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tome 1, Chapitre 26 tome 1, Chapitre 26

Cynred ne pouvait arracher ces yeux du spectacle qui s’étalait deux lui. Au cœur des Monts Dorés, sur un plateau qui devait culminer à plusieurs milliers de mètres, dormait depuis des siècles une ville. C’était inimaginable ! Et pourtant il la voyait clairement devant lui. Il frissonna dans cet air froid et ténu. Une lune immense éclairait les bâtiments ; le ciel noir piqueté d’étoiles paraissait immense.

Juste derrière les portes s’étendait une vaste esplanade, comme une sorte de parc minéral. Le groupe s’y arrêta. Des allées contournaient un grand bassin d’eau cristalline, creusé dans la roche. Il était alimenté par une chute d’eau qui émergeait de la montagne quelques mètres plus loin et s’écoulait dans un canal construit dans un matériau blanchâtre. Plusieurs canaux partaient du bassin et se répandait dans la ville, en passant sous un mur d’enceinte, en partie éboulé, qui fermait l’accès au reste de la cité. On y accédait par une arche. Deux chemins aux pavés descellés contournaient le bassin. Ils étaient encadrés par des massifs cristallins qui semblaient obscurs dans l’ombre de la nuit. Des statues en partie détruites ornaient les pourtours.

Valronn ordonna une pause. Cynred, épuisé, se laissa tomber au bord du petit lac et son regard s’abima dans la contemplation de l’eau.

— Qu’est-ce que tu regardes ainsi ? fit une voix glaciale tout à côté de lui. Ton reflet ?

Sélyna s’agenouilla contre lui, sa main se posa sur sa nuque. Il frissonna.

— Va-t-en, Sélyna, fit-il, d’un ton méprisant.

Sa poigne se resserra, ses doigts s’enfonçant telles des griffes.

— Je me demande ce que tu ressens en voyant ce que tu es réellement, fit-elle, en le relâchant.

Ses poings posés sur ses genoux se serrèrent. Il ne pouvait détacher son regard de son reflet. Il n’avait plus vu ces écailles depuis son adolescence, depuis ce jour où il s’était échappé en courant du manoir de Fleurdys, ce jour où il s’était tailladé lui-même pour les faire disparaitre. Lisses, elles étaient d’un bleu très clair, et des étincelles dorées les parcouraient. Son oreille, plus fine et plus effilée qu’une oreille humaine, était cachée par ses cheveux longs. Ses yeux paraissaient humains mais ils étincelaient d’une lueur qui ne l’était pas. Il tremblait de tous ses membres, de haine pour Sélyna, de peur quant à ses origines, de dégoût pour lui-même.

Relevant la tête, il laissa glisser son regard vers Isobel, assise de l’autre côté du parvis. Elle avait les yeux rivés sur lui.

— Tu crois qu’elle t’aime ? susurra Sélyna au creux de son oreille. Tu n’es qu’une mission pour elle, un pauvre petit être solitaire à sauver.

Ses paroles trouvaient un écho dans son cœur. Il se les étaient déjà dites, dans le secret de son esprit. Et il avait accepté cette possibilité, n’est-ce pas ? Alors pourquoi les mots de Sélyna le blessaient-ils autant ? Il aurait aimé qu’ils ne sonnent pas si vrais. Après tout, il s’était déjà laissé tromper par la mélodie de la chanteuse, alors pourquoi pas par celle d’Isobel.

Les doigts de Sélyna effleurèrent alors la surface de sa peau. Il leva les yeux vers elle et croisa son regard, à la fois fasciné et effrayé. Il se redressa violemment et écarta sa main de lui.

— Ne me touche pas, cracha-t-il.

Sélyna se raidit à cet affront. Ses poings se serrèrent et ses traits se crispèrent. Sa mélodie se déchaina, notes aigues, rythme effréné, sans queue ni tête. Pour la centième fois, il se demanda comment il avait pu aimer cette harpie. Elle grogna et lui asséna une claque. Cynred la reçut sans broncher, son regard ne dévia pas d’un millimètre, mais il sentait sa rage bouillir au fond de lui.

La femme parut sur le point de le frapper à nouveau. Le moment passa et elle se contenta de sourire avec cruauté. Elle se releva et se détourna. Cynred remonta ses genoux contre sa poitrine, y appuya sa tête et ferma les yeux. Il ne voulait plus rien voir, plus rien entendre.

Furieuse, Isobel, qui n’avait pas perdu une miette de la scène, se leva et avança en direction de son ami. Elle s’attendait à ce que Sylf, juste à côté d’elle essaie de l’en empêcher. Pourtant il ne bougea pas. Quant à Valronn, il était de l’autre côté de la place, son attention entièrement prise par l’une des statues. Elle traversa l’esplanade, les poings serrés. Sélyna s’interposa.

— Ne t’approche pas.

— Essaie de m’en empêcher, rétorqua la guerrière, d’un ton froid.

Un sourire carnassier étira ses lèvres. Son ennemie sourit à son tour.

— Avec plaisir, susurra-t-elle

Isobel gardait ses yeux étincelants rivés sur la femme. Autour d’elles, l’obscurité s’épaissit et les engloba doucement. Des filaments noirs s’étendaient vers Sélyna, qui éclata de rire.

— Tu crois me faire peur avec tes illusions ?

Elle porta la main à l’une de ses dagues qu’elle sortit doucement de son fourreau. Isobel, silencieuse, se mit en posture de combat. Les tentacules brumeux s’approchaient de la chanteuse, mais elle n’en avait cure. Soudain, elle porta un coup avec son poignard. Isobel l’évita aisément d‘un bond sur le côté, agrippa son poignet et le tordit de toutes ses forces. Sélyna grogna et dut lâcher l’arme qui tomba sur le sol. Le claquement de l’acier sur la roche sembla se répercuter dans tout le plateau. La chanteuse se débarrassa de son adversaire en lui donnant un coup de poing dans le ventre. Isobel grogna, le souffle coupé, et la lâcha. L’obscurité les maintenait dans une bulle qui empêchait les témoins de la scène de voir exactement ce qui se passait.

La voix furieuse de Valronn se rapprochait, mais elles n’entendirent pas ses mots, tout entières concentrées l’une sur l’autre. Sélyna semblait prendre un plaisir extrême au combat ; la délicate chanteuse superficielle avait entièrement disparu, remplacée par cette combattante avide de sang. La haine viscérale et irrationnelle qu’elle éprouvait pour Isobel faisait briller ses yeux d’un éclat terrifiant.

Sélyna agrippa une autre dague dans sa ceinture et asséna un coup de taille au niveau du ventre de son adversaire. Isobel l’esquiva, la repoussa d’un coup de pied dans l’arrière du genou et recula vers l’autre lame tombée sur le sol, dans l’espoir de la ramasser. Sélyna grogna de douleur, s’affaissa légèrement, mais parvint à garder son équilibre. Elle bondit sur Isobel avant que celle-ci n’ait eu le temps d’atteindre le poignard et la bouscula. La guerrière heurta le sol en grognant. Elle se retourna immédiatement sur le dos, juste à temps pour voir le poignard se précipiter vers son cœur. Elle agrippa le poignet de Sélyna de ses deux mains et banda ses muscles de toutes ses forces. Le visage crispé de Sélyna était juste au-dessus d’elle. Ses yeux étincelaient. Un rictus féroce déformait ses lèvres. Cette femme était la haine et la rage incarnée. La lame descendait inexorablement vers Isobel. L’illusion disparut.

Isobel relâcha sa main droite et porta un puissant coup de poing sur la tempe gauche de son adversaire. Celle-ci glapit et fut légèrement déséquilibrée vers la droite. Le poignard descendit davantage et toucha presque son épaule. Elle souleva sa jambe droite et asséna un coup de genou dans le ventre de Sélyna qui bascula totalement.

Sa prise sur sa dague s’affaiblit et Isobel la lui arracha, puis, dans le même mouvement, la posa sur sa gorge. Sélyna se figea, le souffle court et une grimace de souffrance sur le visage.

— Stop, entendit-elle juste à côté d’elle.

Elle leva les yeux vers Valronn et Sylf, qui la visait de son mousquet. Elle se redressa doucement et tendit sa dague à Sylf, garde en avant. Celui-ci baissa son arme et la prit. Sans un regard pour eux, Isobel se détourna et rejoignit Cynred, qui observait la scène, le visage pâle.


Texte publié par Feydra, 18 août 2023 à 22h43
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