Les mercenaires poussèrent un juron. Isobel jaillit de sa cachette et avant que son adversaire n’ait pu réagir, elle asséna un puissant coup du pommeau de sa dague sur sa tempe. L’homme, les yeux exorbités, darda un regard surpris sur elle. Il vacilla et laissa tomber son épée.
L’autre homme se tournait vers elle avec une rictus de haine. Elle propulsa sa victime vers lui et recula dans les ombres, disparaissant à nouveau à sa vue. Le bandit fit un pas de côté et laissa son sbire s’écraser sur le sol. Sans un regard pour son compagnon, il recula d’un pas et observa la scène. C’était comme si des ténèbres bouillonnantes avaient envahies l’espace entre les rochers. L’homme cracha.
— Saleté de mage ! Si tu crois me faire peur avec tes illusions, tu te fourres le doigt dans l’œil, cria-t-il. Vous êtes coincés. J’ai plus qu’à attendre que tu t’épuises et je vous cueillerai tous les deux.
Haletante à cause de l’énergie que le maintien de son illusion lui coûtait, Isobel sentit Cynred la rejoindre malgré l’obscurité. Elle sourit, réconfortée par cette certitude qu’il la retrouverait toujours.
— Ouais, fit la voix de son père dans son esprit. Sauf dans la mort.
— La ferme, fit-elle en serrant les poings.
L’illusion de sa compagne envahissait les sens surnaturels de Cynred, qui avait du mal à retrouver les mélodies de leurs poursuivants. La brute les narguait toujours juste à l’entrée du passage. Il n’avait pas tort : tôt ou tard, Isobel s’épuiserait. L’impression d’un danger imminent ne le quittait pas. Il devait trouver les trois autres.
— Allez, ma belle. Tu sais quoi, je manque de temps. Tout ce que je veux, c’est ton mec. Tu nous le laisses et tu n’as qu’à t’en aller.
La fureur d’Isobel ne cessait de s’amplifier. Elle la canalisa. Elle devait garder son calme ou elle ne sortirait pas vivante d’ici et le sort de Cynred serait pire encore. Elle serra le bras de son compagnon, pour s’apaiser.
— Tu le sens ? souffla-t-elle.
— Attends, fut la réponse, prononcée d’une voix rauque et légèrement tremblante.
Isobel fronça les sourcils. Souffrait-il ?
— A l’entrée du défilé. Mais je ne vois pas les autres.
La main d’Isobel effleura la sienne puis elle s’élança en silence. L’homme ne cherchait plus à être discret et elle n’eut aucune peine à le rejoindre. Elle jaillit de l’obscurité, l’épée au clair. L’homme, surpris, eut juste le temps de lever sa propre lame pour parer le puissant coup. Il grogna, mais tint bon.
Isobel profita de l’effet de surprise en portant un coup de son genou dans le flanc de son adversaire. Il gémit et se désengagea en reculant d’un pas. Isobel sentit soudain une présence sur sa gauche : contournant le rocher, un autre sbire se jeta sur elle et tenta de planter son épée dans son ventre. Elle évita le coup d’un mouvement agile. Déséquilibré, l’autre trébucha et son fer ricocha sur la paroi rocheuse.
Avec un rire, le chef porta un coup sur son côté droit. Elle leva son épée pour parer, mais ne vit pas le poing gauche qui percuta sa poitrine. Le souffle coupé, elle recula, cherchant à disparaitre à nouveau dans les ténèbres.
— Oh non, fit le chef en se jetant sur elle.
Son sbire en fit autant par la gauche et elle fut forcée de parer son coup d’épée : leurs deux lames s’entremêlèrent et elle lutta pour le repousser. Du coin de l’œil, elle vit la lame du premier se précipiter vers son ventre. Au dernier moment, elle se décala d’un pas sur le côté et le métal déchira sa chair sur son flanc gauche. Elle grogna. Le spadassin déséquilibré dut se rattraper. Finissant son mouvement, elle donna un coup de coude dans le visage de l’autre ennemi. Elle entendit un craquement suivi d’un cri. Elle arracha son épée, emportant l’autre lame, qui alla se ficher dans le sol. Reculant encore, elle se retrouva à nouveau face à ses deux adversaires. Le sbire gémissait en se tenant le visage à deux mains. Isobel sentait une brulure sur son flanc, mais elle serra les dents, ignora la douleur. Elle ne devait laisser aucun répit à ses adversaires, ou ils atteindraient Cynred. Et c’était impensable.
Cynred ne parvenait pas à voir le combat. Il entendait des bruits – métal, le souffle des combattants, quelques paroles, des grognements de souffrance- ; il percevait les mélodies agitées, mais il n’arrivait pas à donner du sens à toutes ces sensations. Prenant une profonde inspiration pour contrôler sa panique, il se concentra pour retrouver les mélodies. Son crâne était en feu à cause de sa migraine, mais il ignora la douleur. Il retrouva d’abord celle d’Isobel et grimaça face aux notes dissonantes que sa fatigue et ses blessures y ajoutaient. Puis celles de ses deux adversaires. Enfin, après de longues secondes de recherche, il découvrit les deux dernières. Il se figea. Là haut ! Sur les rochers ! Ils avaient grimpé et ils se tenaient au-dessus d’eux. Qu’allaient-ils faire ?
Se focalisant sur Isobel, il avança jusqu’à la limite des ténèbres, à quelques mètres des combattants. Il se glissa à l’extérieur, sans que personne ne le remarque. Se plaquant contre la paroi opposée, il leva le regard et aperçut la pointe d’une flèche, braquée sur Isobel, qui se démenait comme une diablesse pour se débarrasser de ses ennemis. Du sang coulait de son flanc. Il retint son souffle quand la flèche partit : heureusement, le spadassin devait être un mauvais tireur, car le projectile ne fit qu’effleurer son visage. Le sang coula sur sa joue et elle vrilla son regard sur ce nouvel adversaire, avant de reporter son attention sur le danger le plus proche.
La fureur et la terreur envahirent Cynred. Un bourdonnement emplit son esprit qui se colorait d’une lueur rougeâtre. Étrangement, les mélodies lui apparurent encore plus distinctement : celles d’Isobel, celles de ses assaillants, même celles des arbres non loin et des rochers.
Il se concentra sur l’énorme rocher. Sa musique lente et sourde s’étalait dans son esprit telle une partition. Le sbire préparait une autre flèche. Dans quelques secondes, elle allait filer vers sa bien-aimée, la faucher en plein combat. Il devait agir ! Il ne pouvait pas la regarder se faire tuer, parce qu’elle voulait le protéger. Si seulement la roche les engloutissait ! songea-t-il rageusement. Il sentit alors un frémissement dans l’aura minérale et, devant les yeux de son esprit, quelques notes furent modifiées.
Soudain, un grondement sourd monta des profondeurs rocheuses ; le sol sous leur pied trembla ; des cris surpris retentirent, alors que le surplomb sur lequel étaient cachés les deux sbires se craquelaient. Les combattants s’interrompirent et levèrent des yeux surpris vers la source du bruit. Même le premier homme, le crâne en sang, rampait pour s’éloigner des parois. Les ennemis perchés là-haut s’efforçaient de quitter ce terrain instable. Une secousse plus forte les précipita vers le sol. Les deux adversaires d’Isobel, les yeux écarquillés, pâles et terrifiés, s’agrippaient à leurs armes comme si elles pouvaient les sauver.
L’obscurité disparut. Où était Cynred ? Elle l’aperçut, tout près d’elle. Son regard accrocha ensuite ses yeux étincelants, dont la pupille avait été englouti par l’azur et elle comprit.
L’énorme rocher se craquelait maintenant sur toute sa hauteur, des morceaux de rocs sombraient sur le sol de terre, qui commençait à se fissurer. Cynred ne pouvait détacher son regard de la partition qui était en train de se réécrire – qu’il était en train de réécrire. Des hurlements de terreur et de douleur explosèrent au moment où les deux sbires commencèrent à perdre pied sur le sol qui s’effondrait. Ils vont mourir écrasés sous des tonnes de roches. La réalité de ce qu’il s’apprêtait à faire le heurta comme une tonne de briques.
— Non, grogna Cynred.
La pression dans son crâne augmenta d’un cran alors qu’il essayait de sauver les deux hommes. Il s’appuya sur la paroi derrière lui. Les deux adversaires d’Isobel se relevèrent en chancelant et s’enfuirent. Isobel se précipita vers son ami et l’agrippa.
— Il faut filer, fit-elle.
L’homme masqué mit quelques secondes à réagir, puis son regard se focalisa sur elle et il prit une profonde inspiration.
— Allez !
Elle le tira et ils s’éloignèrent en courant de la masse rocheuse qui s’effondrait. Les rochers se liquéfièrent en des millions de petits cailloux et les criminels furent entrainés avec eux alors qu’ils s’écoulaient sur le sol. Il faillit emporter les fuyards sur son chemin.
Toussant et crachant, ils s’effondrèrent quelques mètres plus loin et posèrent leurs yeux terrifiés sur les décombres. Cynred tremblait de tous ses membres. C’était lui qui avait fait ça ? Son souffle haletant et douloureux avait du mal à quitter ses poumons et sa vision était brouillée par les larmes. Son cerveau pulsait sous les éclairs de douleur. Il chercha du regard ses victimes.
Sonnés, le visage couvert de petites coupures, ils regardaient autour d’eux d’un air hébété. Puis ils se levèrent en chancelant. Lorsque leurs yeux se posèrent sur Cynred, ils pâlirent et déguerpirent en courant.
Isobel, serrée contre lui, essayait de reprendre sa respiration. Le combat avait été éprouvant et maintenir son illusion l’avait drainée. Des tremblements la secouaient et son esprit peinait à donner du sens à ce qui venait de se produire. Aussi n’eut-elle pas le temps de voir l’attaque avant qu’il ne soit trop tard. Elle entendit des bottes sur le sol couvert de cailloux et leva les yeux juste à temps pour voir la lame sale d’une épée se précipiter vers son cou. Au moment où le coup allait l’atteindre, elle se sentit poussée vers le sol. L’épée passa à quelques millimètres du masque de Cynred, penchée sur elle.
Un hurlement de rage retentit et elle vit distinctement le visage maigre et pâle du chef des criminels.
— Saloperie de mage, cria-t-il.
Visiblement secoué, il tremblait de tous ses membres ; la terreur et la fureur se disputaient dans son regard fou. La lame se rapprocha lentement d’eux. Un rictus de haine et de folie tordait son visage. Son attention était entièrement focalisée sur la jeune femme.
Cynred agrippa la dague à la ceinture de sa bien-aimée et avec un hurlement de rage la planta de toute ses forces dans le pied botté. La lame effilée transperça le cuir et le sang jaillit. L’homme blêmit et cria de douleur. Cynred s’empressa de se relever en entrainant la guerrière.
Celle-ci ramassa son épée tombée sur le sol et regarda la vermine qui les avait traqués arracher le poignard et le jeter au loin.
— Je vais vous tuer, tous les deux ! siffla-t-il.
Son épée tressautait dans sa main et il vacillait. Isobel sourit, et se mit en position, l’épée levée. Elle avait retrouvé son calme et sa posture était assurée.
— Tu es certain que ça en vaut le coup, fit soudain Cynred, écœuré. Regarde dans quel état tu es. La déesse sait où sont passés tes sbires.
L’autre cligna des yeux, soudain hésitant.
— Valronn …
— Le règne de Valronn est proche de sa fin, continua le jeune homme, feignant une certitude qu’il n’avait pas vraiment. Quoi qu’il ait promis, il ne pourra pas l’honorer. Planque-toi pendant quelques mois. Mais si tu nous attaques, tu vas mourir.
Le spadassin les considéra un long moment. Puis il baissa son épée et recula lentement. Isobel le suivit des yeux, sans baisser sa garde. Elle ne se détendit que plusieurs minutes après qu’il eut disparu dans les arbres.
Alors elle rengaina son épée et se tourna vers Cynred immobile derrière elle. Son regard était rivé sur elle. Les poings serrés, il tremblait. Isobel ne savait pas comment il avait fait, mais il lui avait sauvé la vie.
Elle posa une main sur sa poitrine, sentant son cœur battre à tout rompre. La main du jeune homme alla rejoindre la sienne et la serra de toutes ses forces.
— Tu vas bien ? souffla-t-il.
— Épuisée.
— Tu saignes.
— Une estafilade. C’est douloureux, mais sans danger.
Cynred ôta son masque de sa main libre et le laissa tomber sur le sol.
— Isobel…, commença-t-il
Elle se serra contre lui et l’embrassa. Cynred se figea, surpris, puis il s’abandonna à la vague de chaleur qui l’embrasa et l’enserra dans ses bras, lui rendant son baiser.
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