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Dame Floraidh, au milieu de la salle du trône, regardait en direction de la coupole au sommet de la tour. Nimbée dans une pluie d’étincelles multicolores qui tombaient des vitraux, les yeux fermés, immobile, le dame du Bastion du Verre paraissait en transe.

Non loin d’elle, assis en tailleur, entouré de quatre cristaux colorés, l’apprenti de son époux était en profonde méditation. Elle l’observa un instant, avec affection : ce jeune homme avait su gagner son cœur par son humilité, sa gentillesse et son intelligence. Isobel l’aimait profondément et c’était une raison suffisante pour l’accueillir dans sa famille.

La délégation du Sigile des Arcanes était arrivée. La troupe de gardes avait installé son camp au pied des murailles et deux personnes étaient entrées dans la ville. Pour l’arrêter. Les traits de Dame Floraidh se durcirent. Il était hors de question que cela arrive. A travers son pouvoir de vision, elle sentait que quelque chose de trouble et de dangereux se jouait au sein des hautes sphères du Duché.

Laissant le jeune homme à sa méditation, elle traversa silencieusement la salle du trône et rejoignit les autres dans le bureau. Elle embrassa tendrement son époux sur la joue, avant de s’installer dans son fauteuil, qui avait été déplacé derrière le bureau pour l’occasion. Cailéan, installé à son bureau, terminait de lire un lourd codex. Isobel, appuyée sur le mur, les regarda avec tendresse : leur amour profond était une bénédiction ; avec le temps il était devenu aussi solide qu’un chêne centenaire. Isobel espérait que celui qu’elle partageait avec Cynred serait aussi fort. Elle reporta son regard vers l’entrée. Vêtue de son uniforme de garde-liée, armée, elle avait une mission à accomplir.

Un moment plus tard, un garde entra et s’inclina devant les gouverneurs. Il était suivi de deux personnes, vêtues de lourds manteaux de voyage. Isobel les observa l’un après l’autre, et écarquilla les yeux lorsqu’elle reconnut l’un d’eux. Sirian laissa glisser son regard sur elle, un éclair de joie et de soulagement traversa son visage, puis il reprit son regard neutre. Isobel nota qu’il ne portait ni ses armes, ni son insigne et son cœur se serra.

La femme s’approcha à grands pas de la table ; elle était grande et athlétique ; ses cheveux blancs étaient réunis en un chignon lâche, duquel s’échappaient des mèches rebelles. Son visage aux traits farouches était nimbé de quelques rides. Ses lèvres formaient une fine ligne alors qu’elle dardait un regard ferme sur les deux gouverneurs, de ses yeux d’un bleu glacial.

— Dame Floraidh, prince Cailéan, fit-elle d’une voix musicale, en s’inclinant souplement. Je suis ravie de vous revoir.

— Dame Mallkyn, répondit Floraidh, un sourire sincère sur son visage.

— Haute Inquisitrice, fit le mage, nous ne nous attendions pas à ce que vous veniez en personne.

Puis il se tourna vers l’homme qui l’accompagnait.

— Vous devez être Sirian, fit-il en inclinant la tête. Enchanté de vous rencontrer. J’ai beaucoup entendu parler de vous.

Le jeune homme haussa un sourcil surpris, mais se contenta de s’avancer. Il inclina le torse.

— C’est un honneur, seigneur.

Cailéan se tourna ensuite légèrement vers Isobel.

— Et voici le capitaine Isobel Cahilir.

— Enchanté, Ma Dame, fit la jeune fille en la saluant.

Mallkyn la regarda attentivement, puis sourit et inclina la tête en réponse.

— J’ai entendu parler de vous, capitaine. Sirian vous doit une fière chandelle.

— Je n’ai fait que mon travail, répondit celle-ci.

La Haute Inquisitrice sourit mais ne répondit pas. Cailéan tendit la main vers les fauteuils préparés devant le bureau.

— Mettez-vous à l’aise et installez-vous.

Des serviteurs apparurent alors derrière eux. Malkynn se défit de sa cape et la tendit à l’un d’eux. En passant, elle jeta un regard éloquent à Sirian, qui détourna le regard. Mais ses poings et ses lèvres serrés montraient à quel point il était tendu.

— Je vais être honnête, je pensais que quelqu’un d’autre viendrait arrêter Cynred, commença Cailéan. Les échos que j’ai eu de cette arrestation catastrophique m’ont parus très étranges.

Mallkyn eut un petit rire sarcastique.

— Et moi j’ai été très surprise quand un message venu du Conseil Silencieux me demandait de relâcher Grégoire Valronn, parce qu’il était un agent de terrain, infiltré pour mettre au jour un trafic de grimoires, fomentés par un pays étranger. Je n’apprécie pas trop ce genre d’ordre, vous savez.

Cailéan sourit.

— Alors, où est ce jeune homme si important pour le Conseil Silencieux ?

Cynred n’écoutait pas les paroles. Concentré sur les mélodies, comme le lui avait demandé Cailéan, il avait devant lui un panorama de toutes celles des gens présents dans le palais. Grâce aux cristaux qui avait la propriété de les réverbérer et grâce à sa concentration, il était capable de les entendre à une portée bien plus grande.

Dans le bureau, la mélodie éthérée de Dame Floraidh ; celle de Cailéan, puissante et douce ; et celle d’Isobel, constante et paisible, l’entouraient de leur présence. Puis il avait repéré la mélodie de Sirian et la joie de le revoir avait gonflé son cœur, puis avec lui, une musique glaciale et rythmé, répétitive et contrôlée, celle de la personne qui l’accompagnait, celle de l’envoyé du Sigile des Arcanes. L’inquiétude se fraya un chemin à travers son esprit et sa concentration vacilla. Il la repousse.

Soudain, il fronça les sourcils. Là, cette mélodie familière, qu’il entendait depuis quelques jours, un peu assourdie et lointaine. A qui appartenait-elle ? Il lui semblait la connaitre. Elle était plus proche maintenant. Il éteignit toutes les autres et se focalisa sur elle. Il pâlit lorsqu’il la reconnut enfin.

La voix d’Isobel le tira de sa méditation. Il ouvrit les yeux et la vit, dans l’entrebâillement des tentures. Cynred, anxieux, garda son esprit à l’affut de la mélodie étrangère et se leva. Il rejoignit les autres dans le bureau pour affronter les envoyés du Sigile des Arcanes.