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Les Monts Dorés s’élevaient dans toute leur impressionnante splendeur juste devant eux. Certes, ils les avaient côtoyé un long moment lors de leur mésaventure avec Valronn. Mais ici Ils se trouvaient à l’extrémité nord du Duché de la Rosace, au bout du monde connu, en quelque sorte. La grande route, qu’ils avaient suivi de loin, s’interrompait et se transformait en un route de montagne sinueuse qui ne menait qu’à une seule destination : le Bastion du Verre. Invisible depuis le sol, ce district, minuscule comparé aux trois autres, se trouvait sur un plateau à environ mille mètres d’altitude, niché au creux des pics des Monts Dorés.

Isobel et Cynred observaient le petit village qui se trouvait juste au pied de la montagne. C’était la mi-journée, mais ils souffraient du froid vif qui envahissait déjà cette partie du Duché, malgré leurs lourdes capes. La guerrière avait préféré préservé l’argent donné par Sirian et ils s’étaient nourri chichement pendant les trois jours de marche sous les arbres et dans les prairies rocailleuses pour atteindre cet endroit, depuis Ombrepierre.

Installés contre un arbre, dans un bosquet à l’écart de la route, ils se reposaient avant de se rendre au relais pour la dernière étape de leur voyage. Cynred ne s’était jamais rendu aussi loin. Le paysage était devenu de plus en plus désolé au fur et à mesure de leur avancée. Ils n’avaient plus croisé aucun village. La route était très peu fréquentée, une fois dépassé le croisement avec celle qui menait à Ombrepierre.

— Allez, fit soudain Isobel, en avalant le dernier morceau de pain qu’elle grignotait. On réessaie.

Cynred eut un soupir résigné.

— Si tu veux. Mais je peux aussi mettre ton masque.

— Je suis certaine que tu peux y arriver.

Elle se plaça devant lui, à genoux, les mains sagement posée sur ses cuisses, visualisa son visage et se concentra. Une boule d’ombre se matérialisa entre eux. Elle vacilla, puis se solidifia et prit doucement la forme de son visage, sans les écailles. Cynred écoutait la mélodie d’Isobel pendant ce temps et s’efforçait d’isoler les notes de l’illusion. Cela faisait trois jours qu’ils essayaient et à chaque fois il avait échoué. Il faut peut-être changer d’approche, se dit-il alors qu’il voyait apparaitre ses traits tels qu’ils auraient dû être.

Il étala dans son esprit la partition et l’observa. Soudain, cela lui sauta aux yeux : il n’y avait plus une seule partition, mais bien deux, entrelacés si finement qu’il ne pouvait pas les distinguer facilement. Alors doucement, en veillant à ne les modifier en aucune façon, il les sépara et ne garda devant ses yeux mentaux que celle de la manifestation du pouvoir d’Isobel. C’était extraordinaire !

Il manipula la partition et perçut immédiatement les effets sur le visage de brume. Il lui fallut plusieurs tentatives, mais il finit par obtenir un résultat satisfaisant. Isobel eut une exclamation de surprise en examinant le visage qui tournoyait devant elle. Elle en perdit soudain le contrôle et sentit le pouvoir se déplacer vers Cynred. C’était une sensation nouvelle et elle en eut le souffle coupé.

— Ca va ? s’inquiéta Cynred, en la fixant de ses yeux azur.

Elle se rendit compte alors que ses pupilles avaient entièrement disparu, remplacées par des orbes céruléennes crépitantes.

— Ca va, ca va. C’était … magique. Que tu manipules mon illusion ainsi, c’est …

— Ce n’est pas une illusion.

— Quoi ? Que veux-tu dire ?

— Tu manipules la lumière. Tu la façonnes comme tu le souhaites.

— Oui, c’est une illusion d’optique.

— Non, ma chérie, fit Cynred en souriant.

Une chaleur formidable s’empara d’elle quand elle entendit ce mot doux. C’était la première fois et elle espérait que cela se reproduirait. Souvent.

— Si c’était une illusion, elle n’aurait pas sa propre mélodie. Or j’ai pu la modifier et m’en emparer, car elle est dissociée de toi. Tu ne le savais pas ?

— Je ne me suis pas beaucoup entrainée, tu sais. Mes pouvoirs de façonneuse n’étaient pas la priorité pour mon père.

Il pencha la tête sur le côté et la regarda avec une pointe de tristesse.

— Ce n’est pas grave tu sais, fit-elle. J’adore me battre !

Il éclata de rire. Le son provoqua des frissons dans tout son corp. Il était aussi beau que sa voix. Elle eut soudain envie de l’embrasser, mais se retint.

— Alors, tu l’essaies ? fit-elle en tendant la main vers le masque de brume.

Elle espérait que sa voix n’avait pas montré son impatience, mais elle sut au sourire de Cynred qu’elle n’avait pas eu cette chance. Il tendit les mains et le masque se posa dessus. Il avait l’air souple et concret. Elle l’effleura et eut l’impression que c’était un tissu très fin.

Il le mit doucement sur son visage, avec une certaine appréhension. L’objet s’ajusta très bien. La vision d’Isobel avait parfaitement réussi à capturer son visage.

— Alors ?

Isobel retint son souffle : plus aucune trace de ses écailles sur le côté gauche. Son visage était parfaitement humain. Sa peau lisse et claire mettait en valeur ses yeux et sa bouche fine et rouge. Il était beau, mais pas aussi beau qu’à son état naturel.

— Tu peux l’enlever ? s’inquiéta-t-elle soudain.

Il cligna des yeux, interloqué.

— Oui, bien sûr. Ce n’est qu’un masque.

Il l’ôta aussi simplement qu’un masque en bois. Elle eut un soupir de soulagement et se jeta contre lui, l’embrassant fougueusement. Il l’enlaça et lui rendit son baiser. Puis elle se blottit contre lui, une main délicatement posée sur ses écailles. Cynred n’en revenait pas. Elle avait eu l’air si inquiète quand elle ne les voyait plus.

— Tu es si beau ! murmura-t-elle.

Son cœur battit follement et il la serra davantage contre lui, sa joue posée contre ses cheveux. Ils restèrent ainsi plusieurs minutes.

— On devrait y aller, non ? chuchota-t-il, en l’embrassant sur le front.

— Oui, fit-elle en se détachant de lui. J’espère qu’ils auront des Marcheurs du Roc disponibles.

— Des marcheurs du roc ?

— Tu verras, fit-elle avec un clin d’œil.