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tome 1, Chapitre 20 tome 1, Chapitre 20

Pelotonné dans sa cape et une couverture qu’ils avaient découverts dans la vieille cabane, Cynred oscillait entre le sommeil et la conscience. Heureusement, sa migraine était devenue supportable. Mais il était épuisé et ne rêvait que de sombrer dans un sommeil sans rêve. Encore aurait-il fallu qu’il se sente suffisamment en sécurité. La lumière s’amenuisait de plus en plus, annonçant une nouvelle nuit dans la nature.

Ils avaient marché toute la journée, s’enfonçant dans la forêt, afin de s’éloigner du village et du lieu du combat. Aucun signe de poursuite ne les avait dérangés mais ils étaient tous les deux sans cesse aux aguets. Après deux jours en compagnie d’Isobel, quand ils avaient fui Argentlune, une certaine insouciance avait germé dans son esprit. Il avait apprécié ces quelques jours en pleine forêt, malgré les circonstances. Son esprit était enchanté par les mélodies qu’il percevait autour de lui et son cœur par Isobel.

La réalité avait repris ses droits d’une bien cruelle façon. Dès qu’il fermait les yeux, il entendait les hurlements de ceux qu’il avait failli tuer en les ensevelissant sous des tonnes de roche. Le jeune homme se frotta les yeux et grimaça. Il ne parviendrait pas à trouver le sommeil. Pas tant qu’elle ne serait pas rentrée. Il se leva du grabat sur lequel il était allongé, drapa la couverture rêche sur ses épaules et se dirigea vers la table, en frissonnant. Il attrapa la gourde posée dessus et en but une longue gorgée. La pièce devenait glaciale à mesure que la chaleur du soleil disparaissait. Pourtant ils n’avaient fait aucun feu, de peur d’alerter d’éventuels poursuivants.

Lorsqu’Isobel entra dans leur spartiate refuge, elle découvrit son compagnon, au même endroit, le regard perdu à travers les vitres sales de la fenêtre. Il était blafard, les yeux écarquillés, des cernes creusaient ses yeux.

— J’ai effacé nos traces du mieux que j’ai pu, fit-elle, en s’installant près de lui.

Immédiatement, il se rapprocha et partagea la couverture avec elle. Elle se pressa contre lui avec un soupir de contentement. Elle jeta un regard sur le pavillon de chasse. Les murs de bois étaient noircis par l’humidité et ils laissaient passer l’air frais de la nuit. Une bonne couche de poussière recouvrait le sol et de grosses toiles d’araignées ornaient les poutres et les coins. Sur des étagères branlantes étaient alignés des pots pleins d’un contenu impossible à reconnaitre ainsi que des ustensiles de cuisine. De vieux vêtements de cuir usés étaient pendus à des crochets près de la porte. Cet endroit semblait abandonné et c’était exactement ce dont ils avaient besoin.

— Nous aurons au moins un toit sur notre tête pour dormir cette nuit.

— Nous devrions continuer, fit-il d’une voix rendue rauque par la fatigue.

— Non. Nous sommes épuisés. Ce n’est pas idéal, mais nous devons nous reposer. Demain matin nous partirons pour Ombrepierre. S’arrêter dans ce village était une mauvaise idée.

— Nous en avions besoin, Isobel.

— J’ai pris un risque inconsidéré.

Elle se tourna vers lui et l’examina attentivement. Il lui rendit son regard. Il était hanté depuis l’attaque. Elle l’avait bien vu, mais Ils n’avaient pas eu l’occasion d’en discuter. Et pourtant il le fallait. Elle enchevêtra ses doigts avec les siens.

— Tu as réussi à dormir ?

— Non. J’étais inquiet pour toi. Et …

Il se mordit les lèvres et détourna les yeux.

— Je crois savoir ce qui te tracasse, Cynred. Mais il faut que tu m’en parles.

— Cela n’est pas nécessaire, murmura-t-il.

Elle le sentait se refermer tout doucement. Isobel serra davantage sa main, de peur qu’il ne la retire.

— Je pense que si, continua-t-elle. Ce que tu as fait là-bas était extraordinaire …

Un rictus déforma son visage et ses yeux avaient pris un éclat glacial quand il se tourna vers elle.

— J’ai failli tuer deux personnes, Isobel, et nous ensevelir sous des tonnes de roches. Je n’appellerais pas cela « extraordinaire ».

— Tu n’avais pas le choix. Et tu ne les as pas tués.

— J’étais terrifié. J’ai souhaité qu’ils soient ensevelis dans ces rochers. J’ai voulu leur mort ! Je n’avais jamais …

Il s’interrompit soudain alors que le souffle lui manquait. Il sentait son cœur se serrer, sa poitrine sur le point d’éclater et la migraine reprendre de la puissance. Il prit une profonde inspiration, essayant de se calmer et échouant lamentablement. Isobel caressait doucement sa main. Pourquoi était-elle encore avec lui ? Pourquoi ne l’avait-elle pas rejeté ? Pourquoi ne le regardait-elle pas avec mépris et horreur ? Il était pourtant un monstre.

— Tu devrais partir. Je suis dangereux, souffla-t-il quand il put reprendre le contrôle de sa voix.

Il sentit Isobel se serrer encore davantage contre lui et se glisser sous son bras, leurs mains toujours enserrées. Il ouvrit entièrement son esprit à sa mélodie et son cœur s’apaisa. Déesse ! Elle était devenue si importante pour lui ! Comment survivrait-il si elle le quittait ?

— Je n’ai pas peur du danger. Je n’ai pas peur de toi.

— Même après …

Sa voix se brisa. Il se haïssait d’être aussi faible.

— Comment as-tu fait ? continua Isobel, en choisissant d’ignorer sa réplique.

— Je ne sais pas vraiment. Si je me concentre vraiment, je vois la musique des choses et des gens se dérouler dans mon esprit sous la forme d’une partition. Et je l’ai réécrite. Cela a altéré l’état de la roche. Je n’avais jamais fait ce genre de choses avant.

Isobel sentit le cœur de son ami accélérer au fur et à mesure qu’il avançait dans son explication. Cela le terrifiait.

— Je maintiens ce que j’ai dit : ton pouvoir est extraordinaire.

— Et si je perdais le contrôle. Si je détruisais un pont, une maison… si je tuais des innocents ! fit-il, en rivant ses yeux étincelants de larmes dans ceux de sa bien-aimée.

Elle accrocha son regard sans ciller.

— C’est pour cela que tu dois apprendre à le maitriser. Je te fais confiance : tu l’utiliseras pour les bonnes raisons. Cette capacité s’est déclenchée parce que tu avais peur pour moi. Tu m’as sauvé la vie, Cynred.

Il la considéra un long moment.

— Un juste retour des choses, finit-il par répondre, avec un léger sourire.

Une chaleur bienfaisante remonta le long des muscles transis de la guerrière. Déesse ! Comme elle aimait ses regards et ses sourires ! Elle déposa un baiser aussi léger qu’une aile de papillon sur ses lèvres.

— Je n’ai jamais rencontré personne avec tes capacités. Nous ne connaissons pas cette magie. Je pense qu’aucun autre être humain ne la possède.

Cynred se figea et Isobel regretta immédiatement ses paroles. Il recula légèrement et elle crut qu’il allait se détacher d’elle et s’éloigner. Il l’examina en silence un long moment et elle attendit, le cœur battant follement.

— Tu ne m’as jamais demandé d’où viennent mes cicatrices.

Elle cligna des yeux, interdite.

— C’est moi qui me les suis faites, continua-t-il, sans la quitter des yeux. Les cicatrices ne font pas de moi un monstre, mais ce qui ce cache dessous, oui.

— De quoi parles-tu ? souffla-t-elle.

— Je ne peux pas te montrer. Mais je suis né avec des … caractéristiques physiques qui ne sont pas humaines. Mon visage représente ce que je suis : à moitié humain, à moitié … autre chose.

Lorsqu’il se tut, Isobel relâcha sa main et recula légèrement. Ce qu’il racontait n’avait aucun sens. Il n’existait pas d’autres espèces que les humains et les Elvens. Plus depuis des centaines d’années. Un éclair de tristesse traversa le visage de Cynred, mais il ne dit rien, ne bougea pas, ne la lâcha pas du regard. Il cherchait sur son visage la peur, l’horreur, le dégoût peut-être. Le silence s’étira entre eux, mais il ne fit rien pour le rompre.

— C’est donc cela, se dit Isobel. Ce qui le rend si différent, l’explication de l’existence de son pouvoir. Ses sens perçoivent le monde d’une façon que les nôtres ne peuvent maitriser. Il a accès à une autre magie que la nôtre, car il ne fait pas partie de notre espèce. Pas entièrement. C’est fascinant !

Puis elle remarqua le désespoir qui faisait briller son regard d’une lueur éthérée. Elle sourit et lui caressa la joue gauche. Il frémit et ferma les yeux quelques secondes.

— Regarde-moi bien, Cynred. Tu es bien plus humain que bon nombre des représentants de ton espèce. Je sais ce que c’est de se sentir différent.

— Je n’ai jamais …

Elle posa une main sur ses lèvres et sourit.

— Bien-sûr que non. Toi aussi, tu sais ce que c’est, fit-elle avec douceur. Tu n’es pas un monstre à mes yeux et tu ne le seras jamais. Je suis simplement très triste que tu aies eu à cacher ce que tu étais d’une manière aussi douloureuse.

— Je ne sais pas qui je suis, Isobel.

— Alors voilà une bien meilleure raison de nous rendre au Bastion du Verre.

— Pourquoi ?

— Les gens de mon peuple ont une histoire complexe. Nous possédons des connaissances et une vision du monde que le reste du Duché n’a pas. C’est là-bas que tu as le plus de chance de trouver des réponses et d’apprendre à maitriser ton pouvoir.

— Tu… tu ne me hais pas ?

La guerrière reprit sa main et la serra contre son propre cœur.

— Jamais, Cynred.

La vague de soulagement qui l’envahit le laissa pantelant. Il sourit et l’embrassa avec douceur.

— Nous ferions mieux de dormir, si nous devons partir au lever du soleil demain, fit-il.

Elle hocha la tête. La nuit avait totalement sombré sur leur petit coin de forêt sans qu’ils ne s’en rendent compte. Seuls les sons des animaux et du vent dans les branches les accompagnaient. Cynred observa les environs avec son esprit à la recherche de mélodies dissonantes, mais tout ce qu’il sentit fut la paix et l’harmonie. Isobel invoqua une petite sphère de lumière qui les suivit jusque sur le matelas de fortune posé dans un coin. Cynred s’installa et Isobel se lova contre lui sans hésiter. Le sommeil s’empara de leurs corps épuisés en quelques minutes.


Texte publié par Feydra, 18 août 2023 à 22h36
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