Ombrepierre était une cité impressionnante par son allure martiale : une haute muraille, faite des pierres tirées de la montagne, protégeait la ville intérieure. C’était un demi cercle, accolé contre une énorme falaise, au pied des Monts Dorés, dont l’un des sommets veillait sur la cité. Un donjon rectangulaire culminait à une quinzaine de mètres et tout autour des maisons de pierres s’accumulaient.
Cynred n’avait encore jamais aperçu cet endroit. Heureusement qu’ils n’auraient pas à y entrer : un sentiment de claustrophobie l’envahissait juste en la contemplant de l’extérieur.
Il remonta la vieille écharpe qui recouvrait le bas de son visage. L’air était frais et, maintenant que le soleil était couché, deviendrait de plus en plus glacial. La Saison des Glaces n’était pas encore là, mais dans le nord du Duché, on en avait un bel aperçu. Il faillit remettre son masque, tant il avait l’impression d’être nu, mais il se retint. En observant les gens autour de lui, il avait compris qu’Isobel avait raison : ses cicatrices attireraient moins l’attention que son masque.
Le marché qui s’étalait au pied des murailles, le long de la route et dans les prairies vallonnées qui les jouxtaient, étaient encore très animés malgré la température. Les étals remplis de vêtements chauds, de nourriture, d’outils variés et de petits meubles ne désemplissaient pas, ce qui était parfait pour Isobel et lui.
Il avait acheté de la nourriture, pendant qu’elle se rendait au corral pour se procurer des chevaux. Elle n’avait pas pu emporter beaucoup d’argent en s’enfuyant: il espérait que cela serait suffisant. En attendant qu’elle le rejoigne, il furetait au milieu des marchands de vêtements, et laissait ses sens surnaturels écouter les mélodies des gens, même s’il avait du mal à faire le tri entre toutes les auras.
Soudain, alors qu’il observait distraitement les portes de la ville, encore grande ouvertes, il lui sembla reconnaitre quelqu’un. Il étrécit les yeux et retint un juron : Sylf, la brute qui commandait les sbires de Valronn, discutait avec un garde. Il le vit distinctement donner un objet au soldat puis s’éloigner vers la gauche. Cynred se décala pour regarder où il allait et il se figea : là, juste avant les écuries, près d’un horloger, il vit Isobel et, face à elle, Sélyna.
Un frisson glacial parcourut ses muscles et son cœur se serra. La fille de Valronn était vêtue d’un plastron et d’un pantalon en cuir, qui lui seyait à ravir, mais qui correspondait plus à un spadassin qu’à une délicate chanteuse. La dague et me mousquet à sa ceinture confirmaient cette impression. Ses cheveux d’or bouclés étaient réunis en une queue de cheval et elle ne portait aucun des bijoux qu’elle préférait. Son visage était déformé par un rictus qui allait parfaitement bien avec la lueur glaciale de ses yeux. De toute évidence elle n’était pas enchantée par ce que lui disait Isobel.
Tout en contrôlant sa panique, il examina les environs. Sélyna et Sylf ne devaient pas être seuls. Mais comment distinguer les mélodies de criminels qui essayaient de ne pas se faire remarquer de celles des simples clients et marchands ? Un peu partout dans le marché, il repéra plusieurs hommes et femmes armés et vêtus comme les spadassins qui les avaient agressés dans la forêt. Il n’était pas repéré pour l’instant.
Reportant son attention sur Isobel, il laissa sa mélodie calme et confiante le calmer. Il sentait bien quelques dissonances, qu’il associa à la peur, mais elles étaient minimes. Comme d’habitude, la guerrière se contrôlait superbement. Cynred savait que Valronn n’hésiterait pas à tuer Isobel, si elle ne lui était plus d’aucune utilité. Seul sa présence pouvait la protéger : pour une raison mystérieuse, il avait besoin de lui vivant.
Décidé, il se glissa hors de sa cachette et traversa la route pour rejoindre les deux femmes. Sylf fut le premier à le voir et il lut comme un avertissement sur son visage. Ce qui surprit encore davantage le jeune homme, c’est qu’il ne prévint pas sa chef. Cynred continua sa route et descendit sa capuche et son foulard, pour qu’elle puisse le reconnaitre. Elle leva soudain les yeux et un sourire étira ses lèvres.
Cynred avança les mains bien en évidence. Isobel s’était retournée et vrillait ses yeux clairs sur elle. Il y lut un léger reproche, mêlé de soulagement. Il vit des silhouettes se déplacer autour d’eux : les hommes de Sylf se mettait en position. Le compositeur envisagea un instant d’appeler à l’aide, d’alerter les gardes, mais après avoir vu l’échange entre Sylf et le soldat, il doutait que cela soit d’une quelconque utilité pour eux. Non. Il allait devoir affronter Valronn.
Il s’arrêta aux côtés d’Isobel, se retenant de la toucher.
— Tu me cherchais, Sélyna ?
La jeune femme l’examina un instant. Elle sourit, mais Cynred perçut clairement ce dégoût qu’elle réprima. Elle leva la main et effleura sa joue droite.
— Tu m’as manqué, tu sais, minauda-t-elle.
Cynred ne bougea pas, aussi glacial qu’une statue de marbre.
— Toujours aussi bonne actrice, à ce que je vois.
Sa main et son sourire se figèrent.
— Je sais que ton père a besoin de moi vivant, continua-t-il sans lui laisser le temps de prendre la parole. Laisse partir Isobel et je te suis sans rechigner.
Un éclair de fureur traversa son visage. Son poing se serra et il crut une seconde qu’elle allait le frapper. Puis le sourire revint.
— Père vous veut tous les deux.
— Alors que les choses soient bien clair, fit-il d’une voix aussi tranchante que l’acier, si vous lui faites du mal, vous n’obtiendrez rien de moi.
Sélyna parut décontenancée par l’assurance de son prisonnier. Puis elle fit un pas en avant et se colla contre lui. Sa main caressa son cou et sa joue. Elle murmura doucement :
— Père obtiendra ce qu’il veut de toi, avec ou sans cette fille. Je te conseille de faire ce qu’on te dit, ou tu souffriras tellement que tu mendieras la moindre de mes attentions pour obtenir un répit.
Cynred resta de marbre à ses caresses. Il sourit et lui répondit sur le même ton :
— Tu es incapable de me briser.
La jeune femme recula soudain comme si elle avait été frappée. Avec ses yeux étrécis et sa bouche crispée on aurait dit qu’elle portait un horrible masque. Cynred la contemplait froidement. Le jeune homme énamouré avait complètement disparu, remplacé par cet homme sûr de lui. Elle se mit à trembler sous son regard, car elle y discernait quelque chose de nouveau et de puissant. Elle aurait voulu le gifler, mais elle se contint : ils ne devaient pas se faire remarquer. Elle aurait l’occasion de lui faire payer.
Plaquant un sourire sur son visage, elle enchevêtra son bras avec celui de Cynred et l’entraina vers la sortie du marché. Il se laissa faire sans protester. Isobel et Sylf suivirent en silence. Lorsqu’ils atteignirent l’enclos où ils avaient parqué leur charriot et leurs chevaux, leurs sbires les avaient rejoint. Sélyna lâcha son prisonnier et fit un signe à Sylf. L’homme s’approcha de Cynred avec des menottes. Le jeune homme soupira.
— Est-ce vraiment nécessaire ?
— Non. Mais j’en ai envie, fit Sélyna, avec un sourire cruel.
Cynred se laissa enchainer, tout en s‘efforçant de repousser la terreur qui s’empara de lui à l’idée d’être privé de liberté. Isobel se garda bien d’intervenir, mais ses lèvres étaient crispées en une fine ligne et ses poings serrés.
— Ma chérie, susurra la chanteuse, je pense que ce n’est pas la peine que je te l’explique, mais je préfère que cela soit clair dans ton esprit : si tu tentes de t’échapper, c’est ton protégé qui en paiera le prix.
Isobel vrilla son regard miroitant de haine dans les yeux azur de son ennemie.
— Je ne l’abandonnerai pas.
Sélyna éclata de rire.
— Vous me rendez vraiment les choses trop faciles, tous les deux.
Elle se détourna alors vers l’un de ses hommes.
— Elle chevauchera devant avec moi. Il ira dans le chariot. Allez.
Cynred échangea un regard désolé avec Isobel avant d’être forcé de grimper dans un chariot rempli de matériel. Il s’installa le plus confortablement possible contre une caisse. Les chaines à ses poignets pesaient lourd et il se les massa en grimaçant. Il détestait être entravé ainsi.
Lorsque le véhicule s’ébranla, il sentit son cœur se serrer. La terreur menaçait de l’emporter à nouveau. Il n’avait aucune idée de l’endroit où ils allaient et de ce que voulait Valronn, mais il se doutait qu’il aurait son lot de souffrance avant la fin de cette histoire. Il espérait juste qu’Isobel en sortirait vivante.
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