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Cela faisait environ une heure qu’ils avaient quitté les Monts Delakar et le crépuscule commençait à tomber. Lewis étouffa un bâillement. Il avait conduit presque six heures non-stop dans la tempête de pollen et à présent, il était épuisé. Durant ce temps, l’inconnu sur le siège passager avait fermé les yeux et sans doute somnoler, Lewis était presque sûr qu’il n’avait pas réellement dormi. A présent, il avait rouvert les yeux et regardait droit devant lui.

- Sinon, demanda le conducteur, comment tu t’appelles ?

- Avant de demander mon nom, ce ne serait pas mieux de vous présenter ?

- C’est vrai, excuse-moi. Je m’appelle Lewis.

Le jeune homme resta silencieux un moment. Au point que Lewis se demanda sérieusement si il allait lui dire son nom. Finalement, après environ deux minutes de silence, il finit par parler.

- Silver.

Silver ? Cela ressemblait davantage à un nom fabriqué de toutes pièces que de son vrai patronyme. Néanmoins, Lewis ne fit aucune remarque. Il comprenait que le jeune soit sur la défensive et ne veuille pas dévoiler son identité. Il était prudent et c’était une bonne chose.

- D’accord, enchanté. Tu veux à boire ? Je crois qu’il reste une ou deux bouteilles derrière. D’eau bien sûr, dit-il en sentant le regard de Silver se poser sur lui.

Sans rien dire, son passager se contenta de tourner la tête vers la vitre.

- J’imagine que ça veut dire non, soupira le conducteur.

Et pas très bavard en plus d’être prudent. Décidément, son attitude ne ressemblait pas du tout à celle d’un jeune s’amusant à faire un road-trip. Même si Lewis s’en doutait un peu depuis leur rencontre. N’importe qui à Wylarni savait la dangerosité du pollen des Monts Delakar. Aussi le fait qu’il l’ait retrouvé en train de gravir la montagne lui faisait se poser beaucoup de questions.

- J’espère au moins qu’il n’est pas suicidaire, songea-t-il en baissant son pare-soleil.

Il avait déjà vu dans les médias des faits divers de personnes retrouvées décédées dans les Monts Delakar en cette saison. Des suicides par asphyxie. Une mort bien lente et atroce de son point de vue. Quelqu’un qui choisissait pareille manière de mettre fin à ses jours ne devait sans doute pas s’aimer ou estimer mériter cette fin horrible.

Lewis espérait fortement que Silver ne comptait pas allonger cette liste. Inérya avait beau être à une centaine de kilomètres, il pouvait très bien revenir plus tard. Néanmoins, le fait qu’il l’ait trouvé avec une écharpe pour protéger ses voies respiratoires le faisait douter. Quelqu’un voulant mourir n’aurait pas pris une telle précaution. Mais alors, que faisait-il là-haut ? Cherchait-il quelqu’un ? Non, il lui aurait certainement dit si c’était le cas. Peut-être quelque chose dans ce cas. Lewis avait beau se creuser la cervelle, il avait du mal à comprendre ce que ce gamin faisait au milieu d’une tempête de pollen.

- Je pourrais lui demander à Inérya. Mais je doute avoir des réponses vu son comportement.

Mettant ses questions de côté, Lewis continua de rouler droit devant lui. De toute façon, tôt ou tard, Silver allait finir par lui parler.

La nuit commençait à tomber quand Lewis remarqua une lueur sur sa gauche. Il ralentit pour prendre le temps de regarder et vit qu’il s’agissait, vraisemblablement, d’une sorte de restaurant. Une aubaine pour son ventre qui criait famine.

- Tu as faim ? demanda-t-il à son passager. Perso, moi oui !

La tentative d’amorcer une conversation fut un nouvel échec. Le jeune homme s’enfonça davantage dans son siège sans répondre. Lewis soupira.

- Ecoute, dit-il, je ne te connais pas et tu ne me connais pas. Mais je ne vais pas te faire de mal, tu sais.

Toujours aucune réponse. Lewis leva les yeux au ciel.

- Bon, d’accord, je te laisse tranquille.

Pire qu’une porte de prison, ce gamin ! Tout en se demandant ce qu’il allait bien pouvoir faire à son sujet, Lewis entra dans le restaurant.

Vu de l’intérieur, cela ressemblait davantage à un bar avec son long et large comptoir et ses multiples tabourets. Quelques tables et chaises se situaient un peu partout dans la pièce sans réelle organisation. Accoudée au comptoir, une femme aux cheveux rose flashy lisait un magasine sans lui prêter véritablement attention. Elle finit par lever les yeux de sa lecture en entendant Lewis s’avancer. Ses yeux bleus semblèrent le scanner longuement de la racine de ses cheveux au bout de ses chaussures.

- Eh bien, vous êtes sur la route depuis un moment, vous ! lança-t-elle.

Pas de formule de politesse. Mais Lewis ne s’en offusqua pas. Après tout, il était fatigué et trop affamé pour faire attention à ce genre de détails.

- Bonsoir, dit-il. Est-ce que vous préparez des plats à emporter ?

- Bien sûr, monsieur, répondit la tenancière. Nous faisons pas mal de choses. Mais si c’est à emporter, nous avons surtout des sandwichs à cette heure-ci. Classique, carnivore, végétarien ou végan ? Et pour les boissons, vous avez le choix ici, continua-t-elle en désignant une carte.

- Ce serait pour deux personnes. Donc je vais prendre un classique et… un végan s’il vous plait. Et pour les boissons, de l’eau sera très bien.

- D’accord, c’est noté. 10 écurons, s’il vous plait.

Lewis lui tendit un billet orange qu’elle prit. Ce n’était pas spécialement cher ce qui lui faisait plaisir. Surtout qu’il n’avait presque plus de monnaie.

Une fois la commande récupérée, Lewis sortit pour revenir à sa voiture. Mais il eut la désagréable surprise de ne plus voir Silver sur le siège passager. La portière était ouverte et le jeune homme avait disparu. Se maudissant de ne pas avoir verrouiller son véhicule, Lewis s’approcha et regarda dans les environs. Depuis combien de temps était-il parti ? Il n’avait passé qu’environ dix minutes dans ce bar, il n’avait pas pu aller bien loin en aussi peu de temps. Quoique, il lui paraissait sportif et bon marcheur.

- Merde, marmonna Lewis en posant son sac sur son siège. Ou est-ce qu'il est passé ?

Sans doute partir à sa recherche. Il ne connaissait pas les intentions de Silver et il ignorait surtout s’il n’avait pas l’intention de se mettre en danger volontairement ou involontairement. Près tout, peut-être qu’il s’était juste dit qu’escalader les Monts Delakar était une bonne idée sans penser un instant qu’il se mettait en danger. Pourtant, il paraissait prudent avec les gens qu’il ne connaissait pas. C’était un peu contradictoire.

- Attends, lui dit sa conscience, peut-être qu’il est juste parti aux toilettes ou se dégourdir les jambes.

Effectivement, cela faisait également parti des possibilités. Mais Lewis restait malgré tout inquiet. Après tout, quelque part, ce gamin était plus ou moins sous sa responsabilité maintenant qu’il était monté dans sa voiture. Et ne pas savoir où il était le stressait.

- J’ai refait la même erreur, songea-t-il en se rapprochant du bar.

Peut-être qu’il était passé par une autre entrée et était dedans. Jusqu’à entendre un bruit de branche cassée non loin de lui. En tournant la tête, il vit Silver en train de sortir d’un bosquet non loin de lui. Il rajustait son bandeau sans véritablement faire attention à lui.

- Tu vois, lui fit sa conscience, il n’était pas loin.

Lewis soupira de soulagement.

- Ah, tu es là ! s’exclama-t-il en allant vers lui. Je me demandais où tu étais passé !

D’un geste vif, Silver se tourna vers lui. Il l’avait entendu arriver mais ne s’attendait pas à un accueil pareil.

- Je me promenais, dit-il en s’installant sur le siège passager.

- Tu aurais pu me le dire ! Je m’inquiétais !

Le jeune homme fixa son interlocuteur un instant avec une certaine incompréhension.

- Vous vous inquiétez pour un inconnu ? Vous êtes bizarre.

De l’extérieur, sa réaction devait être étrange. Lewis se passa la main sur le visage. Dans le fond, Silver n’avait pas tort : ils ne se connaissaient pas et même si ils avaient fait plusieurs kilomètres ensemble, ça ne valait rien en soi. Donc si le jeune homme décidait de partir, Lewis pourrait s’en ficher royalement et reprendre sa route.

- Ecoute, finit-il par dire après quelques secondes de silence, tu ne me dois rien et tu peux partir si tu veux. Néanmoins, au vu du contexte de notre rencontre, je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter à ton sujet.

Il eut un silence avant que Lewis ne se remette à parler.

- Je ne sais pas quel âge tu as et je n’ai pas à le savoir mais je suis certain que tu es bien plus jeune que moi. Et ton comportement me fait croire que quelque chose ne va pas. Après, peu importe, tu as tes raisons et comme tu me l’as déjà dit, ça ne me regarde pas.

- Alors pourquoi vous vous inquiétez à mon sujet ? Je suis un inconnu pour vous. Je ne comprends même pas pourquoi vous m’avez pris avec vous.

Lewis haussa les épaules.

- Disons que j’ai un instinct protecteur très poussé. Et je voudrais juste m’assurer que ça va aller pour toi.

Il ne reçu qu’un regard empli d’incompréhension.

- Bon, fit Lewis, faisons un deal, jusqu’à Inérya, tu es sous ma responsabilité. Ensuite, tu pourras faire ce que tu veux.

Silver resta silencieux un moment avant de répondre.

- D’accord. En revanche, je reste malgré tout libre de mes mouvements. Je vous dirai juste où je vais.

- Marché conclu.

Au moins, le jeune homme voulait bien coopérer. Lewis était soulagé de le savoir.

- Merci. A Inérya tu pourras certainement rebondir.

- Je ne compte pas y rester.

- Tu comptes retourner aux Monts Delakar ?

L’idée qu’il soit un suicidaire restait gravée dans son esprit. Mais la réponse de Silver le soulagea.

- Non. Trop de pollen.

C’était rassurant. Lewis remercia le jeune homme intérieurement.

- Bon, je ne vais pas t’embêter plus. J’ai pris de quoi manger et boire. Comme je ne savais pas ce que tu manges, j’ai pris un sandwich végan et de l’eau. Et après, si ça te va, on va s’installer ici pour la nuit.

- Ça me va.

Après cette phrase, Silver se renferma à nouveau sur lui-même. Mais au moins, il avait rassuré Lewis et semblait accepter quelques conditions. Ce qui était déjà pas mal.

S’adossant dans son siège, Lewis se demandait une fois à Inérya quelle direction il allait prendre ensuite et si Silver allait rester avec lui ou prendre une autre route.