Sirian plaça un dernier coup de son épée sur le mannequin et recula d’un pas. Il était essoufflé. Sa tunique collait à sa peau et des gouttes de transpiration coulaient sur son voisage et son coup. Il s’acharnait depuis deux heures sur la cible d’entrainement, mais ce n’était pas assez satisfaisant pour calmer sa rage. La manière dont Valronn s’en était sorti était tellement étrange ; il ne comprenait pas que Mallkyn ne puisse pas voir les mensonges et la manipulation.
Il alla ranger l’arme dans le râtelier sur le mur près de l’entrée. La salle était déserte. Le soleil se levait à peine. C’était une des conséquences positives d’être sujet aux insomnies. Sirian eut un rictus railleur. Il s’étira pour détendre ses muscles douloureux, puis sortit dans le cour. C’était un patio, ceint entre les quatre ailes du Bastion. Il n’était connu que des employés et était considéré comme un havre de paix pour la plupart. Un immense chêne boréal, aux fleurs argentées, s’épanouissaient en son centre. Quatre allées, formant une étoile, permettaient d’atteindre la petite bosse herbue sur laquelle il grandissait. Ses énormes racines jaillissaient parfois du sol et déformaient les dalles. C’était une espèces d’arbres à feuillage persistant : on pouvait l’admirer en toute saison. Il était magnifique lors de la saison des glaces : on avait l’impression que ses feuilles se changeaient en cristaux.
Sa respiration formait de la vapeur devant lui alors qu’il suivait l’allée qui faisait le tour du parc. Le froid s’insinuait en lui, à travers sa tunique trempée, mais cela ne le dérangeait pas. C’était revigorant et peut-être que cela calmerait ses pensées meurtrières. Valronn était encore plus dangereux qu’il ne le pensait et lui était coincé ici à cause de l’étroitesse d’esprit de sa mentore. Ses poings se serrèrent et il expira lentement : la Haute Inquisitrice était intraitable et sévère, mais elle avait toujours été juste envers lui. S’en prendre à elle n’arrangerait pas la situation.
Il entendit du bruit, alors que ses camarades pénétraient dans la salle d’entrainement. Il fit demi-tour et y retourna. Les murmures se turent et il sentait les regards rivés sur lui quand il traversa la salle. Il garda les yeux fixés droit devant lui, remontant ses barrières, comme ç chaque fois qu’il se trouvait en présence de ses collègueq. Une fois sorti, la chaleur conservée entre les murs épais calma ses tremblements. Il monta les étages sans s’arrêter jusqu’au troisième et s’engouffra dans sa chambre.
Il se laissa tomber sur son unique fauteuil qu’il avait placé face à la fenêtre et contempla le lever du soleil. Son esprit était plongé dans le chaos et il avait du mal à apaiser ses émotions. Bon sang, Sirian, reprends-toi ! s’ordonna-t-il. Cela faisait à peine deux jours que sa punition avait commencé. Il s’imposait un rythme. Malheureusement, les tâches qu’il pouvait accomplir étaient limitées. Il n’aimait pas être désœuvré ; c’était dans ces moments-là que les souvenirs revenaient. Cela faisait presque dix ans qu’il avait été libéré de son père et que celui-ci avait été exécuté. Il avait enfoui ce qui s’était passé au fond de lui. Au Sigile des Arcanes, seuls les Hauts Fonctionnaires connaissaient son identité réelle – et le Conseil Silencieux aussi. Pour tous les autres, il était juste Sirian.
Trois coups à sa porte le firent légèrement sursauter. Il ne répondit pas, peu désireux de parler à qui que ce soit. Malheureusement cela ne suffit pas : il entendit la porte s’ouvrir. Quel itdiot ! je ne l’ai pas verrouillée. Il se retourna, prêt à rabrouer l’intrus. Katria lui souriait et les mots se perdirent dans sa gorge. Elle entra sans y être invitée, suivi de son frère, Acrétius.
— Tu l’as envoyée devant, grogna Sirian.
L’autre sourit malicieusement.
— Ouais. Et ça a marché.
Il déposa le plateau qu’il portait sur la table. Une odeur de thé et de gâteaux envahit la pièce. Sirian regarda ses collègues en fronçant les sourcils : ils s’installaient comme s’ils étaient chez eux et étalaient les mets qu’ils avaient apportés. Avec un soupir de résignation, il les rejoignit.
— Tu as une tête à faire peur, fit Katria, en le fixant d’un air critique.
— Merci, répondit Sirian, sarcastique.
Acrétius poussa une tasse de thé fumante vers lui. Son préféré, évidemment. Il la prit entre ses deux mains et laissa la chaleur de la porcelaine les réchauffer.
— Vous n’êtes pas en service ?
— C’est notre jour de repos, fit le sigilite, en mordant dans un gâteau.
— Et vous n’avez rien de plus intéressant à faire que de me tenir compagnie.
— Non, affirma Acrétius, avec un petit sourire.
La bonne humeur de son collègue avait du mal à passer la barrière de ruminations qu’il avait érigée depuis la veille. Katria le regardait avec inquiétude. Son parfum montait jusqu’à lui et le calma un peu.
— Vous connaissez les détails ? fit soudain Sirian.
— Dame Mallkyn nous a informés, répondit Katria.
Le jeune homme cligna des yeux, surpris.
— Elle … ?
— Oui. Je crois qu’elle s’inquiète pour toi.
Sirian eut un grognement railleur.
— Si c’était le cas, elle ne m’aurait pas puni de cette manière.
— Qu’aurais-tu fait si cela n’avait pas été le cas ?
— J’aurais tout fait pour coincer Valronn, répondit immédiatement le jeune homme.
Katria le regarda intensément, en haussant un sourcil, l’air de dire : « Et donc ? ». Sirian ne voyait pas où elle venait en venir. Il était un sigilite ; sa mission consistait à coincer des gens comme lui. Traquer Valronn était un objectif personnel pour lui : ce salopard était un associé de son père, il en était certain. La haine émergea de son esprit épuisé et lui serra le cœur. Soudain, Sirian comprit. Il se frotta les yeux de ses deux mains et crispa les paupières. Katria et Acrétius échangèrent un regard inquiet.
— Elle a fait ça pour me protéger, murmura-t-il. Elle savait que je me jetterai à sa poursuite.
— Avec l’intervention du Conseil Silencieux qui le soutient, cette affaire est devenue un piège dangereux, Sirian, reprit Katria d’une voix douce. Je ne sais pas ce que Valronn t’a fait, mais mon frère et moi sentons bien que c’est personnel.
— Il ne m’a rien fait, fit Sirian. Il connaissait mon père.
— Ton père ? fit Acrétius, perplexe.
Sirian poussa un profond soupir.
— Avez-vous entendu parler du Haut Arcaniste qui a été condamné et exécuté il y a dix ans ?
— Bien sûr, fit Acrétius. Ce pourri a expérimenté sur son fils. Le Sigile des Arcanes en a été bouleversé : l’un de leur plus haut dirigeant a bafoué tout ce pour quoi il se battait. C’était une honte pour eux.
— C’était mon père, souffla Sirian.
Il n’avait pas réussi à retenir les tremblements dans sa voix. Il serra les poings. Les émotions qu’il avait bien enfermées étaient en train de percer ses défenses. Un silence choqué s’étendit entre eux. Acrétius et Katria le regardaient fixement. La gorge serrée, Sirian luttait pour contenir ses souvenirs.
— J’ai appris que …, reprit-il, d’une voix rauque, Valronn était son partenaire. A l’époque, l’enquête a déterminé qu’il n’était pas au courant, qu’il ne faisait que fournir les antiquités dont mon père raffolait. Mais, en fouillant dans les carnets de mon père, j’ai compris que c’était plus que cela.
Il s’interrompit et regarda ses collègues. La peine qu’ils éprouvaient pour lui faillit le faire sombrer. Katria posa une main sur la sienne et riva ses yeux noirs dans les siens. Il y lut toute son affection et son soutien.
— Tu n’aurais pas dû garder ce poids, Sirian.
Il eut un petit rire.
— Je pensais que j’avais le contrôle de la situation.
— Vraiment ? Tu ne dors pratiquement jamais.
— Je ne sais pas comment gérer autrement, répondit-il d’un ton sec.
La colère commençait à envahir ses pensées. Il la contint : ce n’était pas juste envers son amie.
— Je vais faire quelques recherches de mon côté, décréta Acrétius. J’ai côtoyé cette ordure pendant quelques semaines. Il n’a jamais mentionné Fleurdys, mais son obsession pour son associé était très étrange. Il était fasciné par ce cristal dans les ruines et par le pouvoir de Cynred.
Katria fronça les sourcils, perdue.
— Qui est ce Cynred ?
— Un gars qui a eu maille à partir avec Valronn. Je te raconterai.
Sirian se raidit soudain.
— J’ai connu Cynred, commença-t-il. Il a habité pendant un temps au manoir de mon père. Il était le fils de sa gouvernante. C’est grâce à lui et à sa mère que j’ai été libéré.
— Cela fait beaucoup de coïncidences, fit Katria. Cela aurait-il un rapport avec ton père ?
— Peut-être avec certaines de ses recherches, répondit Sirian. Un mandat d’arrêt a été émis pour Cynred. Le commanditaire de Valronn veut absolument lui mettre la main dessus.
Sirian se mordit les lèvres, la culpabilité pointant soudain sa tête hurlante.
— J’ai dit à Mallkyn où il se trouve.
— Valronn aurait trouvé l’information de toute manière, fit Acrétius.
Il échangea un regard avec Katria qui hocha la tête.
— Je peux envoyer un message au Bastion du Verre.
— Comment ? L’utilisation des corbeaux est strictement contrôlée.
— Nous avons nos propres corbeaux.
— Qu’est-ce que tu racontes ? fit Sirian, perdu.
— Disons que nous aimons rester en contact avec notre région natale, fit Katria.
Sirian les regarda tour à tour. Il sentait un mystère caché dans ces paroles et leurs regards. Il choisit de leur faire confiance.
— Préviens-le. S’il peut se mettre hors de portée de Valronn, ce sera mieux pour lui.
— Pourquoi fais-tu ça ? demanda Katria. Pourquoi n’as-tu pas emmené cet homme pour l’interroger, surtout s’il a des pouvoirs, comme Acrétius semble le penser ?
Il ne sentait aucune critique, aucune inquisition dans les questions de la sigilite. Juste de la curiosité et de la perplexité, ainsi qu’une sorte d’attente aussi.
— Cynred a allégé mes souffrances, pendant un temps ; il m’a sauvé. Je ne voulais pas qu’il se retrouve écrasé par le Sigile des Arcanes. Il ne le mérite pas. Il n’a jamais demandé à être comme il est.
Il les contempla, soudain effrayé. Il venait presque d’avouer qu’il avait perdu confiance dans le Sigile. Ce n’était pas acceptable dans leur mission. Mais ils le regardaient en souriant, avec compréhension et affection.
Trois coups secs furent soudain portés sur la porte. Sirian fronça les sourcils.
— Quoi ? fit-il, avec mauvaise humeur.
— C’est Dominic, entendit-il.
Il soupira et se leva pour ouvrir la porte. Le secrétaire de Mallkyn, les mians croisées derrière son dos, le regarda, le visage fermé.
— Dame Mallkyn vous demande de préparer vos affaires pour un voyage de plusieurs jours et la rejoindre aux écuries dans une heure.
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