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tome 1, Chapitre 10 tome 1, Chapitre 10

— Dahlier, je peux savoir ce que vous foutez ?

Ariel n’avait même pas eu le temps d’enlever son manteau que le commissaire Hauvert déboulait dans son laboratoire, furieux.

— J’ai pris ma matinée pour…

— Pour retourner vous balader sur les lieux des crimes ! Vous pensez vraiment que je n’allais pas le remarquer ?

— Vous n’avez pas autre chose à faire que de me mettre vos indics sur le dos ? À moins que vous ne me filiez vous-même !

— Je vous avais aussi dit que je ne voulais pas que des civils soient impliqués ! Et vous ramenez ces deux femmes !

Ariel haussa le menton. Thaddée lui avait appris à ne jamais baisser les yeux, même s’il était en tort.

Il haussa un sourcil. Que pouvait-il lui dire ? Que ses deux amies pouvaient l’aider de par leurs compétences ? Détailler les compétences en question ? Hauvert devait rester dans l’ignorance : c’était mieux pour lui. Le commissaire soupira, puis se pinça le nez.

— Cette fois, vous ne me donnez vraiment pas le choix.

Il fit un signe vers le couloir. Deux policiers en uniforme s’avancèrent vers lui.

— Qu’est-ce que…

Avec horreur, Ariel recula, mais les deux molosses à moustaches lui empoignèrent les bras.

— Ariel Dahlier, je vous arrête. Vous êtes…

— Comment ça, vous m’arrêtez ?!

Il chercha à se défaire des policiers, sans succès.

— Soupçonné de meurtre. Vous pouvez…

— Quoi ?! Mais Hauvert, c’est ridicule ! Je travaille sur cette enquête !

— Garder le silence ou…

La respiration d’Ariel s’accéléra. Les mains entravées, il ne pouvait employer de runes pour se sortir de là. Mais par contre il pouvait prévenir les autres… Il toucha sa gourmette en argent, en y transmettant toute son incompréhension et sa panique.

Ariel fut jeté dans une cellule où croupissait déjà un poivrot notoire et une prostituée.

— Eh ! hurla-t-il entre les barreaux. Expliquez-moi ! Hauvert !

Il n’avait répondu à aucune sollicitation et l’avait laissé s'époumoner pendant tout le trajet. Ariel restait tourmenté par ses questions. Il se faisait accuser de meurtre parce qu’il revenait sur les scènes de crimes ? Vraiment ? Où y’avait-il autre chose ? Quelqu’un avait-il glissé des fausses pistes à l’oreille du commissaire pour se débarrasser de lui ? Et ses amis, étaient-ils en sécurité ? Il pria pour qu’ils aient reçu son appel, via leur propre bijou. Léandre l’avait, c’était sûr, mais les autres…

— T’as l’air d’un monsieur, qu’est-ce tu fous là, gamin ?

— Oh, si tu savais tous les monsieurs que je vois passer !

Les deux compagnons de cellule d’Ariel rirent à gorge déployée. S’ils n’avaient pas été là, Ariel aurait pu jouer les filles de l’air, mais leur présence l’en empêchait. Et filer, pour quoi faire ? Changer de pays, comme les autres ? Il avait son métier ici. Son identité actuelle lui plaisait, et il n’avait aucune envie d’en changer tout de suite. Et puis, qui retrouverait l’assassin de toutes ces filles, s’il ne le faisait pas ? Les souffrances des victimes, qu’il avait ressenties comme les siennes, alourdirent son cœur. Il se sentit d’un seul coup très seul. Il s’assit sur le coin du lit en bois et se prit la tête dans les mains.

— Eh bah, mon grand, qu’est-ce qui va pas ?

— Laissez-moi le voir !

Cette voix, Ariel l’aurait reconnue entre mille. Son cœur s’emballa. Il releva la tête : à l’accueil, quelqu’un faisait un scandale, et ce quelqu’un, il était sûr que c’était Marius.

— Il n’a pas encore été entendu et…

— Qu’est-ce que vous avez contre lui, hein ? Vous pensez vraiment que…

Le reste devint inaudible.

— C’est pour toi qu’on fait ce raffut ?

Oui, Marius faisait ce raffut pour lui, et cette idée le réchauffa un peu.

Il ne put savoir au bout de combien de temps on vint le chercher : sa montre, ainsi que tous ses effets personnels, lui avaient été confisquée. Ses deux compagnons avaient été relâchés, non sans l’avoir qualifié de quelques surnoms graveleux au passage, et il avait attendu, allongé sur la planche en bois qui servait de lit, les yeux analysant le plafond.

Tout se mêlait : les observations de Salomé, les suspicions envers Syméon de Bréhaut, sa dernière discussion avec Marius, les souvenirs des filles assassinées qu’il avaient encore vivaces dans son esprit. Il porta la main à son cœur, douloureux mais battant.

Un policier vint lui ouvrir et lui passer les menottes. Il remonta au rez-de-chaussée et, à l’accueil, Marius se releva de sa chaise pour s’approcher et le prendre dans les bras.

— Monsieur, vous n’avez pas le droit !

— On va te sortir de là. Je vais te sortir de là. Promis.

Des policiers les séparèrent de force. L’un d’entre eux força Ariel à avancer vers les bureaux et l’installa dans l’un d’entre eux. Au vu de la taille, du nombre de dossiers entassés à l’arrière et du manteau pendu à la patère, il sut qu’il était dans le bureau d’Hauvert. Il n’y avait jamais mis les pieds : c’était toujours lui qui venait à son laboratoire pour chercher les rapports et les expertises dont il avait besoin. Ariel força un peu ses menottes, dans son dos, elles lui entaillèrent les poignets et rendait sa position inconfortable. Sans runes, il lui était plus compliqué de convoquer sa magie. La porte s’ouvrit sur Hauvert, qui lui jeta un regard froid et suspicieux, avant de s’installer à son bureau.

— Vous allez me dire que j’ai de la chance d’être reçu ici, et pas dans une de vos salles d’interrogatoire ?

— En effet, répondit le commissaire. J’ai de l’estime pour vous, Dahlier.

Ariel secoua comme il le put ses poignets pour faire tinter les menottes.

— C’est comme ça que vous traitez les personnes pour qui vous avez de l’estime ? Commissaire, depuis combien de temps je travaille avec vous ? Combien d’affaires j’ai contribué à résoudre ?

— C’est moi qui pose les questions ici.

Ariel retint un soupir et se mordit l’intérieur des joues. Il avait envie de hurler.

— Vous avez été observé à plusieurs reprises sur les scènes de crime, accompagné de ces personnes.

Hauvert glissa devant lui les fiches d’identité d’Isaure, Salomé, Marius et Léandre. La photographie était obligatoire pour obtenir des papiers et sortir du pays depuis quelques années, et même si dans l’absolu, ils n’en avaient pas besoin, ils respectaient autant que possible les lois des Insensibles.

— Je sais que vous avez grandi ensemble, avec un certain Thaddée Elfath comme tuteur, mort il y a quinze ans de ça. Vous confirmez ?

Ariel le fit d’un petit geste de la tête. Rien ne servait de mentir.

— Mort dans des circonstances étranges, même le médecin légiste n’a pas réussi à nous dire comment. C’est après son décès que trois de vos compagnons ont quitté la France pour enchaîner les voyages.

— Ils sont archéologues, justifia Ariel.

— Oui, spécialisée dans les rites occultes des civilisations précolombiennes, dit-il en pointant Isaure du doigt, des sacrifices religieux moyen-orientaux et européens, continua-t-il en pointant Marius, et des pratiques funéraires indochinoises, termina-t-il avec Salomé. Et vous êtes légiste. On ne peut pas dire que la mort vous effraie.

Ariel resta de marbre, même s’il commençait un peu à paniquer de voir que le commissaire avait enquêté sur ses amis. Les informations n’étaient pas secrètes, se rassura-t-il, un policier aussi consciencieux que Hauvert pouvait facilement les rassembler. Ce dernier posa le bout de ses doigts sur la fiche de Léandre.

— Quant à lui, il a un profil atypique. Il profite de cette mode ridicule de l’ésotérisme pour arnaquer de pauvres personnes qui pensent communiquer avec leurs proches. Vu plusieurs fois chez le docteur Papus, c’est une proche connaissance de Péladan, il a même assisté à plusieurs séances chez une certaine Mme Blavatski, outre-manche.

Ariel se retint de défendre Léandre, l’hypersensible le plus brillant qu’il ait jamais rencontré et qui mettait ses compétences incroyables au service des personnes endeuillées. Il ne profitait pas de leur argent et se faisait d’ailleurs rarement payer. Il était fier d’être ami avec une personne au si grand cœur.

— Si c’est pour me dire ce que je sais déjà, pourquoi m’avoir arrêté ?

— J’y viens, j’y viens.

Le commissaire se renfonça dans sa confortable chaise et garda son attention toute entière braqué dans celui d’Ariel, sans ciller. Ariel soutint son regard.

— Je pense que vous avez travaillé avec moi pour garder le contrôle de la situation, et me donner juste assez d’informations pour que je ne vous enquiquine pas. Je pense que vous et vos amis êtes à l’origine de ces crimes, et que quelque chose de plus gros se prépare et c’est pour ça que vous les avez appelés. Je pense aussi que ce sont des rites sacrificiels en vue de ramener Thaddée Elfath parmi nous.

Ariel resta interdit quelques secondes.

— Vous faîtes bien la différence entre penser et croire, Hauvert ? Parce que ramener les morts, ça, c’est de la croyance. Vous avez des preuves de ce que vous avancez ?

— Vous avez été vu par plusieurs témoins sur les scène de crime.

— Oui, vous me l’avez…

— Avant les crimes.

Ariel fronça des sourcils.

— C’est faux.

— Ce n’est pas ce que me disent les témoins.

— Et vous les avez miraculeusement trouvés maintenant, alors que ça fait des mois que vous peinez à avoir la moindre piste ? Ils sont venus de leur plein gré pour vous faire une jolie déposition ? Allons donc, commissaire, soyez sérieux ! Ça pue le complot !

Le commissaire l’observa longtemps, comme s’il pesait le pour et le contre. Ariel croyait en l’intelligence de cet homme, il savait que c’était un enquêteur brillant qui résolvait beaucoup, beaucoup d’affaires.

— Si vous aviez connu Thaddée, vous non plus, vous n’aimeriez pas qu’il revienne. Il est bien là où il est.

— Et que devrais-je savoir sur votre tuteur ?

Ariel s’humidifia les lèvres. Son maître, l’éducation qu’il leur avait prodiguée, son passé, tout ça, jamais il ne l’avait abordé avec Hauvert, ni personne, même plus les quatre autres. Tout était scellé dans un coin de son être, au fond de sa mare de souvenirs, et jamais il n’osait le faire revenir à la surface.

— Vous êtes tellement secret, je n’avais aucune idée que vous étiez orphelin.

— Est-ce que c’est cela, qui est le plus intéressant, chez quelqu’un ? Son passé ? Savoir d’où il vient ?

— Ça explique beaucoup de choses. Thaddée Elfath était-il violent avec vous ?

— Comme tous les pères exigeants. Il voulait le meilleur de nous, et était prêt à tout pour l’obtenir.

— Avait-il des ennemis ?

— Sans doute.

— En avez-vous hérité ?

Ariel ne put s’empêcher de froncer les sourcils.

— Qu’entendez-vous par là ?

— Y’aurait-il des gens capables de vous apporter des problèmes ?

— Comme tout le monde, non ?

Hauvert soupira.

— Vous ne m’aidez pas, Dahlier.

— Vous venez de m’arrêter pour meurtre, en quoi vous aiderais-je à m’amener à l’échaffaud ?

Le commissaire eut encore un long moment de silence, où il observa Ariel, en proie à ses réflexions. Il finit par dire, la voix assurée :

— Je sais qu’il s’agit d’un complot. Ne me demandez pas pourquoi, mais je le sais. J’aimerais aussi savoir pourquoi quelqu’un se donne la peine de vous dénoncer vous et vos compagnons pour vous faire porter le chapeau.

— C’est pas votre job, de le deviner ?

— J’ai besoin de votre coopération, Dahlier. Accessoirement pour vous sauver les fesses.

— Et c’est en me menottant que vous pensez me mettre dans de bonnes conditions ?

— Vous n’auriez pas coopéré de votre plein gré.

— Et qu’est-ce qui vous dit que je sais plus de choses que vous ? Je ne suis que légiste, c’est vous l’enquêteur.

— Ne vous fichez pas de moi, Dahlier. Vous appelez vos amis spécialistes des morts sacrificiels. Vous leur faîtes visiter les lieux du crime, tous. Et quelqu’un convainc une tonne de personnes différentes de vous dénoncer. Qu’est-ce que vous faîtes ? Qu’est-ce que vous savez ? Pourquoi on veut se débarrasser de vous ?

Ariel soupira et regarda le plafond. Il était fatigué… Il devait lui donner du biscuit, sinon Hauvert n’allait pas le lâcher. De sa voix neutre de légiste, il lista :

— Nos filles ont été tuées selon des pratiques sacrificielles ésotériques. Les lieux où les crimes ont été commis, ainsi que les jours et mêmes les heures, tout est calculé pour être propices à appeler des forces surnaturelles.

— Vous avez une idée de quelle secte cela pourrait être ?

— C’est en cela que mes amis m’aident.

— Et pourquoi ne pas m’en avoir fait part ?

— Au vu de la manière que vous avez de parler de mes amis, vous n’alliez pas me prendre au sérieux.

Un silence s’installa. Le masque d’Hauvert était bien en place, seul son regard, posé sur le dossier qu’il avait sous la main gauche, trahissait son appréhension.

— Que savez-vous du Cercle, Dahlier ?

Ariel se glaça.

— Le Cercle ?

— Oui, le Cercle.

Ariel hésita.

— Léandre en fait partie.

— Pas vous ?

Ariel s’agaça.

— Si vous le savez, pourquoi poser la question ?

— Vous voulez vous échapper de cette secte ? C’est eux qui…

Soudain, le commissaire eut un haut le cœur. Il porta la main à sa poitrine, tandis que sa gorge laissait s’échapper des râles profond de douleur.

— Hauvert ? Bon sang !! À L’AIDE !! Le commissaire fait une attaque, à l’aide !!

Des policiers débarquèrent en trombe dans le bureau et s’affairèrent autour d’Hauvert. Soudain, Ariel sentit ses menottes lui libérer les poignets. Une main empoigna la sienne. Il reconnut la chaleur de la paume contre la sienne, et le chuchotement qui s’échoua dans son oreille.

— Viens, on s’en va.

— Mais…

— On s’en va.

Dans le chaos provoqué par l’attaque cardiaque du commissaire Hauvert, personne ne s’aperçut qu’il quittait le 36, quai des Orfèvres au bras de Marius.


Texte publié par Codan, 17 mars 2024 à 16h17
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