C’était une nuit calme, comblée de rêves heureux d’une petite fille sans malheur. Naïlynn dormait paisiblement sous ses draps blancs lorsqu’elle fut réveillée par un bruit inhabituel. Elle ouvrit ses grands yeux bruns pour vérifier le noir immaculé de sa chambre. Elle ignorait d’où provenait ce bruit. Peut-être était-ce l’orage qui grondait au loin ? Inquiète, elle tira la couverture par-dessus sa tête, comme si se dissimuler dessous suffisait à la protéger des plus grands dangers. Le cœur battant à toute allure, le souffle saccadé, elle appela son père d’une voix frêle, apeurée.
- Papa... Papa... !
Naïlynn attendit ce qui lui sembla être des heures, sans que son père ne vienne la rassurer. Ce n’était pas dans ses habitudes de ne pas répondre, aussi elle n’était plus apeurée, mais morte de trouille. Désormais incapable de rester seule, elle rassembla tout ce qui lui restait de courage pour sortir promptement de sous ses draps et parcourir sa chambre dans sa longue chemise de nuit blanche. Sa peluche en forme de lapin gris dans les bras, elle se dirigea vers la fenêtre, se glissa sous les rideaux pour regarder à l’extérieur. Ce sont les yeux écarquillés qu’elle découvrit l’horreur couleur carmin qui les entourait. Plusieurs demeures du village sombraient sous les flammes. La petite fille se recroquevilla, effarée, sous le rebord de la fenêtre. Elle tremblait, bien incapable de comprendre ce qu’elle venait de voir. Il lui fallut quelques secondes avant d’oser se relever, passer de l’autre côté des rideaux et courir jusqu’à la porte qu’elle ouvrit d’un geste brusque et désespéré. Elle allait à nouveau crier après son père, mais celui-ci était déjà là. Félix était planté devant elle, les yeux écarquillés, le front couvert de sueur. Naïlynn avait désormais la certitude que quelque chose n’allait pas. Elle se refugia contre les jambes tremblantes de sa figure d’attachement. Elle était peut-être jeune, mais elle avait bien compris que quelque chose de terrible était en train de se produire, car jamais encore elle n’avait vu son père aussi anxieux.
- Naïlynn ! Viens !
Sans attendre de réponse de son enfant, il prit la fillette par le poignet et l’emmena sans ménagement vers l’accès vers les sous-sols. Sans dire un mot, il ouvrit la trappe invisible à ceux qui n’en connaissaient pas l’existence et poussa sa fille dans les escaliers poussiéreux.
- Va te cacher en bas. Surtout, tu ne bouges pas tant que je ne viens pas te chercher moi-même !
- Papa...
- Je t’aime Naïlynn...
Le cœur brisé, il referma la trappe et laissa l’enfant seule avec sa peluche dans l’obscurité malsaine de cette pièce humide et sale. Elle pouvait entendre les vas et viens des pas sur le plancher au-dessus d’elle, mais elle ne pouvait voir son père tourner en rond. Soudain, un bruit fracassant stoppa les craquements du bois. Quelqu’un venait de tambouriner à la porte.
- Au nom du Roi, nous vous ordonnons d’ouvrir la porte !
Sans attendre plus longtemps, Felix exécuta les ordres. Naïlynn quant à elle, se réfugia derrière deux stères de bois et retint son souffle en entendant la chevillette céder.
- Bonsoir Messieurs. Que se passe-t-il ?
- Par ordre du Roi, moi, Horace, bras droit de notre souverain, ai pour devoir de mettre en arrêt chaque résident de Hasnel, Homme femme ou enfant. Je vous prierai de nous suivre sans faire d’esclandre.
- Si tel est le souhait de notre souverain, je vous suivrai. Sachez cependant que ma femme étant décédée il y a de cela six années, je vis désormais seul.
- Votre vie insipide m’importe peu. Eloignez-vous de là.
Le brave homme avait déjà entendu parler du soldat planté devant lui. Nommé Horace le coriace, il était un puissant commandant d’armée, ce lui-même qui avait mené le nouveau roi sur le trône. Il était réputé pour être cruel et sans pitié. Grand et massif, le bûcheron semblait bien frêle face à lui. L’homme de pouvoir tira le résidant hors de sa demeure et ordonna à ses hommes de fouiller les lieux d’un simple claquement de doigts. L’homme était confiant, il savait qu’ils ne retrouveraient pas Naïlynn. Cela ne les empêcha pas pourtant de revenir avec un visage victorieux quelques minutes plus tard.
- Commandant, il y a une chambre d’enfant et le lit y est défait.
Le coriace se tourna vers le père et dans son élan lui asséna un coup de poing dans la figure. Le brave homme s’écroula au sol sous l’intensité du coup. Il cracha au sol un morceau de dent mêlée au sang. Furieux, mais surtout inquiète, Felix fixa l’homme de loi, débout devant lui, froid et fier.
- Où avez-vous caché l’enfant ?
- Je mourrais plutôt que de vous la livrer !
Placide, Horace claqua à nouveau des doigts afin d’interpeler l’un de ses soldats.
- Mets-y le feu.
Le soldat aux cheveux d’argent sortit du fourgon une fiole d’essence de dragon. Felix ne s’en était jamais servi, mais il en avait déjà vu les effets... Il resta malgré tout stoïque, souhaitant ne pas trahir la présence de son enfant à l’intérieur de la maison. Comment allait-elle faire pour sortir de là ? Allaient-ils rester là à attendre que les lieux brûlent ? Auquel cas, parviendrait-il à garder son calme, impuissant face à la mort tragique de sa petite fille ?
La vie sur l’île était devenue incertaine depuis que le roi Tristan était monté sur le trône et cela faisant de longs mois maintenant qu’un esprit de méfiance s’était installé sur l’île tout entière. Les villageois restaient désormais tous dans leur coin et n’osaient plus parler à personne, de peur d’être trahis. Seule la famille était encore une valeur fiable dans le cœur des hommes. Pourtant, personne ne savait vraiment ce qui se préparait et ce même si un arrêt de toute la population était murmuré depuis des semaines. Tous en parlaient, personne n’osait pourtant y croire. Le roi Tristan semblait avoir de bien sombres choses à l’esprit et tous, sans exception, avaient redouté ce jour où le roi mettrait à exécution ses plans.
Pour la cinquième fois de la soirée, l’homme à la crinière lunaire s’approcha de la porte d’entrée et, avec un sourire sombre, lança la fiole au beau milieu de la pièce de vie et referma la porte avant même qu’elle n’atteigne le sol. L’éclat du verre retentit discrètement, suivi d’une explosion détonante. L’incendie prit rapidement de grandes proportions. Les flammes illuminaient les vitres jusqu’à ce qu’elles explosent à cause de la chaleur.
Felix ne peut retenir les larmes fuyant ses joues. Devant lui partaient en fumée des années de souvenirs aux côtés de sa défunte épouse et priait tous les esprits dans l’espoir que l’un d’eux puisse aider sa fille à ressortir des flammes, indemne. La peur grandissait rapidement en lui et le désespoir pouvait se lire sur le bord de ses lèvres tremblantes. Sans pitié, Horace attrapa le désespéré par la nuque et l’entraina sans ménagement jusqu’aux véhicules. Felix tentait tant bien que mal de garder son calme, cherchant même à se convaincre qu’il valait peut-être mieux que sa fille meurt plutôt que de se retrouver entre les mains de cet homme. Arrivé devant les fourgons ouverts, le père découvrit un nombre indéterminé de voisins, amis, connaissances et inconnus, assoupis, entassés les uns sur les autres, tels des corps sans vie.
- Ciel...
Une dame toute de gris vêtu vint à sa rencontre, un perfuseur à la main. Sans la moindre tendresse, elle tira sur les cheveux du père en deuil afin de s’offrir la meilleure vue possible sur sa nuque. Elle transperça la peau, injecta un produit blanc et luminescent. Une fois le perfuseur vidé, elle se retira, sans un mot.
- Cela devrait vous aider à vous détendre.
Horiace le coriace jeta l’homme parmi d’autres personnes dans le troisième fourgon métallique. Felix se laissa tomber, la face écrasée lourdement contre la paroi glacée du véhicule. Il avait beau essayer de se relever, il ne parvint pas à fournir le moindre mouvement. Son corps tout entier restait figé, paralysé. Seul son esprit restait vif, il hurlait même si aucun son n’émanait de lui. Il ne pouvait plus rien faire pour sa précieuse petite fille. Désormais, il ne savait plus à quoi s’attendre, mais ce roi vil et cruel ne lui inspirait rien qui vaille. Tant bien que mal, le bucheron tenta de se rassurer, en se disant que s’ils partaient maintenant, sa fille aurait peut-être une infime chance de se sortir des flammes, vivante.
Les fourgons démarrèrent en direction d’une autre demeure, pendant que la jeune Naïlynn restait dans les sous-sols, dans l’attente désespérée d’un signal de son père. La fumée, épaisse, passait à travers les lignes du plancher et l’absence de tout bruit d’origine humaine ne lui inspirait rien de bon. L’enfant commença bientôt à tousser et malgré ses efforts pour ne pas se faire entendre, elle finit par céder aux profondes quintes de toux. La fumée devenait trop dense et l’angoisse bien trop grande que pour rester là, seule et sans un bruit. Après cinq interminables minutes à se retenir de tousser, dans cette ambiance chaude et où crépitements et craquements venaient alourdir l’ambiance, l’enfant se décidé à crier après Felix. L’absence de réaction humaine la décida à agir et se diriger vers la trappe. L’instinct de survie la contraignant à désobéir aux ordres de son père. Naïlynn craignait ce qu’elle allait trouver de l’autre côté. Son père serait-il là pour la retrouver ? Après une nouvelle série de toux, elle se décida à pousser de ses mains tremblantes la porte secrète au sommet des quelques marches qu’elle venait de franchir.
Lorsque la trappe s’ouvrit, des flammes s’engouffrèrent dans le sous-sol, manquant de brûler la jeune enfant. Le spectacle qui s’offrit à elle était terrifiant. Désormais, elle n’avait plus d’autre choix que celui de se montrer courageuse. Il fallait absolument qu’elle sorte de là et qu’elle retrouve son père. Déterminée, Naïlynn ravala ses larmes et se persuada qu’il fallait qu’elle sorte de là à tout prix. L’incendie avait très rapidement pris dans l’ensemble de la petite chaumière et il était difficile pour elle de se frayer un chemin sans risquer de se bruler les pieds. Le plafond commençait à perdre de sa résistance et n’allait pas tarder à céder sous l’intensité des flammes. L’enfant n’avait plus une minute à perdre. Elle toussait, suffoquait même à présent, mais avançait malgré tout en direction de la sortie. Elle profita que deux meubles servent de bouclier contre les flammes pour contourner le brasier. Enfin, elle pouvait distinguer la porte de sortie malgré la fumée épaisse.
- J’arrive, papa !
Encouragée par cette vision, Naïlynn avança plus vite. Une première poutrelle s’écroula juste devant elle en lui laissant sur l’avant-bras une marque rouge et douloureuse. L’enfant toussa encore, d’une telle force cette fois qu’elle s’effondra sur les genoux. La toux l’empêchait de crier. Elle semblait désormais perdue, condamnée à périr parmi les flammes. Elle cherchait du regard une issue, quelqu’un pour venir la sauver.
Résignée, la fillette s’allongea, les genoux entre les bras, son lapin en peluche coincé tout contre son cœur. Elle pensait à son père, cet homme si brave, si courageux. Elle aurait aimé être comme lui, aller jusqu’au bout de ce chemin semé de flammes, sans crainte. Mais elle n’était pas comme lui, elle ne parvenait plus à résister à cette envie de dormir. Elle ne combattit plus. Elle s’endormit, de chaudes larmes coulant sur ses rouges roses.
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