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tome 1, Chapitre 42 tome 1, Chapitre 42

Le tatouage s’activa et l’arbre prit de la puissance, mais Cynred garda le contrôle. Il sentit Cailéan s’installer dans son esprit. Assis en tailleur face à lui, il regardait son élève avec sérénité. Cela faisait une semaine qu’ils s’entrainaient tous les après-midi, dans la salle du trône. Le mage s’était familiarisé avec le pouvoir de Cynred à travers ses explications. Mais c’était la première séance pratique avec le tatouage.

Entre eux était posé un pot contenant une plante malade : sa délicate fleur aux pétales blancs et violet se desséchait ; sur sa tige et ses feuilles des tâches noires grandissaient.

— Je vois la mélodie de la fleur, fit Cailéan, à voix haute.

Cynred hocha la tête.

— si j’effectue un changement, il sera définitif. Ce n’est pas un élément qui peut changer d’&tat.

— C’est bien, Cynred. Je vois que tu as bien assimilé les traités que je t’ai fait lire.

Le jeune homme sourit, tout en gardant le contrôle sur la mélodie. Cailéan était impressionné jour après jour. Cynred faisait montre d’une belle maitrise de lui-même pendant les sessions d’apprentissage.

— Alors, comment faire pour expérimenter sans danger pour la plante ? Et comment la guérir ?

Cynred fronça les sourcils et réfléchit. A travers leur lien psychique, le mage le vit dédoubler la mélodie afin d’en créer une réplique parfaite. Elles flottaient toutes les deux sur la page blanche qu’était son esprit.

— Continue, fit Cailéan. Suis ton idée ; je t’observe.

Alors d’autres partitions jaillirent de la mémoire du jeune homme et avec elles étaient associées des images. Elles défilèrent, puis il choisit l’une d’entre elles. Cailéan observa attentivement l’image qui était liée : une belle fleur rose et blanche, dans un pot, posé sur le rebord d’une fenêtre ouverte, qui donnait sur un jardin. Il avait choisi un spécimen de la même espèce que celle qui attendait entre eux. Bien vu, pensa le mage, à part lui.

Cynred surimposa les deux partitions et effectua des changements sur la première pour la faire ressembler à la seconde. Les images continuaient à se dérouler en arrière-plan. Cailéan fronça les sourcils : le souvenir prenait de la puissance.

— Je crois que j’ai trouvé, fit alors Cynred.

Il modifia la mélodie originale et Cailéan vit les tâches noires disparaitre lenteement, la fleur paraissait en meilleure santé. C’était fantastique.

Soudain Cynred ferma les yeux et se mit à trembler. Une voix retentissait dans son esprit l’envahissant de pensées parasites ; les images et les sensations qui y étaient liées effacèrent les partitions et prirent toute la place dans son esprit. La colère et la frayeur venues du passé se frayaient un chemin à travers ses souvenirs.

— Cynred, fit Cailéan, lâche prise. Regarde-moi.

Le jeune homme riva ses yeux brumeux sur son maitre ; son esprit se calma alors qu’il reprenait le contrôle et repoussait le souvenir. Il sentit le tatouage se désactiver.

— Pardon, murmura-t-il. Le souvenir était trop puissant.

— Il t’a pris par surprise, commenta Cailéan. A qui appartient cette voix ?

Son apprenti se passa une main sur le visage et soupira.

— Le baron de Fleurdys. C’était un jour où je m’entrainais à traduire la musique de la fleur.

— Est-ce un souvenir triste ?

— A l’époque, j’étais heureux. Je pensais que le baron avait de l’affection pour moi. Mais c’est à ce moment-là où j’ai commencé à l’entendre dans ma tête.

— A l’entendre ?

— Sirian. Son fils malade. Celui qu’il gardait enfermé au sous-sol.

— Tu veux dire que Sirian a des capacités psychiques ?

Cynred hocha la tête.

— Voilà pourquoi son père expérimentait sur lui…

Cailéan soupira.

— J’ai fait parti des juges qui ont condamné le baron de Fleurdys à l’époque. Il était Haut Arcaniste ; c’était au Conseil Silencieux de le juger. Cet homme était un monstre, Cynred. Ce qu’il a fait à son fils était horrible et contre-nature. Il avait une fascination maladive pour certains aspects de la magie.

— Je sais. J’ai fini par comprendre, en écoutant sa mélodie. Cela m’a pris des années. Si j’avais été plus rapide, j’aurais prévenu ma mère plus tôt et …

— C’est grâce à toi que Sirian a été sauvé et que cet homme a pu être puni. Son fils a pu avoir la vie qu’il mérite.

— Mais il nous hante toujours, son fils et moi, fit amèrement le jeune homme.

— Tu vas devoir accepter ton passé, pour avancer, c’est certain. Ces expériences font partie de toi et t’ont forgé, Cynred.

— Pour le meilleur ou pour le pire ? fit le jeune homme.

Cailéan eut un petit rire.

— Je suis persuadé que c’est pour le meilleur, répondit-il. Si tu le décides.

Cynred contempla la plante. La tige était presque entièrement noire et les feuilles se craquelaient et tombaient sur la terre humide du pot. La maladie accélérait la fin de son cycle. Il espérait que la graine survivrait. Il avait réussi à la raviver une seconde avant d’être emporté par son souvenir. Il sourit puis son regard se porta sur la statue derrière le trône.

— J’ai promis à Dame Floraidh de faire disparaitre cette statue, fit-il.

Cailéan sourit.

— C’est un bel objectif. Est-ce que tu souhaites continuer ?

— Oui.

— Alors, nous allons travailler sur autre chose. Ce qui vient de se passer m’a montré une facette de ton pouvoir : ta perception surnaturelle et ta mémoire sont liées. Tu ne fais pas que te souvenir des mélodies, mais de ce que tu as vécu ou ressenti au moment où tu les as perçues.

— Je pense que c’est la raison pour laquelle je m’en rappelle si bien.

— Entends-tu ta propre musique ?

Cynred parut surpris.

— Non. Je n’ai jamais essayé. Mais j’imagine que j’en ai une, comme tout le monde.

— Je pense que la meilleure manière de comprendre comment modifier les mélodies c’est de t’entrainer sur toi-même, afin de mieux appréhender les changements et leurs conséquences.

L’apprenti pâlit.

— Ce n’est pas un peu dangereux ?

— Pour l’instant, je veux que tu te concentres. Je vais t’enseigner un état de méditation qui te permettra de t’auto-analyser. Tu es prêt ?

— Est-ce que vous serez là ? fit Cynred, en tapotant son crâne.

— Non.

Cynred prit une profonde inspiration.

— Ok.

Cailéan ramassa un pendentif en cristal transparent posé à côté de lui et le souleva. Il se balançait au bout d’une corde fine.

— C’est un cristal mnémique. On le trouve en grande quantité dans ces montagnes : il a beaucoup de propriétés. Les Sérantide s’en servait de bien des manières.

— Comme le cristal dans les ruines ?

Cailéan hocha la tête.

— Il reflète ton image. Mais toi, tu peux lui faire refléter ta mélodie. Regarde le cristal et essaie d’accrocher ton reflet dans l’une de ses facettes. Puis sers-t-en pour entendre ta musique.

Cynred focalisa toute son attention sur le long cristal qui se balançait doucement. Il y vit son reflet et se concentra dessus. Ses pensées virevoltaient dans son crâne et il eut d’abord du mal à les éteindre. Puis les mouvements doux du bijou calmèrent son esprit et la pièce disparut autour lentement autour de lui. Une mélodie commença à émerger du cristal et grossit en lui. Il l’écouta et retrouva son écho au fond de son esprit. Il ferma les yeux et partit à sa poursuite. La musique régulière et cristalline enfla et l’entoura. Fasciné, il la laissa se dérouler et l’écouta attentivement.


Texte publié par Feydra, 22 août 2023 à 13h55
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