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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

L’air frais sur sa peau humide faisait frissonner le jeune homme. Cynred enfila sa tunique et son pantalon et se laissa tomber dans l’herbe humide. Le visage levé vers le ciel, il admirait les reflets enflammés que les rayons du soleil peignaient sur les lointaine Monts Dorés. Leurs couronnes de cristal resplendissaient. Le haut mur du jardin l’empêchait d’apercevoir le lac, à quelques mètres, mais la majesté du ciel et des montagnes lui suffisait. Le soleil commençait à réchauffer tout doucement l’atmosphère, et il se sentait mieux. Ses cheveux dégoulinaient encore dans son cou, mais il n’en avait cure, tout entier concentré sur les mélodies du petit jardin.

Ce petit parc, carré, entouré de murs assez hauts, qui le protégeaient des regards, malgré les crevasses dans la pierre était son havre de paix. Tant que le temps le permettait, il utilisait l’eau fraiche du pied pour faire ses ablutions du matin – son rituel de purification puis il y restait un moment, profitant du calme et du silence pour se ressourcer.

Le puits de pierre se trouvait au centre d’une roseraie, dont les fleurs tardives embaumaient l’air. Il aimait par-dessus tout le moment où les rayons du soleil se réverbéraient sur les arcades de bois blanc et faisaient briller le rouge et le rose des pétales, colorant l’atmosphère de leurs notes harmonieuses. Autour de cet espace carrelé, du gazon parsemé de fleurs des champs lors de la saison du Soleil accueillait des petits oiseaux et des insectes. Écouter le grésillement des abeilles et le pépiement des petits volatiles calmait son esprit. Mais c’était de plus en plus rare, maintenant que la saison des Glaces approchait.

Quelques arbres anciens, hauts de plusieurs mètres, surveillaient les alentours et protégeaient les massifs de fleurs de leur ombre. Ils étaient en train de perdre leurs dernières feuilles et leurs silhouettes décharnées ressemblaient à des hommes et des femmes qui tendaient leurs bras vers le ciel. Cynred ne se sentait pas triste : il aimait chacun des états de la nature, en toute saison ; elle lui offrait des mélodies sans cesse changeantes.

Les tremblements cessèrent au bout de quelques minutes et il laissa les rayons du soleil lui caresser le visage. Il allait devoir bientôt rentrer et commencer sa journée. Trois coups sur la porte de bois qui menaient à l’intérieur du théâtre le lui rappela d’une manière très désagréable. Cynred prit le masque blanc posé sur l’herbe à côté de lui et l’ajusta puis il se tourna pour accueillir Isobel, qui s’approchait déjà de lui.

De grande taille, athlétique, la jeune femme était vêtu d’un pantalon noir, serti dans des bottes en cuir, d’une tunique blanche assez épaisse. Ses cheveux noirs, coupés courts, encadraient un visage ovale, aux grands yeux noirs, sans pupilles. Ses oreilles, effilées, dépassaient légèrement de sa chevelure. Sa peau était d’un bleu tendre, presque transparent. L’elven fronça le nez. Cynred trouva son expression adorable.

— L’air est glacial. Tu es certain que c’est une bonne idée de te laver dehors ?

— Bonjour à toi aussi, Isobel, fit le jeune homme avec une pointe d’amusement. C’est encore supportable … et vivifiant.

— J’imagine, fit-elle. Maitre Millepière est arrivé.

Cynred sourit et se leva. Il rejoignit son assistante et Ils retournèrent à l’intérieur du bâtiment. La porte donnait sur un couloir peu large, qui desservait des espaces de rangement, une petite cuisine et l’appartement où dormait Isobel. Lorsqu’il l’avait engagée, quatre ans auparavant, il lui avait proposé de loger au théâtre.

Ils se connaissaient depuis longtemps : deux ans après qu’il ait commencé son apprentissage chez le luthier Millegrin, dans le quartier nord, elle les avaient dépannés plusieurs fois, en empêchant des racailles de les rançonner. Cynred, lui, avait gravé son image dans son esprit, une nuit d’il y avait quinze ans, la nuit où il s’était enfui. Alors, lorsque Millegrin lui avait raconté qu’Isobel était venu le voir et lui avait dit qu’elle avait été licencié, il lui avait demandé de lui transmettre sa proposition d’embauche, la prochaine fois qu’il la verrait. Un matin, elle s’était présentée à la porte du théâtre.

Il s’était souvent demandé pourquoi il avait fait cette proposition. La réponse était complexe. Pour l’aider. Pour la remercier d’avoir sauver cette autre âme en peine enfermée dans le manoir. Pour les avoir protéger, lui et son patron. Parce qu’elle était, sans le savoir un lien avec son passé, Parce que sa mélodie était magnifique.

Le poste qu’elle occupait restait flou, cependant : assistante, garde, trésorière…, elle faisait tout ça, et plus encore. Il la considérait comme une amie et elle semblait se comporter comme telle, n’hésitant pas à lui dire sincèrement ce qu’elle pensait.

Lorsqu’ils poussèrent la porte qui menait dans le hall d’entrée du théâtre, le bruit de la rue s’intensifia. Il était encore tôt, mais déjà des charrettes remontaient ou descendaient l’avenue qui reliait le quartier populaire du nord au quartier plus cossu du sud. Argentlune était une vaste cité, installée sur une île du lac du même nom.

Un homme, vêtu d’une veste brune, d’un pantalon de la même couleur, simples et en bon état, attendait patiemment, debout devant l’un des vitraux de l’entrée. Il était assez petit. Il avait soixante-trois ans, mais en paraissait dix de moins. Seuls ses yeux, sous ses lunettes, respiraient une sagesse très ancienne. Ses cheveux bruns tombaient sagement sur sa nuque. ; son visage rond s’éclaira d’un sourire lorsqu’il vit son ancien élève.

— Cynred ! fit-il, en s’avançant vers lui.

— Maitre Millegrin, répondit le jeune homme, en serrant la main qu’il tendait.

— Je t’ai apporté ton violon, continua l’artisan, en montrant le caison posé sur le sol. Mais je suis étonné : tu aurais pu le réparer toi-même.

Cynred sourit.

— Je préfère que vous vous en occupiez. J’ai beaucoup de choses à faire et j’avais peur de ne pas avoir le temps.

Un petit rire secoua le vieil homme.

— Ou alors tu voulais faire travailler un vieux bougre comme moi.

Le sourire du jeune homme s’élargit.

— Voulez-vous un peu de thé ? proposa-t-il.

— C’est gentil, mais je dois aller ouvrir la boutique : j’ai une livraison de bois ce matin. Tu passeras me voir pour me dire ce que tu penses du violon.

Cynred ne répondit pas immédiatement, soudain gêné. Le vieil homme se sentit penaud : il avait oublié que son ancien élève n’aimait pas sortir. Il était difficile de discerner les émotions du compositeur, à cause de son masque. Le luthier n’avait jamais eu l’occasion de voir son visage, pendant les trois années où l’adolescent avait été son apprenti. Il était arrivé à Argentlune, à quinze ans, seul, avec un permis à jour. Il s’était enregistré à l’Hôtel de Ville, et avait cherché un apprentissage. Le luthier l’avait pris sous son aile, mais il était resté très secret sur son passé, sa famille. Cependant, c’était un gentil garçon, très doué avec la musique et les instruments. Le vieil homme avait été surpris, mais aussi ravi lorsque, à sa majorité, Cynred avait pu acheter le vieux théâtre branlant pour une bouchée de pain.

— J’essaierai, finit-il par dire, d’une voix plutôt ferme.

Millegrin sourit et ses yeux pétillèrent.

— A bientôt, fit-il enfin. Prends soin de lui, Isobel.

— Évidemment, fit la jeune femme, en se dirigeant vers la porte.

Elle l’ouvrit et laissa passer le luthier. Puis elle referma la battant derrière lui. Cynred, agenouillé, admirait le violon, dans son étui sur le sol.

— Tu pourrais aller le voir, ça lui ferait plaisir.

— J’ai dit que j’essaierai, répondit-il, sans la regarder. Je vais dans mes appartements pour le tester.

— Tu seras présent au concert ce soir ? demanda-t-elle.

Il ne répondit pas, continuant son chemin comme si de rien n’était. Pourquoi lui posait-elle la question ? Il ne sortait jamais de ses appartements les soirs de concert. La gêne qui l’avait envahi après la demande de son ancien maitre s’effaça entièrement quand il sortit l’instrument de son étui. Il caressa le bois foncé et brillant de la caisse de résonance et fit jouer les cordes avec ses doigts. Puis il prit l’archet et y joua quelques notes. Elles résonnèrent dans l’appartement, limpide et cristalline. Satisfait, il le posa sur son présentoir, accroché au mur.

Son regard se posa sur les partitions éparpillées sur le piano, au fond de la pièce, dans un coin. Il soupira : depuis deux semaines il travaillait sur ce morceau et Sélyna ne cessait de le harceler pour qu’il y fasse des changements. Cela commençait à l’agacer. Depuis qu’il la connaissait, c’était la première fois que la chanteuse s’immisçait ainsi dans ses compositions et cela commençait à l’agacer.

Valronn la lui avait présentée quand ils avaient ouvert le théâtre. Sa beauté charmante l’avait époustouflée. Elle était toujours très apprêtée : ses toilettes élégantes soulignaient sa grâce ; son maquillage discret mettait en valeur ses traits et ses lèvres. Elle faisait preuve d’une grande douceur envers lui : ses yeux bleus étaient toujours pétillants quand elle le regardait ; elle avait une voix suave et douce, puissante quand elle chantait. La première fois où il avait joué pour elle, elle avait improvisé des paroles, qu’elle avait chantées avec une tonalité qui seyait si bien à la musique, que Valronn avait eu l’idée d’organiser ces concerts. Depuis, deux fois par semaine, la salle de spectacle était remplie de nobles de tous âges.

Il se rendit dans la petite cuisine attenante au salon et remplit sa théière en fonte d’eau, qu’il mit à chauffer au-dessus du poêle à bois. Il activa le feu, puis prépara une tasse et son thé préféré sur la table. En attendant, il enleva ses bottes et les posa dans le coin près de la porte. Il préférait être pied nu chez lui. Les fenêtres grande ouvertes laissaient entrer l’air frais et il inspira profondément, se laissant envahir par les vibrations qu’il transportait.

Une fois la tasse de thé prête, il l’emporta jusqu’à son piano et la posa sur le rebord. Il empila les feuillets contenant sa partition et la relut en fronçant les sourcils. Très vite, il se rappela de la mélodie du lac qu’il essayait de transcrire. Il sourit de plaisir, but une gorgée de thé brûlant, et se remit au travail, tout agacement disparu de son esprit.


Texte publié par Feydra, 6 août 2023 à 18h50
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