Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 7 tome 1, Chapitre 7

Des voix retentissent autour de lui. Il est dans le noir et cligne des yeux pour mieux voir. Une lueur pâle s’étend autour de lui. Il a l’impression d’être dans un couloir. Soudain, celui-ci s’élargit et il reconnait le hall d’entrée du théâtre. Mais tout est déformé. Des étincelles colorées crépitent autour de lui. Les voix deviennent cris. « Vous devez l’emmener là-bas. Il attend. » Il ne connait pas cet homme : les cheveux noirs, une moustache, des yeux marron, une tenue raffinée, un petit embonpoint. Il a l’air d’avoir une quarantaine d’années. « J’ai une autre mission pour lui avant. Votre maitre peut attendre un peu. »

La voix de Valronn, sirupeuse, confiante. Sélyna est là aussi, un rictus déforme son visage, ce sourire cruel grandit au point d’envahir son visage. Cynred frissonne, il veut partir : les mélodies se mélangent en un chaos cacophonique qui lui vrille l’esprit. Puis un poignard sort de la poitrine du noble ; le sang coule et envahit sa vision. Une douleur aiguë traverse son cerveau. Sélyna le fixe d’un regard cruel : «Tu ne devrais pas être là, monstre ».

Monstre … La voix résonna encore longtemps alors que le cauchemar disparaissait. A travers le sifflement de ses oreilles, Cynred entendait des voix, assourdies et faibles. Il ouvrit les yeux et les cligna plusieurs fois pour éclaircir sa vision. Ce simple mouvement provoqua des éclairs de douleur dans son crâne. Il était allongé sur le sol. Son corps l’élançait. Les voix devinrent plus fortes et il aperçut le corps à quelques mètres devant lui. Le noble de son cauchemar. Du sang coulait de ses blessures sur les dalles de l’entrée. Valronn et sa fille étaient debout près de lui.

Les souvenirs le heurtèrent alors de plein fouet : son arrivée dans l’entrée du théâtre, alors qu’il revenait d’une promenade nocturne près du lac ; la discussion étrange entre Valronn et un autre homme – le baron de Vilepierre, avait-il entendu; Sélyna qui poignarde l’homme ; son regard glacial fixé sur sa victime qu’elle regardait avec mépris. Lorsqu’elle leva les yeux vers lui, le sourire qu’elle lui avait lancé l’avait tétanisé. Puis Valronn était arrivé, avait regardé le cadavre avec un soupçon d’ennui. Cynred avait reculé ; la pulsion de fuite, qui avait mis du temps à s’activer, le poussant à quitter le théâtre, mais il était trop tard. Deux hommes, apparus dans son dos, l’en avait empêché, l’avaient forcé à s’approcher.

— Tu es un monstre, avait-il murmuré en regardant Sélyna.

Le bruit de la canne en métal qui percutait sa tempe était gravé dans sa mémoire. Il se rappelait de plusieurs coups. Il gémit. Aussitôt des mains peu sympathiques le soulevèrent. Le monde se mit à tourner alors qu’il se battait pour rester conscient. Sa migraine commençait à devenir insupportable et il sentait le sang chaud couler sur son visage et dans son cou.

Une douleur fulgurante s’ajouta aux autres, alors qu’il portait sa main gauche vers sa poitrine. Elle remonta dans son bras ; il serra les dents et baissa les yeux vers sa main : ses doigts étaient gonflés, rouges et noirs. Valronn s’était acharné dessus avec sa canne, il se rappelait maintenant.

— Attachez-le, gronda une voix près de lui.

Il tourna lentement la tête pour regarder son associé – ancien associé. Ses yeux azur, bien que brouillés par la souffrance, le fixaient avec haine. Ses bras furent vigoureusement tirés en arrière. Un éclair de souffrance traversa sa main abimée. Grégoire Valronn sourit. Derrière lui, Sélyna le considérait avec arrogance. Cynred ne comprenait pas ce qui était en train de se passer.

— Allez l’installer dans sa chambre. On va le mettre en sureté avant d’aller voir la garde.

— Vous n’avez pas peur que les gardes le découvrent, fit un homme sur sa droite.

Il tourna la tête vers lui et découvrit un homme chauve, à la peau parme et aux yeux mordorés. Il lui tenait le bras, mais ne le regardait pas.

— Les gardes ne seront pas un problème, fit Valronn avec confiance.

Cynred ne comprenait rien. Il avait mal partout, comme si on s’était acharné sur lui. Pourquoi Valronn s’en était-il pris à lui ainsi ? S’était-il défendu ? Son esprit pris dans les brumes refusait de fonctionner correctement. Les mélodies autour de lui se mélangeaient et se brouillaient. Il se laissa entrainer, ayant besoin du soutien des sbires pour seulement rester debout. La montée de l’escalier fut difficile ; lorsqu’il parvint en haut, dans sa chambre, l’obscurité l’appelait en susurrant et il n’avait qu’une envie, y céder. On le poussa sur le sol, contre son lit et l’un des sbires le lia au montant de bois.

Il envisagea une seconde de résister, mais il était trop faible. La souffrance pulsait de sa main gauche et remontait dans son bras. Il se concentra donc sur les hommes. L’elven, debout, les bras croisés, le considérait avec une expression froide. Dans son ceinturon, pendait une épée et était accroché un poignard. Sa tenue et sa posture l’identifiait comme un criminel averti.

Lorsque son collègue eut terminé, il le rejoignit. Il avait les cheveux assez longs réunis en catogan, bruns, et propres. Son visage rond montrait qu’il prenait soin de lui : sa barbe était taillée, ses yeux légèrement maquillés. Il portait une tenue similaire à celle de son collègue, mais bien mieux entretenue. Cynred se demanda s’il était le mignon de Valronn. Cette pensée faillit le faire éclater de rire.

Le goût du sang dans sa bouche devint soudain insupportable. Il pencha la tête et cracha sur le sol, puis appuya son crâne lancinant sur le pied de son lit. Sa position n’était pas très confortable, mais au moins la pièce avait-elle arrêté de tourner.

Cynred reporta son attention sur le troisième homme. Il était arrivé après son évanouissement. Assez petit, jeune, il portait les cheveux courts. Sa tenue, propre et pratique, était bien entretenue, bien qu’assez commune. Son visage imberbe exprimait sa peur assez ouvertement. Il n’avait pas l’air d’être très à l’aise.

— Qu’est-ce qu’il est moche ! lança l’homme à la barbe.

— Moins que toi, répondit Cynred.

L’homme fronça les sourcils et un rictus de haine dépara son visage, qui était assez beau, en fait. Il serra le poing et fit un pas vers lui. Non, physiquement, il était loin d’être laid, mais sa mélodie, elle, était hideuse. Les accords dysharmonieux se succédaient en une cacophonie chaotique et répétitive. L’homme à la peau parme l’arrêta d’une main sur le bras. C’était donc le chef.

— Merc, laisse-le. Valronn nous attend en bas.

Merc lui jeta un coup d’œil furieux, mais recula d’un pas.

— Ok, Sylf, fit-il en écartant les mains.

— Allez, Sergueï, on descend.

Le sbire hocha la tête. Sylf et Merc quittèrent la chambre. Sergueï s’attarda un instant. Il posa un regard désolé sur le prisonnier, mais celui-ci ne s’en aperçut pas. Il avait fermé les yeux. Il l’entendit quitter la pièce et fermer la porte derrière lui. Cynred fut soulagé lorsque le calme et le silence revinrent. Les mélodies avaient disparu de son esprit. La souffrance, toutefois, était bien présente. Des éclairs de douleur parcouraient son crâne. Sa main gauche pulsait atrocement et il sentait une pression au niveau de sa poitrine. Il prit une inspiration profonde et une douleur aiguë traversa l’un de ses poumons. Il grimaça. Il était vraiment en piteux état, enfermé dans son propre appartement. Et il ne savait même pas pourquoi. Enfin si, il venait d’être témoin d’un meurtre. Alors, pourquoi Valronn ne l’avait-il pas tué ?

Quand la porte claqua, Cynred ouvrit les yeux. Il ne savait pas combien de temps s’était passé, mais il avait eu l’impression de voguer longtemps à la limite de l’inconscience. Il braqua son regard sur Valronn au moment où il entrait dans sa chambre. Celui-ci le contempla avec un petit sourire. Cynred le fixait de son regard rempli de haine. Il ne connaissait pas tous les tenants de cette histoire, mais il comprenait qu’il s’était trompé à propos de son « associé ». Sa mélodie était pourtant toujours limpide et harmonieuse. L’homme haussa un sourcil et s’agenouilla devant lui.

— Est-ce que tu écoutes ma mélodie ?

Cynred se figea. Ses yeux s’écarquillèrent légèrement avant qu’il ait pu reprendre le contrôle de ses émotions. Son masque lui manquait terriblement, à cet instant. Évidemment, Valronn le remarqua et son sourire s’élargit.

— J’ai toujours trouvé cette phrase que tu prononces tout le temps assez agaçante, continua-t-il sur le ton de la conversation. « Je traduis la musique de l’univers », j’ai toujours trouvé cela arrogant et un rien méprisant.

Le jeune homme resta silencieux. Les vertiges et les nausées ne l’aidaient guère à se concentrer. L’obscurité menaçait à nouveau de l’emporter.

— Je suis un antiquaire … Enfin, tu le sais bien, n’est-ce pas ? reprit Valronn. J’ai toujours été intéressé par les témoignages du passé, les grimoires, ces choses-là. J’en fournis beaucoup à mes clients riches.

Cynred sentait la rage l’envahir à cause de l’attitude et des manières de Valronn. Sa fille venait d’assassiner un homme ; il venait de le battre sauvagement et il se comportait comme s’il était au bal.

— Venez-en au fait, grogna-t-il.

Les yeux de l’homme s’étrécirent et une grimace fugitive déforma ses traits. Mais son sourire s’élargit.

— Je savais que cela t’intéresserait. Je sais ce que tu es.

Il tendit la main et tira un peu sur le col de la chemise ensanglantée de son prisonnier. Celui-ci tressaillit.

— Tes cicatrices sont étranges, reprit-il d’un ton rêveur. Ah ! J’ai hâte de pouvoir prouver ma théorie…

— Vous croyez savoir, Valronn. Je ne sais pas dans quel délire vous vivez, mais vous n’êtes qu’un criminel !

— Nous verrons, mon ami, conclut son ex-associé en se levant.

Il épousseta son pantalon.

— Oh ! J’allais oublier : Isobel ne viendra pas à ta rescousse, fit-il, d’un ton paisible. Mon champion va sans aucun doute bien l’amocher. Mais ne t’inquiète pas, il ne la tuera pas. Enfin, probablement pas. Quand elle se réveillera, nous serons partis depuis longtemps.

Cynred tressaillit à la mention de la guerrière. Isobel allait-elle mourir dans cette arène ? Cette pensée l’envahit de terreur. Sa haine pour son ex-associé augmenta encore d’un cran. Il tremblait. Lorsque Valronn quitta la pièce, il ne le regardait déjà plus. Il accueillit avec joie l’obscurité qui bouillonnait à la limite de sa vision et sombra dans l’inconscience.


Texte publié par Feydra, 6 août 2023 à 20h58
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 7 tome 1, Chapitre 7
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2730 histoires publiées
1240 membres inscrits
Notre membre le plus récent est DenisJaje
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés