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tome 1, Chapitre 25 tome 1, Chapitre 25

Ils s’enfonçaient toujours plus dans cet entrelac de couloirs, construits par des mains inconnues. Le sol grimpait en pente douce. Ils croisèrent de nombreux couloirs, mais Valronn voulait continuer sur cette voie plus large. Les fresques sur les murs devenaient de plus en plus détaillées et de mieux en mieux conservées : cette partie des ruines ne devaient pas avoir vu la lumière depuis des milliers d’années.

Valronn s’arrêtait régulièrement pour observer les bas reliefs : il prenait des notes et dessinait des croquis. Dans ces moments-là, il avait vraiment l’air d’un archéologue. Malgré lui, malgré les circonstances, Cynred était fasciné par les décorations sur les murs. : des représentations de villes monumentales, à l’architecture étrangère, des silhouettes de créatures à la peau de cristal et vêtues de vêtements luxueux ou guerriers.

Le Duché de la Rosace ne connaissait que les humains et les Elvens. Et puis il y avait lui-même, seulement en partie humain. Il portait en lui une trace de ces êtres, pourtant disparus depuis des centaines d’années. Alors comment pouvait-il exister ?

La musique des lieux étaient pesante, calme et répétitive, à l’image du sommeil millénaire de l’endroit. Cynred avait l’impression que les ruines résonnaient en lui, ce qui était étrange. Habituellement les habitations étaient silencieuses.

Seuls les endroits contenant des pièges comportaient des dissonances. Ils en avaient passé cinq, tous différents. Cynred était épuisé. Sa concentration commençait à vaciller. Mais il se garda bien de demander une pause à ses geôliers. Lorsqu’il trébucha et faillit s’écrouler contre le mur, se rattrapant de justesse avec un grognement, Isobel intervint.

— Nous avons besoin de nous reposer, fit-elle, une main sur son épaule, son regard ferme tourné vers Valronn.

Sélyna eut un grognement de dédain.

— Je suis certaine qu’il peut continuer encore un peu.

Cependant, ses traits tirés montraient à quel point elle était épuisée. Sylf et ses hommes ne paraissaient pas être contre une pause eux non plus. Valronn les regarda tour à tour, puis poussa un soupir.

— Très bien. Quelques minutes seulement. Mais nous ne monterons pas le camp en plein milieu de ce couloir. Selon le plan, nous arrivons.

Isobel scruta le parchemin ancien dans les mains de Valronn. Le criminel lui avait dit que l’un de ses agents l’avait volé dans les archives du Bastion du Verre. Encore un acte méprisable de cette vermine. Et si c’était vrai, cela signifiait que ces créatures – et Cynred - avaient un lien avec la civilisation disparue de l’autre côté des montagnes. Elle préférait ne pas y penser. Elle s’assit contre Cynred qui s’était laissé tomber sur le sol. Elle prit ses mains tremblantes et fronça les sourcils. La chair de ses poignets saignait sous les fers.

— Ça va aller, murmura-t-il, comme s’il avait lu dans ses pensées.

Ou dans ma musique, pensa-t-elle. Il appuya sa tête contre le mur et ferma les yeux. Sélyna, assise en face d’eux, ne cessait de les observer. Isobel sentait la haine qu’elle éprouvait envers elle. Ce ne pouvait être de la jalousie : elle avait Cynred en horreur ; son visage la dégoutait, elle l’avait bien vu. Alors quoi ? Elle n’arrivait pas à la comprendre : cette Sélyna était bien différentes de celle qu’elle avait connue pendant quatre ans. Elle portait donc un masque, comme son père.

Isobel devrait rester prudente. Sélyna n’était pas la frêle et gracieuse jeune fille qu’elle aimait à montrer au monde. Elle était cruelle et elle la soupçonnait d’être une combattante hors pair. Elle entrelaça ses doigts avec ceux de Cynred et riva son regard clair dans ses yeux noirs. Un avertissement traversa l’atmosphère jusqu’à la chanteuse, un message que celle-ci comprit clairement.

Lorsque le groupe reprit la route, Cynred n’était guère plus en forme. Mais la vision que leur torche révéla une heure plus tard lui fit oublier son épuisement : le couloir s’évasait soudain devant eux et tout au fond, culminant à au moins cinq mètres, une monumentale porte en métal sculpté leur barrait la route. Tout le monde regardait l’endroit avec stupéfaction. La salle faisait une cinquantaine de mètres de longueur et autant de largeur et une eau boueuse et noirâtre la remplissait entièrement. Des bulles explosaient à la surface.

Valronn s’avança jusqu’à la limite de la boue et contempla la porte de ses yeux brillants de convoitise.

— Nous avons réussi, souffla-t-il.

— Patron, vous voulez qu’on traverse cette boue, maugréa Sylf. Cela ne me parait pas être une bonne idée.

L’antiquaire baissa les yeux et eut une moue agacée. Il se tourna vers son prisonnier :

— A toi de jouer.

— Ce n’est pas un piège, qu’est-ce que vous voulez que je fasse ?

— Débrouille-toi, sinon …

— Vous vous en prendrez à Isobel, je sais… , termina Cynred sur un ton insolent.

Valronn étrécit les yeux et serra les lèvres, mais il ne dit rien. Isobel sourit discrètement.

Cynred poussa un soupir et s’approcha. Quelque chose était étrange dans la mélodie de l’endroit, une perturbation la déparait. Bien sûr, cela pouvait être dû à la substance même, mais il en doutait. Il plaça la main au-dessus et sentit la chaleur. Ce n’était pas une illusion.

— C’est le seul chemin, assena Valronn, en montrant sa carte. Il doit y avoir un moyen de traverser cette eau.

Cynred se laissa tomber à genoux et ferma les yeux. Il ouvrit ses sens à la mélodie de la boue, occultant toutes les autres, même celle d’Isobel. Le froid l’envahit, mais il tint bon. Il chercha une faille, un mécanisme caché, mais ne trouva rien. Alors il revint vers l’eau et observa attentivement les notes, les déroulant dans son esprit comme s’ils lisaient une partition. Et si … et s’il changeait cette note, que se passerait-il ?

Soudain, des cris retentirent alors que la boue devenait magma. La chaleur effleura son visage. Il effaça immédiatement le changement qu’il avait fait. La voix de Valronn retentit derrière lui ; Isobel répondit, calme, confiante. Il la sentait à ses côtés, sa mélodie protectrice l’entourait maintenant. Les voix effrayées disparurent. Il se concentra à nouveau sur la partition. Comment transformer la boue en eau ? Il se rappela alors une musique qu’il avait écrite en s’inspirant du lac d’Argentlune ; il la visualisa en surimpression et la mélangea avec elle.

De nouvelles exclamations retentirent. Il ouvrit les yeux et les posa sur l’eau cristalline et transparente qui remplissait la salle. Elle était peu profonde. Il enfonça sa main et ses poignets dedans ; elle était fraiche et soulagea un peu sa peau malmenée. Il sourit.

Il se sentit alors relevé de force et plaqué contre le mur. Il grogna sous le choc. Sylf le lâcha et laissa la place à Valronn, qui vrillait son regard froid sur lui.

— Qu’est-ce que tu as fait ?

— Rien qui ne vous concerne, répondit-il avec défiance.

Il était hors de question qu’il ne lui révèle ce qu’il venait à peine de réaliser. Un bruit de métal retentit alors et Isobel poussa une exclamation. Il tressaillit lorsqu’il vit que Sélyna l’avait empoignée et la menaçait de sa dague posée sur sa gorge.

— Réponds à mon père ou je tranche la gorge de ta petite amie.

La terreur l’envahit, mais il la repoussa de toutes ses forces. Isobel n’avait pas peur, elle le regardait sereinement. Il riva ses yeux glacials dans ceux de Valronn.

— Tuez-la et vous n’obtiendrez plus rien de moi. Cette porte restera fermée.

L’antiquaire et son prisonnier se défièrent du regard pendant de longues secondes. Puis Valronn s’écarta.

— Relâche-la.

Sélyna grogna, furieuse.

— Quoi ! Tu ne vas pas te laisser mener par ce monstre !

— Relâche-là ! ordonna Valronn, en plantant son regard d’acier dans les yeux de sa fille.

Celle-ci détourna le regard et obéit. Isobel essaya de se rapprocher de Cynred.

— Sépare-les, ordonna alors Sélyna à Sylf.

Celui-ci agrippa la jeune femme par le bras, avant de l’envoyer vers l’arrière du groupe. Cynred la suivit du regard mais ne se laissa pas aller au désespoir. Sélyna pourrait faire ce qu’elle voulait, jamais elle ne les séparerait. Il regarda celle pour qui son cœur avait battu pendant quatre ans ; elle soutint son regard, mais tressaillit : l’homme était si confiant, si serein, si fort, même prisonnier, même enchainé.

— Nous pouvons traverser, finit-il par dire.

Valronn hocha la tête. Cynred pénétra dans l’eau, qui montait jusqu’à ses chevilles. Le groupe le suivit. Ils s’immobilisèrent face à la porte titanesque. De près ils pouvaient discerner les gravures, étonnamment préservées. Deux créatures, identiques à celles qu’ils avaient croisées sur les fresques, debout face à face, se regardaient fixement.

Celle de gauche semblait féminine et était drapée dans une armure ; elle tenait un bouclier sur l’un de ses bras et une épée, pointe vers le bas, dans sa main droite. Une couronne ceignait son front haut et sa longue chevelure torsadée tombait sur son dos.

Face à elle, une silhouette masculine, vêtue d’une robe longue, un sceptre dans la main droite et l’autre main levée vers le ciel. De la lumière paraissait jaillir d’un anneau sur l’un de ses doigts.

Les sbires de Sylf, blafards, tremblaient et chuchotaient entre eux. Sylf fixait un regard froid sur l’obstacle. Valronn était aux anges et Sélyna gardait un visage impassible. Isobel était fascinée et terrifiée. Cette porte lui rappelait tellement les ornements que l’on pouvait encore voir dans certains endroits du Bastion du Verre. Ces êtres étaient donc bien de l’espèce des Sérantides, le peuple qui avait maintenu ses ancêtres en esclavage pendant des millénaires. Un frisson la parcourut. Cynred, quant à lui, entendait la mélodie tonitruante de la porte. C’était impossible, et pourtant, elle avait commencé quand il s’était approché, comme si elle l’attendait, et se répétait en boucle devant les yeux de son esprit.

Je peux l’ouvrir, réalisa-t-il. Mais le voulait-il ? Ils étaient coincés, il ne leur resterait qu’à repartir en sens inverse. Mais que ferait Valronn, dans la fureur de sa déception ? Il tuerait Isobel et lui peut-être aussi. Et si, derrière, il découvrait quelque chose qui lui apprendrait d’où venait cette part de lui ?

Dans un cliquetis de chaine, il posa la main sur la porte. Rien ne se passa. Alors il interrompit la boucle mélodique. Un bruit d’engrenages et de poulie résonna autour d’eux et les deux battants s’éloignèrent l’un de l’autre en soulevant un torrent de poussière. La vision de Cynred se brouilla et il vacilla. Quelqu’un l’empoigna pour l’empêcher de s’effondrer et le soutint, le temps qu’il reprenne pied. Des exclamations de surprise, d’excitation et de terreur retentissaient autour de lui.

Un vent froid s’engouffra dans le tunnel. Les yeux écarquillés, ils découvrirent au-dessus d’eux la voûte céleste et, devant eux, des bâtiments.


Texte publié par Feydra, 18 août 2023 à 22h43
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