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Adossé à son siège, Lewis jeta un coup d'œil au cadran du tableau de bord. Il était midi pile. Dehors, quelques rayons de soleil perçaient à travers le ciel orangé des Monts Delakar. C'était la saison du pollen. Les sékoryns laissaient échapper leur pollen orange vif que le mistral s'empressait de disperser dans l'air. Cela donnait un air crépusculaire au paysage mais c'était surtout dangereux. Heureusement que la ventilation de sa voiture permettait d'offrir un air pur.

Alors qu'il observait le ciel, un grognement le ramena à la réalité.

- Désolé, mon ami, mais je n'ai rien pour toi, marmonna-t-il en frottant son estomac.

Cela faisait facilement trois jours qu'il n'avait rien avalé. Quatre en réfléchissant. Lewis soupira en s'enfonçant davantage sur son siège. Sa décision avait été aussi brutale qu'irréfléchie. Il avait laissé absolument toute sa vie et roulé droit devant lui durant des jours sans vraiment prendre le temps de s'arrêter. Rouler, avaler les kilomètres de route sans jamais regarder en arrière. Tout pour ne plus penser à ce qu'il avait perdu. Juste continuer droit devant et ce jusqu'à épuisement. Et reproduire le même schéma le jour d'après. Et ce durant plusieurs semaines.

Jusqu'à se retrouver au sommet des Monts Delakar. Et maintenant, quelle direction prendre ? Il était arrivé à l'extrême est de Wylarni. Après, s'étendait Tymalri, le continent dit de la Fantasy. Un énorme morceau de terres où, selon les mythes et légendes, vivraient des créatures fantastiques. Un lieu interdit d'accès sauf autorisation de l'Empereur et du Gouvernement.

Lewis attrapa une carte et la déplia sur ses genoux. Peut-être qu'il pourrait descendre vers le sud ? A moins de faire demi-tour et de traverser Wylarni d'est en ouest.

Mais pour l'heure, il avait surtout envie de se reposer. Après des semaines à dormir dans sa voiture, il rêvait d'un lit. Et d'une douche. Il ne s'était, pour ainsi dire, pas changé depuis longtemps. Et il devait certainement sentir un mélange peu ragoutant de transpiration, de tabac et de poussière.

Posant le doigt sur la chaine de montagne, il descendit jusqu'à poser le doigt sur la ville la plus proche. Inérya. Il ne connaissait pas cette ville mais ça lui convenait tant qu'il y avait une auberge ou un hôtel. Et puis, de toute façon, ce qui l'intéressait, c'était de conduire. Cela l'occupait et l'empêchait de penser à sa vie d'avant et à l'objet de sa douleur. Douleur toujours aussi vive malgré le temps qui avait passé depuis.

Secouant la tête pour chasser les pensées qui parasitaient son esprit, Lewis se concentra sur sa carte. Inérya se situait assez loin d'ici. Difficile de se faire une idée de la distance mais facilement à une centaine de kilomètres. Il n'y arriverait pas avant la nuit car les routes étaient escarpées nécessitant une conduite lente et minutieuse. Voir peut-être même que le lendemain matin. Mais ça ne le dérangeait pas particulièrement. Une nuit de plus ou de moins dans sa voiture ne changerait rien. Et puis, il avait tout son temps.

Sa prochaine destination en tête, Lewis rangea sa carte et démarra son véhicule avant de commencer à descendre doucement le pic. Bien qu'il dût rester concentré sur la conduite, Lewis ne pouvait s'empêcher de regarder le paysage. Les sékoryns formaient une vaste couverture bleu électrique sur la pierre brune et un dôme orange dans le ciel. Parfois, quelques tâches vertes et jaunes provenant de chênalys se détachaient parmi les feuilles bleues. Un peu de pollen vert flottait dans l'air également. Définitivement, au printemps, les Monts Delakar offrait un spectacle aussi saisissant que mortel. Ce qui faisait que personne ne vivait dans les environs.

Depuis quelques heures, le mistral s'intensifiait de plus en plus et au bout d'une heure de route, le vent était tellement violent qu'il en créa une tempête de pollen. Rapidement, son champ de vision diminua drastiquement le laissant dans un tourbillon de particules orange. Lewis activa les essuie-glaces pour nettoyer un minimum son pare-brise.

Continuant, prudemment, sa descente, son regard fut brusquement attiré par une tâche blanche qui apparu soudainement dans son champ de vision. Intrigué, Lewis freina pour retrouver cette tâche. Ses yeux fouillèrent la poussière orange jusqu'à retrouver la tâche. Qui se rapprochait de lui. Puis, il finit par découvrir l'origine de cette tâche.

Il s'agissait d'un jeune homme aux habits sales dont le visage était caché par une écharpe et des lunettes de soleil. Un bandeau vert cachait ses oreilles et son front tandis qu'il serrait contre lui une besace qui avait certainement vu des jours meilleurs. Mais son trait distinctif principal était son longue chevelure blanche tressée. Beaucoup de pollen s'était déposé sur lui mais ne cachait en rien la blancheur de ses cheveux.

L'apparition fut si soudaine que Lewis cligna des yeux. Jamais il n'aurait imaginé croiser quelqu'un dans pareille tempête. Surtout que ce jeune semblait faire l'ascension du pic. Et ce n'était certainement pas son écharpe qui allait le protéger de cette tempête. Utilisant son propre foulard et ses lunettes de soleil pour se protéger, il entrouvrit la vitre.

- Salut, cria-t-il pour se faire entendre, je te déconseille de monter. C'est dangereux en cette saison.

Les particules entraient dans l'habitacle et lui brûlait la gorge malgré le tissu sur ses voies respiratoires. Lewis se demanda sincèrement comment le jeune homme pouvait continuer à avancer car il devait sans doute souffrir du même problème.

L'inconnu haussa les épaules et rajusta son écharpe.

- Peu importe ce que je fais, ça ne vous concerne pas.

Visiblement, il n'avait pas envie de discuter mais Lewis ne pouvait pas laisser ce gamin courir vers la mort.

- C'est vrai. Mais c'est du suicide de trainer dans le coin avec cette tempête.

Il désigna le siège côté passager.

- Je ne te connais pas mais je n'ai pas envie de lire quelque part que on a trouvé ton cadavre en haut. Si tu veux aller dans un endroit désert, je peux te conduire dans un lieu où tu vivras en solitaire et sans danger.

Si un homme dans une piètre allure, dans une voiture sale et sans doute avec une odeur peu agréable lui aurait fait pareille proposition, Lewis s'en serait certainement abstenu et aurait continué son chemin. Mais au vu de la situation, il ne pouvait pas reprendre sa route en sachant ce gamin en danger. Et c'était la seule solution qu'il pouvait lui proposer.

Le jeune homme sembla hésiter un instant, pesant le pour et le contre. Puis, il se dirigea vers la portière et s'installa. Ecrasant une bouteille vide au passage avec sa botte.

- Désolé pour le bazar, s'excusa Lewis. Je n'avais pas l'intention de prendre un passager.

Le jeune homme soupira avant d'enlever ses lunettes et son écharpe. Lewis l'observa quelques secondes. Il était plus jeune que de prime abord. Bien qu'il fût malgré tout difficile de lui donner un âge à cause de la crasse qui maculait son visage. L'inconnu le regarda.

- Un problème ? demanda-t-il.

Son ton était brusque tandis que ses mains serraient sa besace comme pour la protéger. Son corps entier paraissait tendu signe que même si il avait eu assez confiance pour monter à bord, il restait sur le qui-vive. Ce que le conducteur pouvait aisément comprendre. Aussi, il se contenta d'attraper un paquet de lingette dans son sac et de lui tendre.

- Non, pas du tout. C'est juste que tu me parais bien jeune.

- Ne vous fiez pas à mon visage.

Ce disant, il attrapa une lingette et commença à se nettoyer. Il n'avait clairement aucune envie de discuter alors Lewis continua la descente.

- Je vais à Inérya. Ça te convient ?

- Je me fiche de l'endroit où je vais.

- Alors je considère que cette destination te va.

Bien qu'il ne dise rien d'autre, plusieurs questions se bousculaient dans sa tête. Qui était son passager ? D'où venait-il ? Que faisait-il sur cette montagne ? Et surtout, qu'est-ce qui l'avait conduit à se retrouver dans une situation pareille ? Cet inconnu lui paraissait bien jeune pour voyager seul. Surtout qu'il devait être sur les routes depuis un moment vu son état. Cependant malgré ses nombreux questionnements, il décida de ne rien lui demander. Pour l'instant, du moins. Il chercherait à avoir des explications à Inérya. Mais pour l'heure, une longue route les attendaient encore.