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tome 1, Chapitre 6 tome 1, Chapitre 6

Le poing vola vers elle à la vitesse de l’éclair. Elle s’écarta d’un mouvement vif et profita du déséquilibre de son adversaire pour le frapper sur son flanc gauche. Avec un grognement, il accusa le coup et, vacillant, s’éloigna de quelques pas, avant de lui faire à nouveau face. Il leva les poings devant son visage et riva son regard noir sur elle. Ses cheveux très courts étaient brillants de sueur et son visage rond, orné de quelques hématomes, crispé sous la douleur. Cependant il était toujours debout. Isobel se remit en position, mais à chacun de ses mouvements elle sentait les coups qu’elle n’avait pas su éviter qui se rappelaient à elle.

— Trois points ! clama l’arbitre en levant la main. Rix est vainqueur.

Aussitôt, les deux adversaires se relâchèrent. La jeune femme se pencha en avant, les mains posées sur les genoux et prit plusieurs profondes inspirations. Elle sentit la sueur couler dans son dos et sur son visage, sous son masque. Elle n’avait qu’une hâte : faire un plongeon dans le lac.

L’homme devant elle se laissa tomber sur le sol, la main posé sur son flanc.

— Bon sang, fit-il, tu ne m’as pas fait de cadeau.

Autour d’eux, les autres participants les félicitaient et le public discutaient du combat sur un ton excité.

— Toi non plus, Merc !

Il sourit. Elle fit un pas vers lui et lui tendit la main. Il la prit et se releva avec son aide. Isobel rejoignit alors le maitre de l’arène, qui recevait le paiement des parieurs. L’homme dégingandé lui sourit aimablement lorsqu’il la vit.

— Tu t’es encore battue comme une lionne, Rix. C’était un beau spectacle, fit-il d’un ton joyeux. Voilà tes gains.

Elle regarda un instant la poignée de pièces qu’il lui tendait.

— Donne-les à Merc. Je n’en ai pas besoin.

L’autre soupira.

— Je m’en doutais un peu.

Isobel sourit sous son masque.

— Tu sais bien que tout ce qui me plait c’est l’action.

Elle posa soudain une main sur son flanc, là où Merc lui avait donné un coup de pied bien placé. L’homme fronça les sourcils.

— Tu veux passer voir le soigneur avant de partir ?

— Non, ça va aller. On se voit la semaine prochaine ?

Il lui fit une révérence maladroite.

— Avec plaisir : tu me rapportes toujours beaucoup !

Isobel sourit et continua sa route. Le maitre de l’arène était un homme pragmatique mais honnête. Il prenait soin de ses combattants. Son arène de combat, située dans un vaste entrepôt à la limite du quartier du port, était moins réputée que celle de Grégoire Valronn, mais plus conviviale et cela lui convenait. Elle pouvait venir s’y entrainer quand elle voulait et elle s’y sentait en sécurité.

Elle l’avait découvert en arrivant à Argentlune, alors qu’elle cherchait un endroit où s’entrainer, loin de ses collègues de la garde.

Tout le monde ici s’affublait d’un faux nom et parfois d’un masque et personne n’y trouvait à redire. On n’avait pas besoin de savoir ce que ses compagnons de combat faisaient dans leur autre vie. Pendant dix ans, elle avait combattu chaque semaine. Si au début, elle avait bien souvent perdu, peu habituée à leur brutalité et l’agilité qu’ils nécessitaient, elle avait rapidement acquis des compétences excellentes et elle dominait la plupart des matchs.

Le soleil venait de se coucher quand elle sortit. Ses rayons dorés effleuraient les toits de la ville. En portant son regard vers le sud, elle admira les hautes tours du Palais Ducal, flamboyantes sous la lumière solaire. L’air commençait à se faire plus frais la nuit alors que la saison des glaces approchaient à grands pas.

Elle s’emmitoufla dans sa cape, souleva sa sacoche et s’engagea dans la rue en direction de la rive ouest, vers son havre de paix. Elle était de repos ce soir ; elle n’était donc pas pressée de retourner au théâtre. Elle ôta son masque et se passa la main dans ses cheveux très courts. Les ruelles qu’elle traversa étaient silencieuses et désertes : elles serpentaient entre les maisons serrées les unes contre les autres, lui permettant d’éviter les grands axes. L’obscurité devenait de plus en plus épaisse, mais elle n’était pas inquiète.

Elle contourna ainsi la place du marché et déboucha non loin de son ancienne garnison. Une petite crique entourée d’épais buissons se trouvait à cet endroit, un endroit parfait pour se baigner.

Elle ne cessait de retourner à cet endroit, dans lequel elle avait servi comme garde d’Argentlune, pendant cinq ans. Elle espérait devenir sergent. Mais lorsque la cité avait restructuré la garde du quartier nord, à cause des nouvelles habitations qui venaient d’être terminées, elle avait été licenciée. Dès qu’elle repensait à l’air satisfait de son lieutenant quand il lui avait tendu le courrier, la rage serrait son cœur. Elle savait bien d’où venait cette décision : elle l’avait éconduit, plusieurs fois.

Cynred connaissait son loisir et s’il avait semblé légèrement mécontent, il ne l’avait jamais réprimandé à ce sujet. Elle aurait pu se soigner dans son appartement du théâtre, mais elle préférait garder son indépendance. Elle avait donc installé un petit refuge dans son ancienne caserne, avec tout ce qu’il fallait pour se soigner et se changer si le besoin s’en faisait sentir.

Une fois à l’abri des arbustes, elle se déshabilla, non sans grimacer à cause des tiraillements de sa chair maltraitée. Elle plongea dans l’eau fraiche, avec un soupir de plaisir malgré les frissons qui parcoururent sa peau. L’eau claire effaça les traces de poussière et de sueur. Elle se laissa aller contre la berge aux senteurs de terre et d’herbe et ferma les yeux.

Lorsque le soleil eut entièrement disparu derrière les Monts Dorés, elle se résigna à quitter son petit paradis. Entièrement nue, elle ouvrit son sac, s’essuya du mieux possible avec une serviette et en sortit des vêtements propres qu’elle enfila rapidement. Elle y rangea ses habits sales, remit sa cape sur ses épaules et épaula sa sacoche.

Elle suivit un petit chemin de terre, le long de la berge, vers le sud, se laissant bercer par le doux ressac du lac. Sur sa droite s’alignaient les murs percés de fenêtres illuminées des maisons et des petits immeubles. Elle apercevait parfois des silhouettes noires derrière les rideaux et entendaient des rires ou des conversations par les fenêtres encore ouvertes. La lune était suffisamment haute dans le ciel pur pour que sa lumière nimbe la ville.

Au bout d’une vingtaine de minutes, elle parvint à l’arrière du théâtre. Sa haute silhouette dominait la berge. Elle déverrouilla la porte en bois du jardin, la referma et se glissa à l’intérieur. Elle avait pris l’habitude d’éviter l’entrée principale pour rentrer dans son petit appartement. Le parc entouré de murs assez haut, dont les allées de gravier entouraient un puits assez ancien, était un havre de paix en toute saison.

Isobel s’immobilisa quand elle aperçut Cynred. Emmitouflé dans sa cape au col de fourrure, debout près du banc, il contemplait le ciel étoilé. Que faisait-il là ? Elle faillit continuer son chemin pour ne pas le déranger.

— Tu as gagné ? fit alors sa voix douce.

Isobel grimaça, sentant venir la conversation déplaisante qu’ils avaient chaque semaine.

— Évidemment, répondit-elle, en prenant une posture arrogante.

Il tourna la tête et posa ses yeux étincelants sur elle. Elle sentit qu’il souriait.

— Évidemment, répéta-t-il.

— Tu m’attendais ?

Elle s’approcha et se laissa tomber sur le banc. Le mouvement un peu trop rapide provoqua un élancement de douleur dans son flanc et elle grimaça.

— Tu es blessée ? s’enquit-il aussitôt en l’observant.

La luminosité était très faible ; il ne pouvait donc pas voir ses ecchymoses et ses traits tirés. Cependant, comme d’habitude, il savait. Isobel soupira. L’inquiétude de Cynred pour elle était à la fois agréable et irritante.

— Quelques bleus, c’est tout.

— Je ne comprends toujours pas pour quelles raisons tu combats dans cette arène, murmura-t-il.

— On en a déjà discuté.

— Vrai. Mais cela ne change rien.

Le silence s’étendit entre eux. Cynred paraissait pensif et préoccupé. Il manipulait un objet brillant entre ses mains gantées.

— As-tu encore eu une discussion houleuse avec Sélyna ?

— Non. Pas aujourd’hui, fit le compositeur, en se passant une main dans les cheveux. J’ai trouvé ça, sur le sol dans le hall.

Il tendit l’objet : c’était un cristal aux multiples facettes, assez gros et transparent. Isobel le trouva magnifique. Il lui rappelait quelque chose. Elle l’observa, les sourcils froncés.

— C’est un très bel objet. Tu crois qu’il vient d’où ?

— Sélyna me l’a offert. Elle m’a dit que c’était l’un des objets vendus par son père.

— C’est une antiquité ? Ce n’est pas très correct d’utiliser le théâtre pour ça, mais bon … Tu veux que je lui en parles.

— Non. C’est juste du cristal.

Mais il paraissait très pensif. Ses yeux se perdirent dans l’objet pendant quelques secondes et elle crut voir des étincelles dans ses iris azur.

— Il a quelque chose de spécial ?

Il sursauta légèrement, comme si elle l’avait éveillé d’un rêve.

— J’entends …, commença-t-il, d’une voix lointaine.

Puis il se reprit.

— Non. Non, répondit-il, en rangeant le cristal dans la poche de sa cape. C’est juste un cristal.

— Tu en es certain ? Tu as l’air particulièrement préoccupé.

— Je suis toujours préoccupé.

Elle eut un petit rire.

— La semaine prochaine, essaie de mieux éviter les coups, continua-t-il d’une voix plus ferme.

Elle fronça les sourcils et se mordit les lèvres. La proposition de Valronn jaillit soudain dans son esprit : il lui avait proposé de faire un combat amical avec le champion de son arêne. Elle devait l’en informer. Pourquoi ? se dit-elle. Demain était son jour de repos, elle pouvait en faire ce qu’elle voulait. Non, si elle le lui disais, il allait encore s’agacer.

— Je ne comprends pas toujours pas pourquoi tu éprouves le besoin de faire ces combats. Tu en sors toujours abimée.

— Écoute, Cynred, j’apprécie ton inquiétude pour moi, mais je peux me débrouiller.

— Et si je te demandais d’arrêter ?

Ses yeux bleus étaient rivés sur elle. Elle aurait pu s’y perdre à cet instant. Il s’inquiétait sincèrement pour elle. Mais il avait tort.

— Tu n’as pas ton mot à dire sur ce que je fais de mon temps libre, asséna-t-elle.

L’agacement montait en elle. Elle quitta le banc d’un bond.

— Je t’ai engagée pour la sécurité du théâtre. Si tes activités t’empêchent de mener à bien ta mission correctement, je suis en droit de m’y opposer.

— Cela ne m’empêche pas de faire mon travail : tu le constates tous les jours, non ?

— Un jour, tu pourrais te faire blesser gravement, fit Cynred, d’un ton sévère. J’ai …

Il se mordit les lèvres et s’interrompit. Isobel s’approcha de lui et vrilla son regard noir dans ses yeux azurs.

— Ne cherche pas à me contrôler, Cynred, siffla-t-elle. Si tu n’es pas content, licencie-moi, mais je ne renoncerai pas à ce combat.

Sa colère irradiait d’elle et Cynred frissonna sous l’intensité de son regard. Il ne pensait pas que c’était si important pour elle. Chaque soir de combat, il lui était impossible de trouver le sommeil avant qu’elle ne soit rentrée. Il savait pourtant qu’elle était forte et très compétente. Elle lui avait expliqué pourquoi elle faisait cela, dès le départ. Cependant, il s’était attachée à elle et cela lui était de plus en plus difficile d’accepter ses raisons.

Il recula d’un pas, les yeux écarquillés devant la force de sa colère. Il se reprit très vite, enfermant ses émotions dans une gangue de glace.

— Comme tu veux, fit-il d’un ton neutre.

Puis il traversa le jardin et disparut dans le théâtre. Le souffle coupé par l’intensité de sa propre colère, Isobel le suivit des yeux, paralysée. Elle s’en voulut soudain.

— Bon sang ! Pourquoi n’arrive-t-on pas à se parler ?

Elle se passa la main dans ses cheveux courts et rentra lentement à l’intérieur. Elle avait besoin d’une bonne nuit de sommeil.


Texte publié par Feydra, 6 août 2023 à 19h31
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