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tome 1, Chapitre 45 tome 1, Chapitre 45

Dame Mallkyn considéra Cynred un long moment. Son regard glacial le scrutait avec attention. Il commençait à se sentir mal à l’aise. Il avait remonté la capuche de sa cape bleu sombre, ornée de broderies argentées pour cacher ses écailles le plus longtemps possible. Elle haussa un sourcil en remarquant sa tenue : la tunique de la même couleur que la cape, décorée de symboles ésotériques argentés, qui ressemblaient beaucoup à ceux de la robe de la Dame et de la tunique du Prince lui révéla sans doute beaucoup de choses.

— Vous devez être Cyndrel Ambroisius, fit Mallkyn.

— Oui, madame, répondit-il d’une voix sereine.

— Je note qu’il n’est pas enfermé, continua-t-elle, d’un ton calme, en regardant Cailéan.

Le prince haussa un sourcil.

— Je n’ai vu aucune raison de l’enfermer ; Cynred n’a commis aucun crime.

— J’ai pourtant un mandat d’arrêt contre lui, fit-elle en sortant un parchemin de son pourpoint.

Cynred réprima les tremblements de frayeur qui s’emparaient de lui. Garde ton calme ! Cailéan te l’a expliqué : c’est un jeu de pouvoir. Tu dois garder le pouvoir. Il la regarda le tendre au mage, qui l’ouvrit et le liu en silence, puis il le tendit à sa femme.

— Mets-toi à l’aise, mon garçon, fit alors le prince.

Malgré son anxiété, Cynred défit sa cape qu’il posa sur le dossier de l’un des fauteuils. Lorsqu’il se tourna, la Haute Inquisitrice se redressa légèrement rivant son regard sur ses écailles. Elle pâlit et écarquilla les yeux, mais se reprit en quelques secondes.

— Vous comprenez maintenant pourquoi le mandat d’arrêt a été émis, fit Cailéan d’un ton calme.

Cynred s’installa sur le dernier siège libre, à la gauche du prince. Isobel s’appuya au dossier de son fauteuil, laissant sa main effleurer son épaule. Dame Floraidh replia le document avec un petit rire. Tous les regards convergèrent vers elle.

— Ce chef d’accusation est ridicule, fit-elle. « Hérésie envers les commandements ducaux ». Il serait valable si Cynred avait érigé un culte envers la magie, ce qui n’est pas le cas.

Très calme, Mallkyn s’enfonça dans son fauteuil et croisa les mains.

— C’est bien ce que je me suis dit, fit-elle. J’ai lu les rapports de Sirian et d’Acrétius. Ils ont enquêté pendant des mois sur Valronn et tout d’un coup, alors qu’il a été arrêté, en train de sortir de ruines étranges, en compagnie de deux personnes qu’il a enlevées, on apprend qu’il était un agent sous couverture. Le Haut Juge Aeran était aussi surpris que moi, d’autant que le mandat ne vient pas de lui, mais du Conseil Silencieux.

— De qui exactement ? fit Cailéan, en se penchant vers elle.

— Percival Valombre.

— Il était le doyen de l’Université d’Argentlune, à l’époque de la fondation du Sigile des Arcanes. Il a été remplacé depuis, mais il a gardé son siège au Conseil Silencieux.

— Tout à fait. Et vous vous rappelez sans doute qui il a nommé dans le premier Sigile …

— Le baron de Fleurdys. Au poste de Haut Arcaniste.

A la mention de ce nom, Sirian pâlit. Cynred échangea un regard avec lui. Que ce nom revienne les hanter encore maintenant était inquiétant !

Soudain, les yeux de la Haute Inquisitrice s’étrécirent et elle regarda plus attentivement Cynred. Celui-ci se mit légèrement à trembler sous l’intensité de son regard.

— Qu’avez-vous fait, Cailéan ? fit alors Malkynn.

Sirian avait suivi son regard et fixait le tatouage, les sourcils froncés.

— Cynred est mon assistant ; j’ai consenti à signer un contrat de servitude avec lui. Il n’ira donc pas à Argentlune avec vous. Mais si vous souhaitez l’interroger, vous pouvez le faire ici.

— Votre assistant ? fit-elle, avec une moue dubitative.

Puis elle se frotta les tempes en poussant un soupir, comme si cette situation lui donnait mal à la tête.

— Quand cette histoire est tombée sur mon bureau, j’ai vérifié l’identité de Cynred. Il est enregistré à l’hôtel de ville de Souviance, puis à Argentlune, où il est arrivé alors qu’il avait quinze ans. Acte de naissance et permis sont en ordre.

— Avec un sanguinium neutre, si je puis me permettre, fit Cailéan.

— Alors, jeune homme, pourquoi quelqu’un au Conseil Silencieux vous veut-il à ce point-là ?

— Je n’en ai aucune idée, ma dame. Mais Valronn a travaillé avec le baron de Fleurdys, qui m’a pris sous son aile quand j’ai développé mes … écailles. Ma mère était à son service comme gouvernante, quand elle est tombée enceinte.

— Et c’est votre mère qui est allée chercher la garde, ce qui a permis de sauver Sirian.

Cynred hocha la tête, la gorge nouée. Soudain, le visage de Mallkyn s’adoucit.

— J’ai une énorme gratitude envers votre mère pour ce qu’elle a fait. Elle lui a sauvé la vie et je ne pourrais assez la remercier pour cela.

Il resta bouche bée : il lisait tant d’affection envers Sirian dans ces mots et sur son visage. C’était une toute autre image que celle qu’elle donnait jusqu’à présent. Sirian regarda sa tutrice et un éclair de tendresse traversa son visage. Cynred se racla la gorge, puis reprit :

— Valronn était persuadé que j’avais une sorte de magie, liée aux origines de mes écailles, et que j’étais la clé pour rentrer dans une cité en ruines. Il nous a trainés, Isobel et moi, dans ces ruines découvertes au fond d’une mine.

Mallkyn fronça les sourcils. Étrangement, elle ne questionna pas Cynred sur la réalité de sa magie. Puis elle se tourna vers le sigilite.

— Dans ton enquête, tu as conclu à ces liens entre Valronn et ton père ?

— Oui. Valronn était associé avec lui ; à priori, il lui obtenait des écrits anciens et des objets, répondit celui-ci d’un ton neutre.

— La clé de cette histoire doit être Fleurdys alors.

— Il est mort, fit Cailéan. Le Conseil Silencieux l’a jugé et condamné à mort. Je l’ai vu être exécuté et son corps être incinéré.

— Je sais, j’y étais, fit Mallkyn, pensive. Mais je suis allée dans les Limbes, pour consulter ce qu’on a trouvé chez lui. Ses recherches tournaient autour de la culture Sérantide. Et, oui, j’ai dû chercher très loin pour trouver ce nom.

— Je me rappelle qu’il est venu une ou deux fois consulter nos archives, lorsqu’il a débuté à son poste, fit Cailéan.

Mallkyn jeta un coup d’œil à Cynred. Puis elle soupira.

— Il était fasciné par ces Sérantides, dont personne dans le Duché n’a jamais entendu parler. Dans l’un de ses journaux, il évoquait leur magie. A priori, il a eu accès à des codex et des grimoires anciens qui évoquaient cette espèce. Il avait le désir de recréer leur espèce et avait décrit plusieurs expériences pour y parvenir. A l’époque, nous pensions que cela restait une théorie insensée. Mais maintenant …

Cynred mit quelques secondes à comprendre ce que la Haute Inquisitrice sous-entendait. Puis il pâlit et eut soudain envie de vomir.

— Vous voulez dire …, balbutia-t-il, vous voulez dire que je suis le résultat d’une de ses expériences !

Isobel appuya sa main sur son épaule et le regarda avec inquiétude. Cailéan se tourna vers lui et posa une main sur son bras tremblant. Ses yeux gris accrochèrent les siens.

— Tu es un être humain, Cynred, n’oublie pas. Tu n’es pas le résultat d’un expérience. Ta mère t’a mis au monde et elle t’aimait. Garde bien cela en tête.

Cynred avala sa salive avec difficultés et hocha la tête.

— Je suis désolée, fit Mallkyn. Le baron de Fleurdys a fait beaucoup de mal. Et je pense que d’une manière ou d‘une autre, il est derrière ce qui est en train de se passer. Je n’aime pas savoir qu’une faction du Conseil Silencieux utilise les ressources du Sigile pour faire des recherches étranges.

— Moi non plus, renchérit Cailéan. C’est pour cette raison que je pense préférable que Cynred reste au Bastion du Verre.

— Je suis d’accord, fit la Haute Inquisitrice, en froissant le mandat. C’est pour cela que je suis venue, à la place de l’envoyé prévu par Valombre. J’ai dû vraiment insister pour le remplacer. Je vais mener mon enquête pour découvrir le fin mot de cette histoire. Mais j’ai peur que d’autres personnes cherchent à s’emparer de votre apprenti, maintenant que les voies officielles n’ont pas abouti.

— Vous pensez à Valronn ?

— Sélyna, intervint Cynred.

Tous les regards se tournèrent vers lui.

— La fille de Valronn ? Elle a été incarcérée pour le meurtre de Vilepierre. Son père s’est rapidement débarrassé d’elle en la faisant passer pour folle.

— Elle est ici, insista le jeune homme. Je l’ai sentie ; je la perçois depuis quelques jours.

— Tu la perçois ? fit Mallkyn, les yeux étrécis.

Cynred se mordit les lèvres et glissa un regard vers Cailéan. Celui-ci hocha la tête. Il respirait la confiance, aussi fut-il rassuré.

— J’entends sa mélodie. Je la connais bien, j’ai pu la repérer dans le palais. Je ne l’ai reconnue qu’aujourd’hui cependant.

— Tu entends les mélodies ?

— Oui. Pour faire simple, tous les êtres vivants dégagent une sorte de vibration mélodique que je peux entendre.

— C’est fascinant, murmura-t-elle.

Puis son regard glissa vers Sirian.

— Vous allez pouvoir faire la paire tous les deux.

Le sigilite pâlit et la regarda fixement. Mallkyn leva les yeux au ciel.

— Je ne suis pas idiote, Sirian. Grâce à combien d’intuitions extraordinaires as-tu réussi à clore tes enquêtes ?

— Mais, vous …, commença-t-il, interloqué.

— Je ne t’ai pas envoyé au fond d’une cellule pour être disséqué ? Pour qui me prends-tu ?

Sirian ferma la bouche. Il aurait voulu en parler plus avant, mais ce n’était pas le moment.

— Alors si cette Sélyna est là, c’est pour emmener Cynred auprès de son commanditaire. Intéressant.

Cailéan haussa un sourcil. Dame Floraidh sourit d’un air entendu, comme si elle avait déjà tout compris.

— Le tatouage était une bonne idée. Ainsi vous saurez où votre pupille se trouve à tout moment. Et si on laissait Sélyna l’emmener, pour découvrir notre véritable ennemi ?

— Vous voulez vous servir de lui comme appât ? fit Cailéan.

— S’il est d’accord, évidemment, répondit-elle en se tournant vers Cynred.

Cette idée aurait dû le terrifier, mais confronter Sélyna était tentant. Si, en plus, il parvenait à comprendre qui était à l’origine de ce qui lui était arrivé et à obtenir quelques réponses, alors il fallait tenter le coup. Il regarda Isobel en entrelaçant ses doigts avec les siens. Elle hocha la tête et sourit, confiante et forte.

— Je le ferai, fit-il en regardant Mallkyn.

— Vous êtes conscient que nous n’avons aucune idée de l’endroit où elle va vous emmener. Cela risque de prendre du temps et ce sera dangereux.

— J’en ai conscience, assura-t-il, le regard ferme. Si cela peut permettre à cette histoire de s’achever, je prends le risque.

— Très bien. Alors j’imagine que Sirian et moi allons rester un moment au palais.

Cailéan sourit.

— Vous êtes nos invités.

— Je ne pense pas que cela prendra trop longtemps, fit le jeune homme. Elle ne pourra pas se cacher éternellement.

— Qu’elle ait pu s’infiltrer dans le palais est déjà alarmant ! fit Cailéan

— Valronn a des hommes ici, fit Isobel. Il a clamé que l’un d’eux a volé une carte ancienne dans nos archives.

Cailéan étrécit les yeux.

— Je n’aime pas ça, grogna-t-il. Il va falloir nettoyer nos rangs une fois que cela sera terminé.

La voix douce de Floraidh retentit alors, se réverbérant dans leurs esprits :

— Il n’est pas très loin ; il attend avec impatience ses enfants.

Le mage se tourna vers elle, inquiet et lui prit les mains. Floraidh cligna des yeux et se passa une main sur le visage. Ses iris étincelèrent quelques secondes. Puis elle focalisa son attention sur son époux.

— Est-ce que ça va ? demanda celui-ci.

— Oui. Ne t’inquiète pas, répondit-elle, avec un doux sourire, en caressant sa joue.

— Ma Dame, qu’avez-vous vu ? s’enquit Mallkyn, pas du tout surprise.

— J’ai senti une présence impatiente. Je n’arrive pas à voir où il se trouve, mais son, attention est tournée vers le Bastion du Verre. Il ne pense qu’à ses enfants.

— Ses enfants ?

Mallkyn regarda Sirian. Celui-ci croisa les bras et fronça les sourcils.

— C’est impossible. Il est mort.

— Si Sélyna te contacte, écoute-la et fais ce qu’elle veut, fit Mallkyn.

— Pourquoi ferait-elle cela ?

— Écoute, Sirian : j’ai un pressentiment, insista la Haute Inquisitrice, en posant la main sur son bras. Si tout se passe bien, tout sera révélé bientôt.

Le sigilite soutint son regard un long moment, puis soupira.

— Très bien. Attendons de voir ce qui va se passer.


Texte publié par Feydra, 22 août 2023 à 13h57
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