contre lui. Ils regardèrent Sirian jusqu’à ce qu’il soit endormi, puis ils le suivirent dans les bras du dieu Somnen.


Texte publié par Feydra, 22 août 2023 à 13h58
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