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tome 1, Chapitre 9 tome 1, Chapitre 9

Un corps sur le sol. Tout ce sang ! La musique dissonante et horrible lui déchire l’esprit. Elle entoure Sélyna, debout au-dessus du cadavre. Elle tient la dague, le sang goutte sur le bois, remonte le long de son bras, l’enveloppe entièrement. Puis il ne reste plus que son visage, blafard, ses yeux gigantesques et son sourire cruel. Puis tout devint flou et lumineux. Une mélodie nouvelle l’entoure, le réchauffe, fait fuir la terreur et la souffrance. Il se laisse bercer un moment, par les notes enveloppées de chévrefeuille, puis la reconnait …

— Isobel, souffla-t-il.

Aussitôt une main chaude caressa sa joue, juste un instant. Il cligna des yeux et comprit qu’il était allongé sur le dos. Il ne sentait plus la morsure de la corde sur ses poignets. Il souleva ses bras pour s’en assurer et un éclair de douleur remonta le long de son bras gauche. Il grogna.

— Doucement, ta main est dans un sale état.

Le visage d’Isobel apparut au-dessus de lui. Les sourcils froncés, pâle, les lèvres serrées, elle respirait l’inquiétude.

— Tu es vivante, murmura-t-il.

— Évidemment, fit-elle.

Un sourire illumina un instant son visage.

— Tu peux t’asseoir ?

Il hocha la tête et entreprit de se redresser avec son aide. Les muscles de ses bras étaient douloureux et le mouvement, bien que lente et doux, réveilla la douleur de sa poitrine. Il serra les dents, s’agrippa au montant de son lit et parvint à s’y adosser. Il serra son bras meurtri contre sa poitrine, tout en prenant une inspiration profonde.

— J’ai essayé de nettoyer ta plaie à la tempe. Heureusement elle a arrêté de saigner, commença-t-elle, en s’agenouilla à côté de lui. Tu as un hématome assez important au niveau de la poitrine et ta main est dans un sale état.

— Je suis au courant, fit-il, en grimaçant.

Isobel attrapa une écharpe posée sur le sol à côté d’elle.

— Je vais immobiliser ton bras gauche…

Cynred hocha la tête. Elle souleva doucement le poignet, l’entoura de deux tours de l’écharpe, puis la noua autour de son cou en veillant à ce que la main soit bien maintenue. Durant tout le temps que dura l’opération, Cynred ne dit pas un mot, mais il était blafard quand elle eut terminé.

— Que veux-tu faire ? continua-t-elle. Valronn va revenir avec les gardes. On peut les attendre et leur raconter la vérité.

— Non. Valronn a laissé entendre qu’il ne s’inquiétait pas des gardes et il était très confiant. Je ne préfère pas remettre ta vie et la mienne entre leurs mains.

Isobel hocha la tête.

— Alors il faut qu’on file et qu’on se cache.

Cynred la regarda intensément.

— Tu m’as libéré et je te remercie. Mais tu ne travailles plus pour moi : prends ton salaire et fiche le camp. Continue ta vie.

Isobel se figea et le regarda avec la même intensité. Elle pourrait effectivement quitter le théâtre, faire comme si de rien n’était. Si Valronn la questionnait, elle pourrait dire qu’elle avait eu peur de combattre son champion, qu’elle ne savait pas qui avait pu aider son prisonnier. Elle fronça les sourcils.

— Je ne suis pas ce genre de personne, Cynred. Si je te laisse t’enfuir seul, tu ne tiendras pas cinq minutes dans l’état où tu es.

— Isobel…

Elle se pencha et lui prit le visage entre les deux mains. Les coins de sa bouche tremblaient, de peine ou de colère, il n’en savait rien.

— Je ne t’abandonne pas. Est-ce que c’est clair ?

Pris dans le tourbillon de sa mélodie qui avait pris de la puissance, il mit du temps à répondre. Malgré sa proposition, il ne voulait pas qu’elle le quitte.

— C’est très clair.

— Alors on file. Je connais un endroit où tu pourras te cacher et te soigner. Ensuite, nous aviserons ce que nous devons faire.

Cynred hocha la tête.

— Je suis resté inconscient combien de tempe ?

— Je t’ai retrouvé juste après que Valronn soit parti. Une demi-heure peut-être. J’ai essayé de te réveiller, mais je ne voulais pas trop te secouer. J’en ai profité pour récupérer quelques affaires et de l’argent chez toi.

Il haussa un sourcil.

— Tu avais prévu qu’on s’enfuie ?

— C’était au cas où.

Elle se leva, attrapa sa cape sur son lit et la drapa sur ses épaules, en l’aidant à la fixer. Puis elle glissa son bras dans son dos et passa son bras droit sur son épaule.

— Allez, fit-elle.

Cynred se souleva tant bien que mal. Une fois debout, le décor vacilla un peu et il ferma les yeux, en inspirant profondément. Une douleur sourde pulsait dans sa poitrine. Une fois la vague de vertige passée, le jeune homme relâcha doucement sa compagne, satisfait de tenir sur ses jambes. Isobel attrapa sa sacoche et avança vers la porte. Elle plaqua son oreille contre le battant. Le blessé s’appuya sur le mur à côté d’elle.

— Ils sont là !

Isobel se figea, une main sur la porte.

— Comment tu … ?

Cynred, la tête penchée sur le côté comme s’il écoutait quelque chose, avait l’air concentré.

— On ne peut pas passer par l’escalier, fit-il.

— Alors on attend.

— Trop dangereux. On va prendre l’autre escalier.

— Dans l’état où tu es, tu vas avoir du mal à l’emprunter.

— Je n’ai pas vraiment le choix.

Isobel grogna puis rebroussa chemin jusqu’au petit salon. Cynred la suivit lentement et s’appuya sur le dossier d’un fauteuil. Dans le coin, à droite de la cheminée de pierre, se trouvait une trappe, caché sous un petit meuble. Elle décala le meuble le plus discrètement possible et souleva la trappe grâce à l’anneau de métal, dévoilant un escalier en colimaçon qui s’enfonçait dans les profondeurs, jusque dans la cave.

Cynred s’approcha avec précaution et y plongea le regard. Il regretta aussitôt son geste : son cerveau fatigué se rebella et une vague de vertige l’assaillit. Il crispa les paupières et vacilla. Isobel, sentant son malaise, l’agrippa avant qu’il ne tombe.

— Merci, souffla-t-il.

Après un regard à son ami, Isobel invoqua une petite boule de lumière, qui flotta juste devant elle. Ils s’engagèrent lentement dans l’escalier vertical. Ils collèrent leur dos à la paroi de pierre rugueuse et descendirent marche après marche. Ils étaient enfermés dans un tunnel vertical qui leur parut sans fin. Cynred avait de plus en plus de mal à respirer, tant la sensation d’oppression était forte. Il se força à prendre des inspirations régulières et à ne pas regarder en bas. Isobel, devant lui, agrippait son bras droit avec force et s’efforçait de contrôler sa descente.

Au-dessus de leur tête, le carré de lumière faible s’amenuisait de plus en plus.

— Bon sang ! grogna Cynred, alors que ses muscles commençaient à se plaindre de la tension qu’il leur imposait. J’aurais mieux fait de me casser un jambe le jour où j’ai décidé de prendre Valronn comme associé.

— Évite de faire ce genre de réflexion quand on descend un escalier aussi raide dans le noir.

Cynred répondit par un grognement. Soudain, la lumière qui voletait devant eux dévoila une porte de bois dans le mur de pierre. Sa présence incongrue en plein milieu d’un escalier tel que celui-ci fut expliquée quand ils parvinrent à un palier peu large, sur lequel ils purent se reposer.

— On est au niveau de rez-de-chaussée, fit Cynred en posant sa main sur le bois. Elle donne sur le jardin, mais elle a été condamnée.

— Je me demande à quoi servait cet escalier, murmura Isobel, en se penchant sur la serrure ancienne.

Cynred s’appuya contre la cloison de bois et s’efforça de reprendre sa respiration, malgré sa douleur à la poitrine. Sa migraine était intolérable et sa vision devenait floue de temps en temps. Valronn ne l’avait pas raté. Le souvenir de son visage glacial au regard scintillant pendant qu’il le frappait avec sa canne le fit frissonner. Comment n’avait-il pas réussi à ne pas déceler le monstre en lui ?

Isobel posa sa sacoche, qu’elle avait miraculeusement réussie à porter tout en le soutenant, et en sortit un petit étui qu’elle posa sur le sol. Cynred haussa un sourcil quand elle en tira deux petites épingles de métal.

— Depuis quand les gardes sont-ils des cambrioleurs ?

Isobel sourit.

— Mieux vaut maitriser les techniques de l’ennemi. Et puis cela peut servir pendant une enquête.

Maintenant sa boule lumineuse au-dessus d’elle, elle enclencha les deux bouts de métal dans la serrure. Cela lui prit quelques minutes, puis un cliquetis résonna. Elle tourna prudemment la poignée et poussa doucement. Le battant grinça légèrement et s’ouvrit à peine de quelques centimètres. Elle sentait que quelque chose le bloquait.

— Je crois que des pots ou des caisses sont posés devant, chuchota Cynred.

Elle acquiesça et poussa un peu plus fort. L’air frais de la nuit entra à flot dans l’escalier et ils prirent une profonde inspiration. Cela allégea un peu le crâne lourd de Cynred. Il s’avança d’un pas et ajouta son poids à celui de la guerrière. La porte s’entrebâilla suffisamment pour qu’ils puissent s’y glisser. Isobel passa la première et observa le jardin. Cynred s’appuya lourdement sur la porte, alors qu’un éclair de douleur traversait sa poitrine.

— Bon sang !

Sa compagne revint et lui jeta un regard inquiet. Mais elle ne dit rien, ramassa son sac et posa une main sur son bras. Il remonta la capuche de sa cape et ils quittèrent le théâtre.

Le jardin silencieux et froid paraissait hors du temps. La nuit bien avancée étendait son voile sur les environs. Au-dessus de la frondaison des arbres, les étoiles clignotaient et la lune, à peine voilée par quelques nuages, inondait le sol de sa lueur nacrée. En d’autres circonstances, Cynred aurait passé de longues heures à écouter les mélodies du ciel et du vent.

Mais ce soir-là, sa migraine était si forte qu’il avait fermé son esprit à la musique. Il devait se concentrer sur le fait d’avancer et de s’accrocher à la conscience, alors que l’obscurité cherchait à l’emporter.

Aucun bruit ne leur parvenait du théâtre, ni de l’autre côté des murs du petit parc. Ils franchirent la porte et Isobel les guida vers un bâtiment de pierre, assez bas, qui se blottissait pas très loin de la berge du lac. Ils s’arrêtèrent devant une porte épaisse en bois noir, dont le battant était presque entièrement recouvert d’engrenages complexes.

— Nous allons devoir emprunter les tunnels, ce sera plus sûr et plus rapide pour atteindre un refuge, fit Isobel.

Les yeux brumeux, son ami acquiesça. Il donnait l’impression qu’il allait s’effondrer à tout moment. Elle posa une main sur sa joue pâle. Elle était moite, poisseuse à cause du sang qui avait coulé de sa plaie. Elle sentait aussi d’infimes tremblements. L’inquiétude sur la gravité de ses blessures ne faisait qu’augmenter, mais elle la repoussa. Ce n’était pas le moment.

— Cynred, fit-elle, d’un ton ferme. Me fais-tu confiance ?

Le jeune homme riva son regard azur sur elle.

— Évidemment.

— Je vais te conduire dans un refuge dans le quartier du port. Ce n’est pas un endroit très … officiel, et ce ne sera pas entièrement sans risques, mais c’est le mieux que je puisse faire. Nous allons devoir marcher sous la ville, dans le noir, pendant un certain temps.

— Je te suis, souffla Cynred, sans hésitation.

Isobel sourit et actionna les rouages pour former le code d’ouverture de la porte.

— J’espère qu’ils n’ont pas été modifiés, murmura-t-elle.

Elle se sentit soulagée lorsqu’elle entendit les cliquetis habituels. Elle poussa la porte et projeta sa boule de lumière dans le tunnel enténébré qui s’étendait au-dessous. Cynred savait qu’un réseau de tunnels de déversement couraient sous la ville et la protégeait des inondations saisonnières. Mais lorsqu’il posa le pied sur la première marche de l’escalier qui y descendait, il eut soudain l’impression de pénétrer dans l’antichambre du Royaume Ombreux.


Texte publié par Feydra, 6 août 2023 à 21h13
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