La lumière des chandelles et des lanternes coulait dans la rue par les portes grande ouvertes. Les vitraux des larges fenêtres créaient des étincelles colorées sur le sol pavé. Le rez-de-chaussée du théâtre scintillait de mille feux. Les spectateurs entraient en bavardant dans le grand hall du bâtiments.
Depuis que le théâtre avait rouvert, sous sa nouvelle direction, et que la fabuleuse chanteuse Sélyna Valronn avait fait ses débuts, tous les soirs de concert, le théâtre ne désemplissait pas. Nobles et bouregois d’Argentlune, et parfois même de bien plus loin, achetaient leur place bien à l’avance et se pressaient pour être les premiers à s’installer.
Isobel, adossée à la rambarde de l’escalier, observait les hôtesse accueillir tout ce beau monde. Grégoire Valronn, souriant et rutilant, serrait les mains de ses connaissances et bavardait avec eux. L’associé de Cynred était un homme émacié, aux cheveux noirs brillants, réunis en une queue de cheval, toujours maquillé et vêtu d’atours fins. Antiquaire avec une clientèle cossue, il possédait aussi l’une des deux arènes de combat du port, et bien d’autres choses.
Il était toujours agréable, mais Isobel le trouvait parfois sirupeux. Ses yeux d’un bleu glacé portait un regard acéré sur tout et elle apercevait parfois sur son visage une dureté, qui confinait à de la cruauté. Elle ne savait pas vraiment pourquoi mais elle s’en méfiait. Ses instincts de garde lui murmuraient que cet homme était dangereux. Cependant il était l’associé de son patron, elle ne pouvait donc rien dire, pas sans preuves en tout cas. Elle le surveillait autant que possible.
Son regard se porta sur les invités. Les hommes, dans leurs vêtements d’apparat, seuls, en groupes ou bien accompagnés par une femme apprêtée comme si elle allait à un bal ducal riaient et murmuraient, en paradant. Ils portaient des costumes de qualité, taillés dans des tissus fins, et jetaient un regard méprisant ou calculateur sur tout ce qui les entourait. Certains dévoraient du regard les silhouettes affriolantes de certaines demoiselles, qui les regardaient en minaudant.
Une jeune fille, aux cheveux dorés remontées en un chignon savamment arrangé, au bras d’un homme bien plus âgé qu’elle, sans doute son père, fixa soudain Isobel. Elle était fort belle. La robe de mousseline vert d’eau lui seyait à ravir et mettait en valeur ses yeux émeraude. Des gants brodés ornaient ses mains fines. Son visage charmant était mis en valeur par le maquillage qui faisait briller ses lèvres et arrondissait ses yeux magnifiques. Cette beauté était encore rehaussée par des pendants de diamants assortis au collier qui ornait son cou gracile. Isobel remarqua aisément que l’un de ses yeux étaient légèrement décalé par rapport à l’autre et que sa peau était constellé de quelques boutons mal cachés par le fond de teint, mais cela ne la rendait que plus belle.
Cependant, son expression l’enlaidissait à coup sûr et détruisit dans l’œuf toute sympathie que la guerrière aurait pu avoir à son égard. Elle laissait son regard glisser sur elle sans aucune honte et les coins de sa bouche se plissaient en une moue de mépris, mêlé d’une étincelle de peur. Isobel accrocha son regard et la fixa avec intensité. Sans doute la demoiselle était-elle choquée par sa peau bleutée et ses oreilles effilées. Elle savait que ses yeux sans pupilles d’un noir absolu pouvaient en faire trembler plus d’un – et la déesse savait qu’elle s’en était servi pendant ses années où elle faisait partie de la garde. Ses bras fins, ainsi que ses doigts, étaient un peu plus longs que ceux des humains. Elle était grande et svelte, vêtu d’un pantalon noir, serti dans des bottes hautes, d’une tunique blanche, sans manche, couverte d’un pourpoint en cuir, une tenue qui soulignait la finesse de sa taille et sa silhouette à la fois athlétique et gracieuse. Une épée pendait à son ceinturon et une dague était enchâssé dans son fourreau de l’autre côté.
Cette jeune femme ne devait pas avoir l’habitude de rencontrer souvent des Elvens. La noblesse n’existait pas vraiment au Bastion du Verre. Même si les descendants de la famille régnante pouvait être considérés comme tel, ils ne venaient que très rarement à Argentlune. Les Elvens étaient accueillis dans tout le Duché ; après tout, le traité se devait d’être respecté. La loi Ducale protégeait tous les citoyens. Cependant, ils devaient encore supporter les regards suspicieux, inquiets ou méprisants des humains.
La guerrière étira ses lèvres en un sourire carnassier, prit une pause provocatrice et lui fit un clin d’œil. Elle faillit éclater de rire quand la jeune fille rougit et s’empressa de détourner le regard. Puis elle s’en désintéressa et reprit la surveillance du hall. Ce moment était toujours délicat : elle était sur ses gardes car certains jeunes nobles n’hésitaient pas à essayer de satisfaire leur curiosité, en surprenant le maitre des lieux.
La réputation de Cynred le précédait chez les habitués du théâtre : tous se demandaient qui il était vraiment et ce qui se cachait sous le masque qu’il portait toujours. Valronn leur avait bien vendu le mystère du compositeur génial des mélodies sur lesquelles sa fille chantait. L’une des missions que son patron lui avait donné était la préservation de son intimité. Plus d’une fois elle avait dû faire rebrousser chemin à des idiots qui n’étaient pas là où ils auraient dû être.
Alors que les derniers spectateurs entraient dans la salle de concert et que les lourdes portes décorées de tentures mordorées se fermaient, Valronn rejoignit la jeune femme.
— La salle est encore pleine comme d’habitude, fit-il d’un ton joyeux. Les gens adorent Sélyna.
— Les compositions sur lesquelles elle chante y sont aussi pour quelque chose, fit la jeune femme.
Valronn sourit.
— C’est vrai.
Il jeta un coup d’œil vers le sommet de l’escalier obscur qui menait au premier étage.
— Il ne se joindra pas à nous ce soir encore … , soupira-t-il.
— Vous le connaissez.
— A-t-il conscience que ce genre de comportement attise la curiosité et les rumeurs sur lui ?
— Sans doute. Mais cela vous arrange aussi, n’est-ce pas ? répondit-elle, en le regardant franchement. Cette curiosité et ces rumeurs sont aussi les raisons pour lesquelles les gens viennent en nombre.
Un sourire tordit les lèvres fines de l’antiquaire. Elle le trouva peu agréable.
— Les nobles ont beaucoup de temps libre et d’argent. Trouver de quoi les occuper et ils vous mangent dans la main. J’ai d’ailleurs eu une petite idée pour développer encore davantage notre affaire …
— Les jeux d’argent, il m’en a parlé, l’interrompit Isobel.
Valronn étrécit les yeux de colère, mais ne releva pas l’impudence de la jeune femme. Il savait qu’elle avait l’oreille du propriétaire, souvent plus que lui. Il devait s’en faire une alliée, non l’inverse.
— C’est une excellente opportunité d’élargir notre activité. Peut-être pourriez-vous lui en toucher un mot.
— Certes, fit Isobel, en se redressant. Mais Cynred désire que ce théâtre reste un lieu d’art. Et je sais quel type de personnes sont attirés par ce genre d’activité, j’en ai bien souvent arrêté dans ma carrière de garde.
— Il suffit de choisir des joueurs triés sur le volet, insista-t-il.
La guerrière se tourna vers lui et soupira.
— Je lui en toucherai un mot. Mais ce sera la dernière fois !
Valronn s’inclina en une parodie de révérence et sourit.
— Bien sûr, ma chère.
Puis il s’éloigna pour rejoindre la salle de spectacle.
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