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tome 2, Chapitre 1 tome 2, Chapitre 1

— Tu as quelque chose à prendre ? lui demanda Marius sans le regarder.

La main toujours enserrée dans la sienne, Ariel suivait le pas rapide et cadencé de son ami pour s’éloigner du commissariat. Mariusi les entraîna dans une ruelle sombre.

— Pourquoi tu me…

— Des choses que tu veux emporter avec toi coûte que coûte.

— Non, répondit Ariel.

— Très bien, fit Marius en le lâchant. Préviens Léandre avec ton bracelet. Il faut que lui et les filles sachent que les flics sont à leur recherche.

Ariel obéit : il traça du doigt la rune de la communication sur sa gourmette en argent et organisa du mieux qu’il le put ses pensées pour qu’elles parviennent de manière cohérente à Léandre. Pendant ce temps, Marius avait ouvert un portail. Ariel hésita.

— Où est-ce que…

— Tu me fais confiance ?

Ariel pressa les lèvres l’une contre l’autre et attrapa la main que Marius tendait vers lui. Aussitôt, la chaleur d’un vent sec lui frappa le visage et le crissement du sable sous ses pieds l’informèrent qu’ils étaient loin, très loin de Paris. Le portail se referma sans un bruit.

— L’Égypte, Marius ? bredouilla Ariel, angoissé.

Comme si personne n’allait venir les chercher ici ! C’était le dernier lieu de fouilles de Marius, bien sûr que…

— Du calme, il faut un mois depuis Marseille pour rejoindre Le Caire, et encore, les Britanniques peuvent bloquer leurs recherches ici.

— Et le Cercle ? Parce qu’eux n’ont pas besoin…

— Nous serons loin d’ici là.

Marius épousseta le devant de sa veste, remit sa bandoulière en place et sortit de l’impasse. D’un coup d’œil par-dessus son épaule, il indiqua à Ariel de le suivre.

Ariel n’était jamais sorti de Paris, si bien que la luminosité des rues cairotes lui piqua les yeux. Le bruit, les cris dans une langue inconnue, les odeurs exotiques, le blanc des tunique bédouines lui agressa les sens. Marius l’attira à lui pour éviter une ribambelle d’enfants.

— Reste près de moi.

— Pourquoi nous sommes ici ?

— J’ai besoin de récupérer des choses avant que nos amis tombent dessus.

Marius leur fit un passage parmi la marée humaine, à l’aise dans le labyrinthe qu’était cette ville coloniale. Ariel dut s’accrocher à son bras pour ne pas se faire emporter par la foule.

— Pardon, j’aurais dû mieux calculer le point d'atterrissage, j’ai fait ça dans l’urgence…

— Tu viens de nous faire parcourir des milliers de kilomètres, ne t’excuse pas.

Marius glissa un peu plus le bras d’Ariel sous le sien et y posa une main réconfortante.

— Avec chance, nous n’allons croiser personne que je connais…

Quand enfin, ils atteignirent ce qui ressemblait à des faubourgs, l’air fut plus respirable. Ariel se détacha de Marius et passa une main dans ses cheveux d’où perlait déjà de la sueur. La chaleur était étouffante, et son habit n’était pas adapté pour le climat.

Marius s’arrêta devant une maison de plein pied en briques, recouverte de chaux blanche, et fouilla son sac. Il en sortit une petite clef usée qu’il inséra dans la serrure, tout en traçant sur le bois de la porte la rune de déverrouillage. En passant l’entrée, la fraîcheur mordit la peau d’Ariel.

— Tu habites ici ?

— C’est mon pied-à-terre, oui.

Les fenêtres étaient petites et la lumière y passait peu. L’endroit sentait la poussière, le sable, le renfermé et les vieux papiers. Le mobilier de la pièce principale se résumait en quelques bibliothèques précaires et une planche tenue par deux tréteaux, faisant office de bureau. Là aussi, c’était encombré de papiers.

Marius ne perdit pas son temps et sortit de la pile un petit paquet de lettres manuscrites, qu’il fourra dans son sac. Il avait l’air soulagé.

— Et le reste ?

— Ça peut rester, j’ai le plus important avec moi. Maintenant, faut qu’on bouge, ou les sbires du Cercle vont nous trouver…

— Et où on peut aller ? Ils ont ton historique de fouilles, on ne peut pas…

— Oh ils ne savent pas tout.

Léandre n’avait aucune idée de ce qu’il fallait faire. Il avait trouvé Isaure et Salomé pour leur passer le message d’Ariel, et depuis, il n’avait pas réussi à faire quoique ce soit. Son réflexe fut de saisir les carnets de son maître et de les serrer contre lui, sans savoir comment les protéger. Autour de lui, Isaure et Salomé réunissaient leurs affaires pour pouvoir partir en catastrophe.

— Léandre ! Bouge-toi ! De quoi as-tu besoin ?

— Ta mallette à potions, allez !

— Si jamais tu nous enquiquines parce qu’il te manque tel ou tel bijou, je te jure que…

Salomé s’interrompit lorsqu’elle se rendit compte des larmes qui coulaient librement sur les joues de son ami. Un éclair coupable passa dans ses yeux. Isaure posa des mains rassurantes sur les épaules de Léandre.

— Léandre, nous avons besoin de toi, d’accord ? Prend ce dont tu as besoin, Salomé et moi nous occupons du reste.

— Je n’ai jamais quitté le Cercle. Jamais sans leur accord.

Isaure s’approcha et posa des mains réconfortantes sur ses épaules.

— On sait, dit-elle d’une voix douce. On s’occupe de la destination.

— Je…

— C’est le journal de Thaddée, ça ? s’enquit Salomé.

Léandre acquiesça silencieusement. Salomé grimaça.

— Pas sûre que ça nous soit utile, mais si tu y tiens…

Elle attrapa les carnets noirs, reliés ensemble par un ruban rouge, et les glissa dans son sac de voyage. Des coups retentirent contre la porte de la chambre avec fracas, et Léandre crut que son cœur allait lâcher.

— Léandre Alzaerus ! Ouvrez-nous !

Salomé ouvrit un portail en un éclair, et poussa presque ses amis à l’intérieur. Déséquilibré, Léandre sombra dans un fourré de hautes herbes. Il se redressa comme il le put, surpris par la moiteur de l’air qui lui colla à la peau et par le vert vif de la forêt - non, de la jungle - qui les entourait. Il regarda tout autour de lui, impressionné par l’intensité des bruits et des couleurs.

— On est où ?

— Royaume de Siam, près de Chiang Mei.

— Pourquoi ici ?

Salomé haussa les épaules.

— C’est ta faute, répondit-elle en jetant un œil accusateur à Léandre, tu m’as fait penser à Thaddée.

— C’est ici que…

— Ouais. C’est là où il voulait que ses cendres soient répandues.

Elle avança sans un mot, frayant un chemin à l’aide de sa machette, et les deux autres lui emboitèrent le pas. Autour d’eux, la jungle abondait d’animaux, au vu des cris que Léandre n’avait jamais entendus jusqu’alors, et il semblait être le seul à y être sensible.

— C’est pas aussi dans le coin qu’il a trouvé Ariel ? s’enquit Isaure. Officiellement, il l’a rencontré aux Indochine mais…

— D’après ses notes, oui, ça fait partie des choses que j’ai réussi à décrypter.

D’eux tous, il était le seul à être intéressé par l’héritage de Thaddée et avait gardé un maximum de choses de lui. Les plus précieuses étaient ses notes, rassemblées dans ses carnets noirs qui prenaient tout à tout l’image de grimoire ou de journaux intimes. Le tout était rédigé en différents codes, différentes langues, différents alphabets, et c’était un monstrueux casse-tête de tout traduire. Il passait ses soirées à cette mission, avec plus ou moins de succès, mais certains passages nécessitaient de passer par deux ou trois codes de cryptage différents.

Après s’être une fois de plus cassé la figure à cause de ses chaussures de ville absolument pas adaptées au terrain, Léandre soupira. Isaure l’aida à se relever.

— Loin de moi l’idée de me plaindre, mais où est-ce que tu nous emmènes ?

— Au village de Thaddée. Là-bas, on sera en sécurité.

— Le village de… tu l’as trouvé ?

— Oui, avec Marius. Peut-être qu’il y est déjà.

— Et vous ne nous avez rien dit ? s’offusqua Isaure.

— Tu sais depuis combien de temps je cherche à localiser cet endroit ?

— Il faudrait que tu sortes le nez du Cercle pour ça.

Léandre serra les dents. Depuis la mort de Thaddée, il n’avait plus quitté Paris qu’en de très rares occasions.

— Et comment vous êtes tombés dessus ?

— Au hasard de mes fouilles. Ils ont reconnu la marque de Thaddée sur ma nuque et m’en ont parlé. Apparemment, il a fait un tas de bonnes choses là-bas, et ils m’ont promis qu’ils m’aideraient en cas de problème. Maintenant, on arrête de parler et on s’économise, je n’ai plus assez d’énergie pour ouvrir un nouveau portail et j’aimerais qu’on y arrive avant la nuit.

Léandre n’insista pas. De toute façon, il avait trop peu de souffle pour ne pas être d’accord.

— Où est-ce qu’on va ?

— J’ai besoin d’aller vérifier quelque chose, là où j’ai trouvé la momie de…

Marius s’interrompit, la mine concentrée, à moitié dans ses pensées. Ariel poussa un souffle tremblant d’angoisse. Ils étaient revenus dans un quartier très fréquenté, et Ariel s’était déjà fait bousculé quelques fois. Il n’avait pas l’habileté de son ami pour les éviter, lui qui semblait aussi à l’aise qu’un poisson dans l’eau. Ariel ne se sentait absolument pas à sa place. Sa veste et son pantalon étaient trop sombres pour pouvoir passer inaperçus, même si de nombreux Européens étaient habillés à l’occidentale. Chaque regard qui se posait sur lui provoquait une pique d’anxiété le long de sa colonne vertébrale, comme si on lâchait des bacs d’eau glacée dans son dos.

La main de Marius se posa sur sa nuque, ce qui le fit légèrement sursauter.

— Détends-toi, je ne serais pas long.

Ses yeux se fixèrent sur un point derrière Ariel, et il se tendit.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Nous avons été repérés. Fais comme si de rien n’était.

Marius lui attrapa la main et entremêla leurs doigts avec force. Ils accélèrent le pas, Marius lança quelques excuses en arabe aux gens qu’ils dépassaient. Ariel regarda par-dessus son épaule : un individu, grand, en complet gris, se hâta derrière eux pour suivre leur cadence.

— Tu le reconnais ?

— Un Britannique qui bosse pour le Cercle de Londres, répondit Marius. Il est archéologue ici aussi, et je crois qu’il a été formé avec de Bréhaut.

Cela confirmait que Syméon de Bréhaut était derrière l’arrestation d’Ariel…

— J’espère que les autres sont à l’abri.

— T’inquiète pas, Salomé sait où aller.

La main de Marius se resserra. Il tourna d’un seul coup dans une rue et poussa Ariel derrière un étalage, et lui-même derrière la haute silhouette du marchand d’épices.

— Et s’il nous a marqué ? chuchota Ariel.

— Je le sentirais.

Pour calmer le vendeur, Marius glissa quelques pièces dans sa main, et ils attendirent quelques longues secondes. Le marchand eut quelques mots pour Marius, qui traduisit :

— Il est parti.

Il tendit la main à Ariel pour l’aider à se relever.

— Tu as vraiment besoin d’aller vérifier ton…

— Oui, j’ai besoin de voir si j’ai raison.

Ariel eut presque envie de se moquer de lui, mais la réponse aiguisa davantage son inquiétude.

— Tu as toujours raison, Marius !

— Non, je…

Marius ne termina pas sa phrase, une fois de plus, et Ariel roula des yeux. Il ne pouvait que le suivre, incapable de se retrouver dans ce pays inconnu. Marius regarda à droite, puis à fauche, et pénétra dans une boutique boutique d’antiquaire qui ne payait pas de mine. Passé le rideau de perles, l’endroit regorgeait de trésors. Ariel papillonna des yeux face à tant de richesses.

— C’est un pilleurs de tombes ?

— Non, il a les autorités britanniques lui ont donné le permis pour fouiller, il revend juste. Hey, Farid !

Il poursuivit la conversation en anglais après avoir salué l’antiquaire. Ayant peu de notions dans cette langue, Ariel suivit le plus important mais n’intervint pas. Marius posait des questions sur le lieu et les manières dont la dernière momie qu’il lui avait achetée avait été retrouvée. L’accent de Farid était trop prononcé pour qu’Ariel en comprenne les réponses. Quand ils prirent congès, Marius lui glissa :

— Je le savais, il n’a pas trouvé la momie tout seul. Des Anglais lui ont fourni l’info, d’ailleurs ça l’a surpris qu’ils ne la revendent pas eux-mêmes.

— Tu crois que ce sont des gens du Cercle de Londres ?

— En tout cas…

Marius se stoppa net. L’homme en complet gris les avait retrouvé.


Texte publié par Codan, 16 juillet 2024 à 20h00
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