L’esprit flottait au-dessus du corps momifié, le visage dissimulé par un voile. Ariel ne parvint pas à croiser son regard. Il reconnaissait une femme aux formes, aux habits, mais n’en savait pas plus. À première vue, trouver la faille pour communiquer avec elle serait compliqué. Ariel fit semblant d’ignorer le regard que Marius posait sur lui.
— Tu pourrais entrer en contact avec ce fantôme ? lui demanda-t-il avec une note d’espoir.
— Pas ici, pas comme ça.
Ariel coiffa de nouveau son homburg. Il s’apprêta à tracer les runes de déplacement et d’espace dans l’air, pour retourner à sa petite chambre et glaner quelques heures de sommeil avant de reprendre le travail, mais Marius se saisit de son poignet.
— J’ai besoin de toi, Ariel.
— J’ai fait ce que tu m’as demandé, je t’ai confirmé que ta momie est fausse. À toi de t’occuper de ceux qui t’ont arnaqué. J’espère pour toi que ça ne fera pas les gros titres.
— C’est plus que ça…
Ariel aurait voulu ignorer la curiosité que Marius allumait en lui. Il aurait voulu être indifférent à son ancien ami. S’il avait plus de volonté, il serait parti sans un regard en arrière. Au lieu de ça, il se tourna vers Beaumont et haussa un sourcil, pour l’inciter à continuer. Pour la première fois depuis ce soir, l'inquiétude habillait son visage, faisant froncer ses sourcils et faner son sourire si agaçant.
— Le Voile ne cesse de se rouvrir, j’ai à peine le temps de fermer une brèche qu’une autre se fait. J’ai l’impression que… cette mode de trouver des momies partout dans le désert… Sur chaque site de fouille, je trouve une brèche, Ari, ce n’est pas normal.
— Et toi, l’instinctif le plus demandé du monde sorcier, tu ne peux pas régler ça tout seul ? Allons donc. Tu n’as pas eu besoin de moi depuis quinze ans.
— Je ne parviens qu’à reboucher les trous, pas à en trouver l’origine. Tu veux ma théorie ? Quelqu’un s’amuse à sacrifier ces gens pour appeler un démon, mais il n’est pas assez puissant. Résultat, il ne parvient qu’à ouvrir le Voile sans parvenir à appeler le démon qu’il cherche. À ton avis, qu’est-ce qui se passera quand il aura assez de pouvoir ?
— Et en quoi je pourrais t’aider ?
— Entrer en contact avec les morts. Leur demander des informations que je ne parviens pas à avoir. J’ai tout tenté, Ari, vraiment…
Il ne fallait pas qu’il s’implique. La dernière fois qu’il avait… Ariel secoua la tête.
— Demande à un autre nécromancien.
— Tu es le meilleur.
— Je connais de très bons sorciers, je te donnerai leurs contacts.
— Ariel, c’est de toi dont j’ai besoin.
— Et moi je n’ai aucune envie de te fréquenter à nouveau ! rugit Ariel.
La digue avait cédé. L’indifférence qu’il voulait afficher venait de voler en éclats. Il se pinça l’arête du nez pour retrouver son calme.
— Tu as l’audace de… Écoute, j’ai du travail, même si j’avais envie de t’aider, j’ai des obligations…
— Des obligations ? ricana Marius. Auprès des Insensibles ? Qu’est-ce que tu vas faire, là, retourner dans ta petite chambre de bonne avant de repartir gaiement découper des cadavres pour ton cher commissaire Hauvert ? Ton talent n’est pas…
— Je ne te permets pas de juger ma vie, Beaumont ! hurla Ariel.
— Ton talent, reprit Marius en haussant la voix, est complètement gâché, tu le sais, ça !
— Tu n’as pas le droit de revenir ici des années après être parti à l’aventure sans daigner me prévenir et juger mes choix de vie ! Tu as choisi de disparaître. J’ai choisi de t’oublier. Je te souhaite bonne chance pour retrouver ton… invocateur. Mais moi, je ne veux pas en être.
Il traça rapidement les runes de déplacement et d’espace et disparut, fermant la barrière avant que Beaumont puisse le suivre.
Ariel resta immobile plusieurs secondes, à reprendre sa respiration au milieu de son petit appartement sous les combles. Encore en colère, il se déshabilla, posa ses habits sur son valet de chambre, et se glissa sous sa couette, l’estomac trop noué pour manger quelque chose.
— Dahlier ?
Ariel remonta ses lorgnons et esquissa un sourire.
— Commissaire, le salua-t-il.
Ils échangèrent une poignée de main. Le commissaire Hauvert, bien installé dans sa trentaine, était un homme toujours en mouvement. Le sommeil empêchait ses ambitions de se réaliser, raillaient ses collègues.
— Mauvaise nuit, à ce que je vois ?
Ariel soupira. Il avait maudit Marius Beaumont la moitié du temps, et s’était débattu avec ses cauchemars pendant l’autre. Il se leva de son tabouret et se dirigea vers la table d’autopsie au fond de sa salle. Il retira le drap qui masquait le cadavre.
— J’ai terminé l’autopsie hier soir de votre inconnue…
— Toujours aussi efficace ! Je vous écoute, dit Hauvert en sortant son fameux carnet.
Ariel lui expliqua ses conclusions, détaillant quand le policier le lui demanda en lui expliquant ses cheminements. Au dessus de la table, la silhouette blanchâtre d’une jeune adolescente les regardait.
— Donc c’est notre homme, d’après-vous ?
— Même façon de porter les coups, aux mêmes endroits, à la même force. Regardez…
Il pointa du doigt les trous dans le sein gauche. Le sang n’y coulait plus.
— Violée post-mortem, ajouta-t-il.
— Vierge, à votre avis ?
Ariel jeta un coup d’œil au fantôme, au-dessus d’eux, qui le lui confirma.
— Oui.
— Elle correspond au profil… Je dois m’interrompre quelques instants, mais vous connaissez ce monsieur ?
Ariel se retourna vers l’entrée de son labo : Marius Beaumont lui fit un petit signe. Ariel soupira.
— Une vieille connaissance.
— Oh, vous avez des connaissances en dehors de votre travail ?
— Intéressant que vous me disiez ça, ironisa Ariel.
— Au moins je suis fiancé !
Ariel ignora l’aiguille qui s’enfonça dans son cœur.
— Pauvre femme, elle ne sait pas que vous avez épousé votre métier avant elle.
Le commissaire rit. Il rangea son carnet dans la poche intérieure de sa veste et tapota amicalement l’épaule d’Ariel.
— Merci beaucoup, Dahlier, vous m’êtes d’une aide précieuse.
— Ravi de l’entendre. Bon courage, pour votre gars.
Hauvert salua Marius en passant, et Marius lui répondit poliment. Il le regarda partir, avant de s’adresser à Ariel, qui était revenu derrière son microscope.
— Alors, il va se marier, hein ? Pauvre de toi.
— J’ai donné les noms à Théophaste ce matin.
— Tu détestes à ce point mon contact ?
Ariel releva la tête dans un mouvement de colère.
— Peux-tu partir de mon lieu de travail, s’il te plaît ?
— Je suis venu m’excuser.
Le coup estomaqua Ariel. Profitant de son silence, Marius poursuivit.
— De ne pas t’avoir donné de nouvelles et d’être parti, comme ça, sans rien te dire. J’avais besoin… Si je restais ici, j’aurais étouffé. J’ai été égoïste.
— C’est bien que tu t’en sois rendu compte.
— Je… je ne t’obligerai jamais à me pardonner d’être parti alors que tu avais besoin de moi. Et si tu as trouvé ton équilibre dans cette vie à mille lieues de ce qu’on s’était imaginé, alors…
Ariel ferma les yeux.
— Nous n’étions que des enfants qui rêvions. Les rêves ne sont pas faits pour être réalisés.
— Je n’en suis pas aussi sûr que toi, lui répondit Marius avec douceur.
Il glissa un morceau de papier dans sa direction.
— Je réside dans une chambre là-bas, le temps que je règle mes affaires sur Paris. Si jamais ma présence t’insupporte moins…
Il quitta la pièce. Ariel attrapa l’adresse et, au lieu de la jeter dans sa corbeille, la glissa dans sa poche.
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