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tome 1, Chapitre 16 tome 1, Chapitre 16

Installé dans le réfectoire désert à cette heure tardive, Sirian se frotta les yeux. Il souleva distraitement sa tasse de thé, en prit une gorgée et grimaça. Le thé qui le maintenait éveillé était froid. Il se leva et rejoignit la cheminée au fond de la salle. Nichée au cœur des braises, une théière attendait que l’on profite de son nectar. Il remplit sa tasse et se retourna. Il se figea une seconde quand il vit qui l’avait rejoint, puis il revint à sa place.

Katria, appuyée sur sa table, le regarda approcher avec un petit sourire. Elle était splendide, comme d’habitude : sa tunique bleue, sans manches, tombait sur un pantalon noir très seyant et rehaussait la teinte mordorées de sa peau. Ses yeux entièrement émeraude, sans pupille, le détaillaient avec attention et son sourire finit par disparaitre. Ses yeux se plissèrent et il y distingua une lueur d’inquiétude. Ses cheveux très noirs étaient réunies en une dizaine de tresses, ornées de perles et de bijoux, qui tombaient sur ses épaules et son dos. Son visage était fin et quelques rides ornaient les coins de sa bouche et de ses yeux. Elle ne portait ni ses armes, ni son manteau, mais son insigne était épinglée en haut de sa tunique.

— Tu as l’air épuisé, Sirian.

Celui-ci eut un sourire fatigué.

— Bonsoir à toi aussi, Katria.

Il s’assit à sa place et elle se laissa tomber sur la chaise d’à côté. Elle jeta un coup d’œil aux feuillets éparpillés sur la table.

— Ton rapport aurait pu attendre demain. Wolfhall ne va nulle part.

— Je n’arrive pas à dormir, autant l’écrire tout de suite, tant que les évènements sont encore frais dans ma tête.

— Qu’a donné l’interrogatoire ?

— Étant donné que je l’ai pris en flagrant délit et qu’il sait que je l’ai vu sortir de chez Valronn, il a tout déballé. Cela fait des année que Valronn, au milieu des tableaux et des statues, fait sortir du Duché des grimoires.

— Cela sent l’incident diplomatique.

— Ce n’est pas parce que le Duché interdit une utilisation libre de la magie, que cela doit être le cas partout ailleurs, fit Sirian, avec mauvaise humeur.

Katria haussa un sourcil. Il lui jeta un regard, puis soupira.

— Excuse-moi.

— Évidemment, fit-elle, en lui caressant la joue. Est-ce que cela signifie qu’Acrétius va bientôt pouvoir quitter ces lourdauds ?

Sirian sourit.

— Dès que nous aurons arrêté Valronn. Avec ce témoignage, cela ne devrait plus tarder.

Et Isobel sera en sécurité ! Cette pensée fugitive le rassénéra. La revoir après tout ce temps lui avait vraiment mis du baume au cœur. Elle était une de ses rares amies. Katria fit dérailler le train de ses pensées en se penchant vers lui. Son parfum de cèdre fit battre son cœur plus fort. Elle déposa un léger baiser sur sa tempe.

— Si tu as terminé, je peux peut-être te tenir compagnie.

Le souffle coupé, Sirian mit un moment à retrouver ses mots.

— Ce serait avec plaisir, Katria. Mais il faut vraiment que je termine ça, murmura-t-il.

Elle se redressa et le regarda intensément.

— Je ne serais pas de très bonne compagnie, continua-t-il.

Elle sourit et caressa sa main.

— Tu sais où me trouver si tu as besoin de moi. Pour parler ou ce que tu veux.

Son ton était léger et sincère, mais il perçut dans son esprit une touche d’inquiétude à son sujet. Katria était une autre de ses amies et bien plus parfois. Elle lui offrait son écoute, sa tendresse, sa présence, sans aucune arrière-pensée, aucune pression, ni aucune aigreur. Il éprouvait une profonde affection pour elle, une affection bien plus profonde que ce qu’il lui montre. Mais pour l’instant il ne pouvait pas lui donner plus ; elle méritait quelqu’un d’apaisé, et il ne l’était vraiment pas.

— Essaie de dormir, d’accord.

— Promis, fit-il.

Elle sourit, puis se leva et quitta la salle. Il la regarda s’éloigner puis se replongea dans son rapport. Il devait formuler le plus précisément possible ce qu’il avait vu et entendu, ainsi que ce qui s’était passé. Une fois la dernière relecture terminé, satisfait de son travail, il réunit ses documents et monta dans ses appartements. Lorsqu’il claqua la porte derrière lui, le ciel s’éclaircissait, annonçant le lever du soleil ; il devait rester deux heures avant le matin. Dame Mallkyn ne l’attendait pas avant neuf heures.

L’épuisement lui tomba dessus brutalement. Il posa son dossier sur son bureau, enleva ses bottes, son manteau et son pourpoint, puis s’affala sur son lit. Avec un peu de chance il ne ferait pas de cauchemar. Un sommeil de plomb l’emporta quelques minutes plus tard.

Plusieurs coups frappés à la porte l’en tirèrent. Il cligna des yeux et regarda autour de lui. La chambre était illuminée par le soleil matinal. Les coups se répétèrent et il se dit qu’il fallait qu’il réponde avant que la personne ne décide de défoncer la porte.

— J’arrive.

Il se leva, s’étira et rejoignit la porte. Il découvrit derrière le battant l’un des secrétaires de la Haute Inquisitrice. Dominic, mince et grand, avait tout du majordome. Toujours tiré à quatre épingles, il dardait un regard glacial sur toute chose et gardait une impression impassible à tout moment. Il était efficace et intelligent et pouvait être un bon compagnon de discussion, quand il n’était pas de service. Il jeta un coup d’œil légèrement effaré à sa tenue, puis se reprit.

— Dame Mallkyn m’a demandé de vous dire que la grasse mâtinée était suffisante et qu’il était temps de « ramener vos fesses » dans son bureau.

Sirian ne put retenir un petit rire.

— Le temps de me rendre présentable et j’arrive.

— Très bien, sigilite.

Il s’inclina poliment et repartit dans les escaliers. Sirian s’aspergea d’eau glacée, changea de vêtements, jeta un dernier coup d’œil à son rapport, puis dévala les escaliers et traversa rapidement les étages. Cela lui prit en tout et pour tout dix minutes.

Il prit une profonde inspiration et frappa à la porte.

— Entre.

Il obéit immédiatement et pénétra à grands pas dans le bureau. Il ralentit lorsqu’il reconnut l’autre homme présent, mais ne fit aucun commentaire.

— Haute Inquisitrice. Haut Juge, salua-t-il.

— Assied-toi.

Il prit place dans le troisième fauteuil. Il sentait les yeux acérés du haut fonctionnaire le détailler. Le Haut Juge Aeran était un homme fin, à la silhouette élancée. Ses cheveux noirs et assez longs étaient retenus par un catogan. Il était vêtu, comme à son habitude, d’une tenue pratique, mais luxueuse, sans les ornements de sa caste : une chemise d’un tissu fin et légèrement brillant, recouverte en partie d’un gilet de soie violet, un pantalon noir enserré dans des bottes de cuir. Ses mains dont les doigts aux ongles peints portaient plusieurs bagues étaient posées sur les accoudoirs de son fauteuil, telles des serres. Ses yeux en amande, dont les cils étaient teints, qui ne cessaient de le scruter et ses lèvres fines et brillantes, serrées en une fine ligne, donnaient à son visage une expression de sévérité et de froideur.

— J’ai demandé au haut Juge d’être présent afin de gagner du temps, expliqua Mallkyn.

Sirian lui tendit son rapport sans commentaire, puis posa le dossier contenant le compte-rendu de l’interrogatoire sur le bureau. La Haute Inquisitrice le parcourut rapidement, puis le donna à son collègue, qui le lut aussi.

— J’ai parcouru le dossier de votre enquête, sigilite, fit-il, une fois sa lecture terminée. Vous avez été méthodique et diligent. Je ne pensais pas que Grégoire Valronn était un criminel, mais vos preuves sont indiscutables. Bien joué, jeune homme.

Le compliment fut dit sans aucune chaleur ; les yeux de l’homme restaient glacial. Cependant, Sirian en fut flatté. Le Haut Juge Aeran était connu pour son sens de la rigueur et sa sévérité, mais aussi pour son sens de la justice. Il ne prenait jamais aucune décision à la légère. Il ne prononçait aucune parole qu’il ne pensait pas.

— Je vais rédiger un mandat d’arrêt de ce pas, reprit-il. Ce sera vous Sirian qui l’exécutera, cela ne me semble que justice. Avez-vous eu des nouvelles du sigilite infiltré ?

— Acrétius m’a laissé un message pour m’annoncer que Valronn et sa fille quittaient la ville pour se rendre dans une mine qu’il possède, située non loin d’Ombrepierre, répondit-il. Ils sont partis depuis deux jours.

— Y’a-t-il un rapport avec l’associé de Valronn, Cynred Ambrosius, le propriétaire du théâtre accusé du meurtre du Baron de Vilepierre ? fit alors Aeran.

— Il s’est effectivement passé quelque chose dans le théâtre et Acrétius m’en a parlé dans son message.

— D’après mes sources dans la garde, Valronn tient beaucoup à récupérer cet homme : il propose une récompense à tous ceux qui pourront le lui ramener en vie.

— Je ne connais pas cet homme et je ne sais pas ce que Valronn lui veut. Mais d’après Acrétius, c’est Sélyna, la fille de Valronn qui a tué le baron, expliqua Sirian.

Aeran s’enfonça dans son fauteuil et laissa son regard pensif errer sur la pièce.

— Je vais demander à Katria d’enquêter sur la Baron de Vilepierre, fit Mallkyn. S’il était un associé de Valronn, il a peut-être aussi un rapport avec ses activités. Quoi qu’il en soit, tu as déterré un vrai nid de vipère.

— Je suis d’accord. Préparez un groupe de soldats et menez-les à la mine. Arrêtez tous ceux que vous trouvez là-bas et ramenez-les ici, décréta Aeran.

Puis il regarda Mallkyn pour quêter son approbation.

— Je suis d’accord.

Sirian se leva et s’inclina respectueusement.

— Ce sera fait, Haute Inquisitrice, haut Juge.


Texte publié par Feydra, 7 août 2023 à 14h43
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