L’aube commençait à rosir le ciel de Paris quand Ariel put convoquer assez de magie et sortir de la réserve du Louvre. Il atterrit dans la luxueuse chambre d’hôtel de Marius, attablé à son bureau, la chemise froissée et les cheveux défaits. À sa mine blafarde, ses traits tendus et son menton mal rasé, Ariel devina qu’il avait veillé toute la nuit en attendant son retour. Il y ressentit une pointe de culpabilité, avant de se rappeler ce qu’il venait d’éprouver à sa demande.
— Ariel, soupira Marius avec une pointe de soulagement. Viens t’asseoir.
La suite était grande, aménagée avec tout ce qu’il fallait pour recevoir. Ariel s’installa dans un fauteuil club de cuir camel, et lutta pour ne pas fermer les yeux au risque de s’endormir. Sur la table basse, une théière en laiton trônait, accompagnée de deux tasses blanches en faïence. Marius y dessina de l’index la rune dédiée à la chaleur, servit du café noir et fumant et en donna une tasse à Ariel.
— Alors ?
La question était posée avec nonchalance, mais l’inquiétude dans son regard, et le plaid en laine qu’il jeta sur les genoux d’Ariel le contredisaient.
— Tu avais raison, elle s’appelait Dounia.
Marius releva un sourcil.
— Plus vite tu me partages les informations dont j’ai besoin et pluie vite tu peux aller te reposer, Ari.
— Tu crois vraiment que je vais aller dormir ? J’ai une journée de travail, figure-toi !
Marius se pinça l’arrête du nez.
— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, mais après tout, tu es adulte, et tu fais ce que tu veux.
— Parfaitement !
Ariel chercha un instant le regard de Marius, pour le mettre au défi de le contredire, mais l’archéologue semblait lui aussi épuisé. Il s’enfonça dans le fauteuil qui l’accueillit à grand renfort de douceur.
— Elle a été attirée par un gars d’un chantier de fouilles, expliqua-t-il. Elle n’a pas vu son visage, mais il était de taille et de corpulence moyenne, et parle arabe. Je ne sais pas s’il est égyptien, ou si sa peau est mate à cause du soleil.
— Et sa mort ?
Les souvenirs étaient rendus flous par la violence. Ariel répondit, avec autant de détachement qu’il le put :
— Assommée, puis étalée dans un pentacle de sang avant d’être poignardée au cœur.
— Comme la majeure partie des rituels démoniaques. Vierge ?
— Je pense.
— On est sur la bonne voie.
Marius siffla sa tasse de café. Le silence s’installa, une minute, puis deux, sans qu’ils ne se regardent. Ariel piqua du nez.
— Merci beaucoup, lui dit Marius avec chaleur.
Ariel s’autorisa un sourire, parce qu’il était fatigué, et qu’il n’avait pas le cœur à feindre l’indifférence.
— J’aimerais te répondre “avec plaisir” mais c’est tout sauf une partie de plaisir. J’ai eu du mal à la percer.
— Épuisant ?
— Oui. Je vais sans doute rentrer à pieds.
— Tu peux faire une sieste, si tu veux, avant d’aller travailler Si ton commissaire te voit dans cet état, il te posera des questions. Le lit est très confortable.
Ariel hésita en faisant tourner sa tasse entre ses mains.
— Et toi ?
Marius se leva et s’étira.
— J’ai un rendez-vous avec le conservateur dans une heure. Je peux te laisser mon pass, tu le déposeras à l’accueil en partant.
— Je voulais dire : tu vas dormir où ?
— J’ai l’habitude des nuits blanches, tu le sais bien.
Ariel avait choisi le fauteuil confortable pour sombrer dans une sieste trop courte pour être véritablement réparatrice. Quand il se réveilla, Marius avait quitté son bureau d’acajou. Ariel fut tenté d’aller regarder dans le fouilli des papiers qui y étaient étalés, mais se retint : les affaires de Beaumont ne le regardaient pas. Il fit craquer les vertèbres de son dos, traça la rune de téléportation et traversa le trou dans l’espace qu’il avait créé pour se retrouver dans son laboratoire. Ce n’est que lorsqu’il enfila sa blouse qu’il remarqua qu’il n’avait pas eu le temps de se changer.
— Docteur Dahlier ? Déjà là ? Je ne vous ai pas vu entrer !
Le gardien, qui venait d’ouvrir le bâtiment. Ariel esquissa un sourire.
— Vous étiez déjà en train de vérifier le rez-de-chaussée, je n’ai pas eu envie de vous déranger.
— Vous avez entendu parler du grabuge du côté de la Goutte d’Or ? Paraît qu’ils ont encore trouvé une gamine…
Ariel fronça des sourcils.
— Ce serait la quatrième…
— Si c’est vrai, on vous la ramènera, de toute façon, non ?
Ariel acquiesça. Il ressortit ses notes griffonnées à la va-vite pour rédiger ses rapports au propre. Le gardien le laissa à son travail sans insister.
Il ne parvenait pas à se concentrer. Non pas à cause de la fatigue, c’était habituel, mais à cause de Dounia. Les souvenirs de la jeune femme venaient le hanter et, dans sa poitrine, il ressentait encore la lame du couteau qui la poignardait.
Poignarder… Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ? Ariel ouvrit les tiroirs de son bureau pour trouver les copies de ses derniers rapports. Il les ouvrit avec empressement, se relit, et trouva le point commun.
Les trois jeunes femmes qu’il avait autopsiées avaient toutes étaient poignardées au cœur, et retrouvées dans des lieux ou a des moments où le Voile était plus fin. Comme Dounia. Il sortit de sa transe lorsque son téléphone sonna.
— Dahlier ? crépita la voix du commissaire Hauvert de l’autre côté de la ligne. Vous êtes déjà au labo ? Très bien, je vous attends à la Goutte d’Or, rue des Poissonniers. Notre type a encore frappé cette nuit.
Ariel se faufila à travers la foule d’ouvriers qui s’attroupaient autour des démarcations des policiers. Les gars du tout flambant 36 quai des orfèvres étaient déjà sur place et certains, agacés, perdaient patience avec les curieux. Ariel s’éclaircit la gorge.
— Docteur Dahlier, je suis…
— Eh bien, Dahlier, c’était du rapide !
Hauvert fit signe à son sous-fifre de le laisser passer, et Ariel rejoignit le commissaire à grandes enjambées. Il le suivit jusqu’à l’endroit où reposait le corps.
— Vous ne l’avez pas…
— La seule personne qui l’a touchée, c’est le métallurgiste, là-bas, qui l’a découverte avant d’aller au travail.
Un jeune homme, certainement fraîchement arrivé à Paris pour travailler dans les nouvelles usines, répondait avec un fort accent polonais à la personne qui l’interrogeait, triturant sa casquette rapiécée entre ses mains. Quartier récemment intégré au Grand Paris, la Goutte d’Or était un espace d’accueil pour les populations ayant été expulsées du centre de la capitale par les travaux d’Haussmann, les migrants étrangers et les provinciaux en quête de travail.
Ariel s’agenouilla, et regarda la jeune fille de plus près. Ses cheveux blonds étaient parsemés de petites branches et de morceaux de feuilles mortes, et la raideur de ses traits immortalisaient une expression de terreur. Comme les autres, comme Dounia, un trou béant au cœur, et du sang, partout.
— Il l’a retournée, et il lui a fermé les yeux, l’informa Hauvert.
Cela expliquait les traces de boue sur son visage… Ariel ouvrit sa mallette et enfila ses gants. Il n’avait pas encore assez récupéré d’énergie pour voir le fantôme de la jeune femme, mais sans doute était-il déjà là, se demandant ce qui lui était arrivé, n’ayant pas encore récupéré ses souvenirs.
— Mais laissez-moi passer, je vous dis que…
— Tiens, ce serait pas votre ami, Dahlier ?
— Je l’ai appelé, j’aurais besoin de son aide.
Hauvert lui adressa un haussement de sourcils circonspect.
— Un archéologue ? Comment…
— S’il vous plaît, commissaire.
Celui-ci soupira, et d’un geste de la main, autorisa Marius Beaumont à les rejoindre. Les yeux cernés, le teint pâle et les cheveux moins bien coiffés qu’à son habitude, il adressa une œillade noire au policier qui l’avait arrêté. Le commissaire fut appelé ailleurs, et les laissa seuls.
— Pourquoi tu m’as appelé ?
— Tu vois, là ?
Ariel pointa la poitrine du cadavre.
— Dounia est morte comme ça. Et trois autres filles que j’ai autopsiées ces six derniers mois aussi. À peu près le même âge, toutes vierges et violées post-mortem. Je ne connais pas tes momies, mais je parie que je trouverai les mêmes choses.
Debout, l’air impénétrable, Marius observait le cadavre, les mains dans les poches de son pantalon.
— Le Voile est plus fin, ici, si je me souviens bien ?
— Tu te souviens bien. Particulièrement la nuit dernière, avec la nouvelle lune.
— Tu crois que notre type s’amuse à ouvrir des passages en Égypte et à Paris ?
— Non, je pense qu’on a plusieurs types, et que si ça se trouve, il y a ce genre de sacrifices ailleurs.
— Le Cercle l’aurait vu
— Je suis d’accord, c’est pour cette raison que… Ce n’est pas logique. Tant ce qui se passe en Égypte qu’ici. Le Cercle m’aurait ordonné d’enquêter ou du moins de leur apporter les informations que…
Marius eut un renâclement méprisant.
— Pourquoi penses-tu que je suis venu te voir directement pour te demander de l’aide ? Tu es la seule personne à qui je fais confiance.
Ariel analyse le profil de son ami.
— Qu’est-ce que tu sous-entends ?
— Que le Cercle trempe là-dedans. J’en mettrais ma main à couper.
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