Cynred ne pouvait se lasser de contempler le ciel nocturne, depuis son balcon, au milieu de la salle du trône, dans les jardins. Il avait l’impression d’être au plus près des étoiles et lorsque la lune était pleine, comme cette nuit, il pensait qu’il lui suffisait de tendre la main pour la toucher.
Cette nuit-là, malgré le long entretien qui l’avait laissé épuisé émotionnellement, il trouva du réconfort dans le firmament sans nuages. C’était le moment qu’il préférait pour méditer et s’entrainer. Délaissant la coupole scintillante, Il s’installa au centre de ses quatre cristaux, ferma les yeux et laissa son esprit se glisser à travers les couloirs et les pièces du palais endormi. Il n’espionnait personne, mais il tendait l’oreille pour écouter quelques notes par ci, par là.
Il perçut immédiatement la mélodie d’Isobel, paisible et tranchante, celle de Cailéan aussi, non loin. Celle de Dame Floraidh flottait sereinement dans ses appartements, où elle devait elle-aussi méditer. Il ne savait pas exactement quels étaient les pouvoirs de cette dame, mais ils lui paraissaient extrêmement puissants et indéfinissables. Tout comme ceux de son époux.
Lorsque deux silhouettes pénétrèrent dans la salle, il ne bougea pas, n’ouvrit pas les yeux. Il les reconnut immédiatement. Mallkyn avait donc raison ! pensa-t-il, presqu’amusé. Au fond de son esprit, il sentit la présence de son mentor, à travers le lien du tatouage. Elles avancèrent silencieusement jusqu’à lui.
— Je ne pensais pas qu’elle viendrait te voir en premier, fit-il alors.
Il ouvrit les yeux et les posa sur Sirian et Sélyna.
— Elle a été plutôt convaincante, répondit-il, sur un ton neutre.
Cynred regarda alors la jeune fille. Il crut qu’il ressentirait de la terreur, de la haine ou les deux, mais aucun de ces sentiments ne se manifesta. Elle avait perdu ses boucles ; ses cheveux courts encadraient un visage pâle et plus émacié que dans son souvenir. Elle portait une tenue à la fois seyante et pratique, une tenue d’assassin utile pour la discrétion. Elle non plus n’exprimait aucune rage. Il la trouvait même plutôt apaisée, ce qui se sentait dans sa mélodie.
— Tu as mis longtemps avant de venir me voir, Sélyna.
Elle sourit froidement. Elle restait tendue, mais pas hostile. Ses armes étaient restées au fourreau. Lui qui s’était attendu à des menaces trouvait cela assez surréaliste.
— J’ai dû attendre le moment adéquat.
— Où est ton père ?
Un rictus déforma son visage.
— Il a disparu, après m’avoir abandonnée à mon sort.
Elle passa une main dans ses cheveux.
— Ils m’ont coupé les cheveux à l’hôpital, se plaignit-elle.
— Comment en es-tu sortie ?
— Mon père. Puis il m’a amenée à lui. Il avait besoin de moi. Pour vous ramener à lui.
Cynred jeta un coup d’œil à Sirian, qui attendait, tendu et silencieux. Il écouta sa mélodie un moment : elle était identique à celle dont il avait l’habitude.
— De qui parles-tu ? Pourquoi veut-il nous voir ? demanda-t-il.
— Il t’attend depuis un moment et mon idiot de père ayant échoué, il m’a demandé de le remplacer, fit-elle, en souriant.
Puis elle fixa le sigilite.
— Il vous attend tous les deux.
Quand elle évoquait son commanditaire, son ton était légèrement exalté. Elle avait vraiment changé, s’était transfiguré, pourrait-on dire.
— Et si je ne veux pas venir ?
Un tressaillement bref fut le seul signe de son agacement.
— Je te forcerai. Mais ce ne sera pas nécessaire : si tu viens avec moi, tu auras des réponses à toutes les questions que tu te poses sur ton passé, sur ce que tu es, sur ce que tu peux faire.
— Et toi, Sirian ? Qu’en penses-tu ?
— Je pense que j’ai quelques questions qui nécessitent des réponses, moi aussi.
Cynred observa la jeune fille : comment ne remarquait-elle pas qu’ils étaient en train de se jouer d’elle ? Que lui était-il donc arrivé ?
— Très bien. Est-ce loin ?
— Pas très. Tu verras.
Cynred se leva et suivit Sirian et Sélyna. En passant par le bureau, il récupéra sa cape. Sortir du palais sans être repérés fut un jeu d’enfant : ils suivirent la jeune fille qui les entraina à travers des couloirs déserts et des portes dérobées. Il nota leur emplacement pour les indiquer ensuite à Cailéan : ils allaient devoir sécuriser le palais.
C’était la première fois qu’il le quittait. Il remonta la capuche sur sa tête, mais la ville était déserte à cette heure-ci. Les gardes les laissèrent passer, lorsqu’il montra son permis et son insigne. C’est trop facile, se dit-il, en jetant un coup d’œil à Sélyna. Mais elle ne semblait se rendre compte de rien.
Trois marcheurs du roc scellés les attendaient dans une petite ravine un peu plus loin. Il faisait un froid glacial ; les arbres de cristal scintillaient de mille lueurs sous la lumière de la lune. Le ciel s’étendait jusqu’à l’infini et un ruban parme clair piqueté d’étoiles décorait la partie nord. Cynred en aurait eu le souffle coupé s’il n’était pas aussi tendu.
L’endurance de leur bête leur permit de descendre jusqu’au pied de la montagne en quelques heures. Lorsqu’ils débouchèrent dans la vallée, le soleil se levait à peine : ils firent une pause au village pour échanger les bêtes contre des chevaux. Puis ils repartirent en direction de l’est. Cynred sentait toujours les mélodies de ses amis, à une certaine distance constante derrière eux. Il imagina la troupe de cavaliers menée par Mallkyn et Cailéan. Sirian, concentré, ne dit mot durant tout le trajet.
Ils avancèrent sur un large chemin, en suivant le pied de la montagne, pendant une journée complète. Pendant la pause de la mi-journée, Cynred essaya de faire parler Sélyna, mais elle ne répondit pas à ses questions. Elle avait tellement changé. Son regard avait une étincelle hallucinée. Au moment de partir, cependant, elle leur tendit un médaillon de cristal. Sirian le regarda avec méfiance.
— C’est un cadeau de sa part, fit-elle avec un sourire.
Cynred observa l’objet attentivement : le pendentif était un cristal taillé ; transparent, il avait un cœur bleuté. Ses sens surnaturels reconnurent un cristal mnémique.
— Et si nous refusons ? fit Sirian.
Les traits de Sélyna se figèrent.
— Vous n’avez pas la choix. Vous le mettez, où je vous amène à lui inconscients, répondit-elle en posant la main sur le pommeau de son épée.
Sirian riva ses yeux noirs dans ceux de la jeune femme. Son visage était sévère.
— Tu peux toujours essayer, souffla-t-il.
Cynred lui jeta un coup d’œil. Certes, il n’était pas armé, mais il n’avait aucun doute sur le fait qu’il pourrait la vaincre. Cependant, ils perdraient leur unique chance de trouver le comploteur et de l’arrêter. Il posa une main sur le bras de Sirian. Les deux hommes échangèrent un regard.
Puis Cynred tendit la main, prit le collier et le passa autour de son cou. Un long frisson se répandit dans ses nerfs. Il sentit soudain la présence du tatouage disparaitre de son esprit. Sirian lui jeta un coup d’œil, son propre collier autour du cou. Sélyna se détendit.
— Bientôt vous comprendrez, fit-elle avec un sourire lumineux.
Elle se détourna et commença à préparer les chevaux. Cynred la contempla : il ne savait pas s’il préférait cette nouvelle version d’elle. Elle était comme exaltée. Elle paraissait entièrement soumise à l’homme qui l’avait envoyée, comme s’il l’avait envoutée. Pourtant sa mélodie n’était pas différente. Puis il réalisa qu’il n’entendait plus qu’une seule mélodie, lisse et répétitive. Alors qu’il rejoignait Sirian qui s’apprêtait à monter sur son cheval, il lui jeta un regard appuyé.
— Contacte-les, fit Cynred dans son esprit, en espérant qu’il l’entende.
Sirian détourna les yeux et se mordit les lèvres. Puis il eut un bref hochement de tête.
Ils repartirent, en virant vers le sud, comme s’ils allaient à Souviance. Le voyage continua dans un silence pesant. Ils traversaient un paysage de plaines d’herbes rases, entrecoupées de quelques bosquets. Le chemin était rocailleux. La masse des Monts Dorés les dominait à l’est. Ni Cynred ni Sirian n’osaient parler. Seuls les bruits de la nature et ceux des chevaux les accompagnaient. Cynred laissa ses sens s’étendre derrière lui au maximum de leur portée et fut rassuré d’entendre les mélodies de leurs poursuivants, bien qu’elle soit faible. Il espérait que Sirian avait réussi à les contacter.
La fin de la journée approchait quand ils dépassèrent une colline herbeuse et découvrirent une chapelle solitaire au milieu d’un bosquet. Autour d’elle, quelques bâtiments en ruines étaient les seuls vestiges d’un minuscule village. Sélyna arrêta sa monture près d’un bosquet, en descendit et attacha les rênes à une branche.
— Cet endroit a été détruit pendant l’ère des Bûchers, expliqua la jeune fille.
Elle attendit qu’ils soient prêts, puis les devança dans le bâtiment : l’entrée avait été dévastée, mais les autres murs étaient encore debout ; les vitraux avaient disparu et des trous dans la toiture laissaient passer l’air et le soleil. Une ouverture sur le côté signalait une porte, mais elle avait disparu. A l’intérieur, dans une obscurité à l’odeur de renfermé, les bancs, l’autel et les autres meubles n’étaient plus que poussière et débris.
Sélyna se dirigea immédiatement vers le fond, alors que ses deux compagnons entraient plus lentement. Cynred était à l’affut d’une mélodie nouvelle et il finit par l’entendre. Il grimaça et vacilla : c’était une cacophonie de sifflements et de grincements difficilement supportable. Sirian lui agrippa le bras et le regarda, inquiet.
— Ça va, fit-il, en bloquant l’esprit qui approchait.
Le bruit d’une canne qui frappait le sol régulièrement précéda l’homme, puis il apparut dans le puits de lumière faiblissante qui traversait l’un des trous du toit. Cynred écarquilla les yeux et Sirian fronça les sourcils : devant eux se tenait Grégoire Valronn.
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