Aux premières lueurs du jour, les cinq compagnons gagnèrent le lieu de rendez-vous au bord d'un petit torrent. Ils rejoignirent une assemblée composée d'une dizaine de personnes. Il y avait un jeune couple, trois vieillards, un père et sa fille d'une quinzaine d'année, une femme au cheveux poivre et sel et deux vieilles toutes tremblantes.
Le guide, Tobias, qui préférait se faire appeler Tob, était un gaillard robuste au visage sympathique respirant la bienveillance. Il s'assura du bon équipement de chacun puis détailla les étapes du voyages :
- Nous serons en haut du Col Siffleur dans sept jours, il faudra marcher encore une demi-journée pour atteindre le lac. Je vais vous demander de respecter trois règles pour que le voyage se passe dans les meilleures conditions. La première est de rester grouper, il faut être à porté de voix. Je désignerai chaque jour une personne pour finir la marche et veiller à ce que personne ne soit derrière. Pour ma part je serai devant pour guider et donner le rythme. La deuxième règle, c'est que par solidarité nous attendons les plus lents, c'est grâce à l'entre-aide que nous arriverons tous en haut vous vous en apercevrez rapidement. Et dernièrement, on dit que chacun à son propre chemin pour atteindre le sommet et que ce chemin est balisé par des tas de pierre. Donc si vous vous perdez et que vous rencontrez des balises de pierre, suivez-les, elles vous guideront vers ce que vous êtes venus chercher. Gardez bien en tête que bien que magnifique, la montagne est sauvage et changeante. Elle vous testera, vous poussera dans vos retranchements, sondant vos motivations. Si vos intentions ne sont pas louables alors le Mont Araal vous mettra face à vos vérités. Maintenant que tout est dit nous allons partir !
La matinée passa rapidement, l'ascension n'avait pas réellement commencé car il fallait rejoindre le début du sentier. Le rythme de marche était agréable, un peu lent au goût de Benny et Sishu. Lorsqu'ils arrivèrent au pied du sentier une excitation palpable gagna le groupe tout entier.
Dès les premières enjambées le chemin se transforma en piste raide. Même le coeur des jeunes s'affola face à l'effort.
Ils atteignirent le premier campement dans le temps imparti par le guide. De la, ils surplombaient déjà la ville. La végétation encore dense leur fournit du combustible pour un petit feu, destiné à atténuer la fraîcheur tombée brutalement après que les derniers rayons du soleil se furent estompés.
Le groupe se disloqua. Bien que conviviale, cette première journée n'avait pas réussi à effacer la méfiance réciproque.
C'est finalement la femme au cheveux poivre et sel qui lança sur le ton de la conversation :
- Et donc Tobias combien de fois avez-vous réalisé cet extraordinaire ascension ?
Ce dernier haussa des épaules avant de répondre :
- Le nombre importe peu à vrai dire. C'est surtout le voyage qui compte, car il varie en fonction de chaque groupe, et c'est aussi ce qui fait que je ne me lasse pas…
- Juste pour avoir une idée Tobias… Pour ma part c'est la troisième fois que je monte. Elle avait prononcé cette dernière partie avec un air satisfait de celui qui sait plus qu'il ne veut bien en dire.
Tobias soupira. Il était certain qu'il répondait pour qu'elle le laisse tranquille plutôt que par envie :
- Puisque tu insistes… Je monte ici entre dix et douze fois pas ans depuis bientôt sept ans, et j'espère continuer encore longtemps. Mon dernier voyage je le ferai seul et je resterai la haut. Je me souviens de ta première ascension il y a quatre ans, c'était avec moi. A l'époque tu étais motivé pour des questions spirituelles, n'as-tu pas trouver les réponses que tu cherchais ?
Elle se composa un air important avant de répondre :
- Non, c'est pour cela que je recommence. Car ni la Hilda ni la montagne n'ont voulu me répondre au sujet de mon avenir. Je sais pourtant que j'ai de grandes capacités intuitives, et peut-être même de guérisseuses. Je suis persuadée que l'univers me réserve un rôle particulier dans son grand dessein. Il m'envoie des signes vous savez !
Tobias posa sur elle des yeux remplis de sagesse et commenta patiemment :
- Peut-être n'as-tu pas posé les bonnes questions dans ce cas, ou bien tu n'as peut-être pas su écouter…
Tobias se leva, salua ceux encore réveillé et gagna sa petite tente. La femme poivre et sel se tourna alors vers sa nouvelle victime, l'une des petites vielles, et l’assomma d'un long monologue sur ses facultés. Le reste de l'assemblée prit la fuite, chacun dans sa tente.
Le lendemain la météo fut de leur côté. L'ascension fut néanmoins nettement plus difficile psychologiquement, malgré les heures d'efforts ils n'avaient pas l'impression d'avancer. Azaelle semblait épargnée, parfaitement à l'aise au milieu des rochers, elle crapahutait loin devant eux une étincelle malicieuse dans les yeux. La seule différence avec la marche de la veille c'était la disparition des arbres. Il ne subsistait que de faibles arbustes touffus et tassés par les vents, s'accrochant de toute leur force aux rochers pour résister à la neige et aux éboulements. Le chemin s'étirait devant eux en épingles serrées. Tout le monde s'effondra de fatigue le soir venu, hormis Azaelle et Hué jouant dans les rochers autour du campement.
A l'aube du troisième jours Tobias sonna la clochette du réveil et tout le groupe s'activa. Installé devant le feu avec une tasse en fer fumante entre les mains Tobias annonça :
- Aujourd'hui on attaque la vraie montagne. Regardez bien ou vous mettez les pieds et surtout faites attention de ne pas faire rouler des pierres sur ceux qui vous suivent.
La femme au cheveux poivre et sel ne put s’empêcher de commenter aussitôt :
- C'est à partir d'ici que l'on sait qui terminera le voyage, il y a toujours des désistements à ce stade. Et elle enchaîna sur un autre monologue dont elle seule avait le secret. Personne ne l'écoutait, tous trop occupé à plier le campement et désireux de l'éviter.
Comme à son habitude la femme se plaçait derrière Tobias et l'assommait avec ses discours spirituels réchauffés. Elle répétait encore et encore, sans comprendre le sens de grands principes que d'autres avaient écrits. Les cinq compagnons prirent grand soin de se placer à l'arrière pour éviter en plus de ses discours, ses conseils sur sa grande expérience de tout.
Le sentier était plus technique car tracé à même la roche. Des générations de pèlerins avaient marqué la voie en polissant la roche par leur passage. Benny dut soulever Hué à de nombreuse reprise pour le faire franchir des endroits trop abruptes. Abiès et Sishu, eux soutenaient les vieillards. Étrangement les cinq personnes âgées étaient les plus silencieux du groupe, ne se plaignant jamais de leur articulations douloureuses. Le père et la fille faisaient bande à part depuis que Benny avait adressé la jeune-fille la veille au soir, le père avait aussitôt interdit à Benny de s'approcher d'elle. Benny n'avait pas insisté, il n'avait aucune envie de perdre de l'énergie à raisonner un homme possessif à l'extrême.
Le vent se leva d'un coup, transperçant les vêtements comme des doigts gelés cherchant à tâton des zones chaudes ou se réchauffer. Il s'intensifia à mesure qu'ils progressaient. Une bourrasque fut si violente qu'elle fit chavirer une des petites vieilles, Sishu la rattrapa de justesse par la manche. Ils observèrent les premières plaques de neige blottis à l'ombre de gros rochers.
Abiès le souffle court réussit à articuler :
- La pente va bien finir par se stabiliser ! Cela ne peut être plus raide pas vrai ?
Benny, Sishu et Hué répondirent à l'unisson :
- J'espère !
Ils rirent. Bien vite le froid les obligea à se re-concentrer sur leur mouvements. Les heures passèrent, le groupe grimpait lentement avec grande précaution. Alors qu'un léger aplanissement du terrain fit espérer Abiès qu'il pourrait soulager ces jambes quelques instants, il vit une énorme cassure se matérialiser devant lui. Un mur de roche de vingt mètre de haut se dressait devant eux.
- Cela ne s’arrêtera jamais, râla Sishu. Elle s'était emmitouflée sous une large capuche et protégeait son visage avec une écharpe épaisse. De son visage seuls ses yeux ambrés se voyaient. Abiès remarqua pour la première fois la couleur particulières de ces derniers, il y avait une ressemblance frappante avec les prunelles d'Azaelle. Il se rendit compte qu'il la fixait depuis un peu trop longtemps lorsqu'elle fronça les sourcils. Il détourna la tête. Il fut sauver par Benny qui venait de les rejoindre et qui s'inquiéta :
- Comment on peut passer ? On ne va pas l'escalader tout de même ?
- On dirait bien que si, soupira Abiès en désignant d'un signe de tête la direction de Tobias.
Ce dernier étalait devant lui du matériel d'escalade. Ils le rejoignirent et attendirent la femme poivre et sel s'étonner :
- Mais Tobias, on passe pas par ici d'habitude. C'est un raccourci ?
- Ce n'est pas un raccourci, il y a eu un éboulement qui a arraché une partie du chemin en début de printemps.
- On va pouvoir le contourner alors ?
Tobias secoua la tête négativement :
- Le seul passage est ici. J'ai creusé des encoches pour les mains et pour les pieds pour faciliter. Avec une corde on pourra hisser tous les sacs quand je serai en haut, ensuite ce serait au tour de chacun.
La femme s'indigna et bredouilla :
- Mais, mais, mais, on ne pas pouvoir tous escalader. Penses aux plus agés. Et moi ! J'ai le vertige ! Nous devons le contourner Tobias !
- Il n'y a pas d'autres chemins. Les pentes sont trop instables, crois moi Julia j'ai essayé, on ne peut passer que par ici.
Julia s'indigna la demi-heure qui suivit, elle essaya de convaincre les autres de changer d'itinéraires. Rien n'y fit. Ils avaient tous confiance dans le jugement de leur guide. Tobias grimpa en premier pour fixer une corde en haut de la falaise, il escalada avec agilité sur la roche glissante. Les sacs furent tractés. Puis à tour de rôle chacun se sécurisa avec la corde avant de l'élancer sur la roche. Les plus âgés furent aidés en les tractant sur la fin du trajet. Lorsque la renarde fut installé dans une toile et tractée par tous ceux déjà en haut, Julia fit une crise et exigea que l'on fasse la même chose pour elle.
S'en fut trop pour Sishu qui éclata de colère :
- Mais tu vas nous la grappe maintenant ! Tu n'as pas honte de demander cela, alors que tu as toutes tes capacité physique, même Joé qui a pourtant soixante-deux ans n'a rien demandé et a grimpé comme les autres.
Julia fut piqué au vif et rétorqua sa voix vribante d'indignation :
- De quel droit oses-tu d'adresser à moi de cette manière? Personne ne me parle de cette façon jeune-fille !
- Jeune-fille ? Répéta Sishu dont la voix était devenue glaciale. Elle se rapprocha de Julia dans une attitude menacante, sa démarche agressive avait quelque chose de primitif qui donnait froid dans le dos : on aurait dit un prédateur qui accule sa proie. Elle reprit :
- Et bien il était grand temps que quelqu'un te remette à ta juste place vieille peau prétentieuse. Soit tu montes comme tous les autres soit tu restes ici, c'est ton choix. Comme tu l'as si bien fait remarquer tout à l'heure, c'est aujourd'hui que l'on sait qui arrivera jusqu'en haut.
Julia rouge de colère, lui hurla au visage :
- Je n'ai aucune leçon à recevoir de ta part, espèce de demi-bête dégénérée !
Une décharge de pur haine incendièrent les veines de Sishu, qui lui assena une gifle avec toute la puissance de son bras sur la tempe. Julia vascilla sous le choc puis s'effondra, se recroquevillant sur elle-même pour protéger son visage. Sishu tourna les talons et pour se décharger de sa colère attaqua l'ascension de la falaise sans protection qu'elle gravit avec agilité.
Tobias l’accueillit en haut par un haussement de sourcil ironique :
- J'imagine que notre chère Julia s'arrête ici ?
- On dirait bien, répondit Sishu essoufflée par la montée.
Il hocha la tête d'un air entendu puis ses lèvres s'étirèrent en un sourire complice quand il ajouta :
- Ah et aufait, belle performance !
- Laquelle ? L'ascension ou la gifle ? Le taquina Sishu tout en reprenant son souffle.
Tobias se contenta de s'esclaffer et de lui adresser un clin d’œil avant de s'éloigner.
Ils poursuivirent la grimpée jusqu'à la tombée du jour. Le vent était si violent qu'ils leur fallut plus de temps que prévu pour installer le campement. Certains trop épuisés, renoncèrent à monter leur tente et s'abritèrent derrière des rochers ou entre deux tentes. Chacun dû manger sa tente, il était impossible d'allumer un feu et bien trop froid pour manger dehors, exposés aux bourrasques impitoyables.
Les cinq compagnons s'entassèrent dans l'une de leur tentes pour décortiquer en détail la scène de la gifle. Tout le monde commenta jusqu’à ce qu'il n'y est plus rien à en dire. Benny fit par de ses reflexions à Abiès :
- J'ai une question qui me taraude depuis que l'on a commencé à gravir cette montagne, mais je n'ai pas osé t'en parler jusqu'à présent.
Abiès ne put s'empêcher de commenté, légérement amusé par son ami :
- C'est toujours inquiétant Benny lorsque tu commences tes phrases de cette façon. Mais vas-y dis moi.
Benny ignora sa remarque et continua comme si de rien n'était :
- Est-ce-que tu crois que depuis que ta mère a envoyé ce livre elle est restée la haut ?
Toute trace d'amusement l'avait quitté lorsqu'Abiès répondit :
- Je ne sais pas. J'y pense depuis que nous sommes partis d'Andolie. J'espère que oui, j'ai tellement de choses à lui dire et de questions à lui poser. Et pourtant je redoute aussi de la voir, que la discussion tourne mal. J'ai tellement souffert de son départ… J'ai peur d'être déçu si elle n'est pas là, mais une part de moi sera secrètement soulagé de ne pas avoir à discuter avec elle. Très contradictoire tout cela.
- Ce n'est pas une situation facile. J'espère vraiment qu'elle sera là, pour que vous puissiez vous retrouver.
Abiès haussa les épaules dans une attitude de détachement :
- On verra bien. Faut-il déjà que l'on arrive en haut !
- Demain nous serons à la moitié du voyage, on va y arriver ! L'encouragement de Benny était sincère, il ne concevait aucune autre possibilité que la réussite de l'ascension.Après un long moment plongé dans ses pensée, Abiès murmura d'une voix tendue :
- Je n'arrête pas de penser à ce que nous a rapporté Sishu sur notre clan. Ma sœur est cheffe et le conseil composé de deux hommes, étranger de surcroît. Comment est-ce possible ?
- Je ne comprends pas son attitude. Tout son avenir était déjà écrit : une place de choix dans la communauté au côté de Mûrine, elle serait certainement devenue cheffe de clan à un moment ou un autre. Pourquoi tout précipiter? Il y a quelque chose qui m'échappe. Qu'est-ce-que ta grand-mère lui a mit dans la tête ?
- Rien de bon j'en ai peur. Sauline est pourtant obstinée, c'est très difficile de l'influencer, surtout sur ses valeurs, répondit Abiès en fronçant les sourcils d'incompréhension.
- Les dérèglements climatiques que Sishu a constaté vont lui être reproché car elle aura laissé des hommes intégrer le conseil. Tous les communis vont rejeter son autorité et l'accuser d'être responsable de tous les problèmes qui vont survenir.
Benny crispa ses lèvres en une moue inquiète :
- Cela va être très difficile pour elle à gérer surtout si Mûrine n'est plus la pour l'épauler. Tous ces événements en si peu de temps, dont on ne savait rien tellement nous étions focalisé sur notre mission. Au moins la bonne nouvelle, c'est qu'il y a une telle quantité de choses à gérer la bas, que nous ne sommes plus prioritaires. On ne nous poursuivra plus !
Ils bavardèrent encore un moment de sujets plus léger avant de tous aller se coucher.
Au matin un épais brouillard s'était installé. Ils n'y voyaient pas à un plus d'un mètre. Abiès avait les jambes courbaturées et le dos en compote à cause d'un cailloux mal placé. Il lui fallut plusieurs heures d'effort pour que ces muscles se décrispent. Benny et Hué avaient du mal à marcher et de nombreuses ampoules au pied. Personne ne se plaignit cependant, c'était inutile car tout le monde portait sa propre peine.Un silence aussi dense que le brouillard enveloppait le groupe de marcheur. L'ambiance était lugubre.
Tobias désigna Abiès pour fermer la marche. Ce dernier en était presque soulagé, il pourrait ainsi laisser vagabonder son esprit sans interruption.
La lumière uniformément grise, ne permettait pas d'apprécier le temps écoulé depuis le départ du camps. Abiès jugeait que midi approchait aux sons que produisaient son ventre. Il s'arrêta pour observer en détail une plante qui lui était inconnue : un petit arbuste aux feuilles violettes et qui portait à l'extrémité de ces rameaux de délicates fleurs blanches en forme d'étoile. Il aurait aimé avoir plus de temps pour la dessiner ou prendre des notes. A regret il se remit en marche.
Il remarqua alors un empilement de pierre. Une décharge lui parcouru l'échine et fit battre son coeur plus vite. Il tourna la tête de tout côté pour chercher pépé Joé qui le précédait. Personne. Il ne voyait rien, ne percevait aucun mouvement. Il appela à plein poumon ses compagnons mais seul le sifflement du vent lui répondit. Son angoisse augmentait à chaque tentative infructueuse pour appeler ses compagnons. Il observa alors le sol en quête du sentier, il n'y avait que celui qui menait à l'empilement de pierre. Il décida de faire demi-tour en quête du sentier principale qu'il avait dû perdre par mégarde.
Abiès marcha un long moment. Soudain une silouhette se dessina dans la brume à quelques pas de lui. Soulagé il se rapprocha, mais au moment ou il la tendit la main pour toucher la silhouette, il vit alors nettement des pierres et non un humain. La peur, froide et sourde engourdit son corps. Il s'était perdu. Il s'obligeat à s'asseoir au pied du tas de pierre pour réfléchir. Des pensées lugubres fusaient dans son esprit. Il essayait désespérément de les chasser mais sans résultats, elles revenaient à la charge avec la même conviction que des vagues sur un rivage. Encore et encore dans un acharnement perpétuel. Il controla sa respiration jusqu'à ce qu'elle soit fluide. Son esprit s'appaisa et retrouva sa clarté. Alors les paroles de Tobias lui revinrent en mémoire : « si vous trouvez un tas de pierre suivez-les, ils vous mèneront vers ce que vous êtes venus chercher ».
Il hésita un moment, son coeur lui intimant de suivre le conseil du guide et son esprit le refrénant. Finalement il écouta la recommandation de Tobias, et s'engagea sur le sentier des pierres.
Après la onzième balises son excitation retomba. A chaque empilement il faisait une fouille minutieuse dans l'espoir de trouver un quelconque indice, puis traçait grossièrement la lettre A sur l'une des pierres afin de s'assurer qu'il ne tournait pas en rond.
Enfin à la vingtième balise il trouva quelque chose qui réveilla sa curiosité. Sur la plus grosse des pierres, une lettre A était gravée avec élégance. Cette dernière était ancienne à en juger par la présence de lichen. Un autre que lui y avait inscrit cette rune. Impatient, il retourna la pierre, le cœur battant à tout rompre. Il découvrit alors un petit paquet entouré d'un linge bleu délavé.
Les mains tremblantes il s'en saisit, puis s'installa avant de dénouer le cordon avec une précaution infinie. Avec délicatesse il déroula le tissu bleu, un carnet en cuir tordu et tout gonflé d'humidité s'y trouvait. Ce carnet lui était étrangement familier chatouillant sa mémoire. Il l'ouvrit, et y découvrit sur la première page un croquis de fleur, pas n'importe quelle fleur, celles d'Aubépine. Il en était sur à présent c'était sa mère qui lui avait légué ce carnet dans le but qu'il le trouve. Il parcourut avec impatience le carnet, la plupart des pages n'était pas intéressante, des notes et des croquis techniques. Pourtant vers la fin du carnet une série de pages étaient noircies par l'écriture inclinée de sa mère. Le coeur d'Abiès se explosa de joie lorsqu'il put lire dans la première ligne son prénom.
A Abiès, mon très cher fils,
Je t'écris dans des conditions assez particulières. Cela fait plus de trois mois que je suis partie d'Andolie et je me retrouve au dixième jours d'escalade. Seule, perdue, réfugiée sur ce tas de pierre dans l'attente que le temps s'améliore. J'en viens à penser que je n'arriverai peut-être pas jusqu'en haut et qu'il me faut te laisser quelque chose pour t'aider à comprendre, car j'espère de tout mon cœur que tout ce que l'on raconte sur cet endroit est vrai, et que tu trouveras un jour ce carnet.
Tu dois te demander pourquoi je suis seule, et bien pour la simple et bonne raison que personne n'a voulu me guider vers la Hilda. Après trois semaines à tourner en rond dans la ville j'ai décidé d'y monter seule. Je devrais déjà être arrivée, et pour autant je ne sais pas si je suis m'approche du but ou si je suis vouée à disparaître ici. Si c'est le cas, cette épreuve m'aura au moins permis de voir clair en moi, sur mes véritables raisons qui m'ont poussé à fuir la maison. C'est très dur de voir la vérité en face et plus encore de l'écrire.
Lorsque j'ai découvert tes aptitudes de guérisseur, j'ai eu très peur pour toi, mais aussi très égoïstement pour moi. En tant que fille de Mûrine, j'ai toujours vécu avec le poids du regard de la communauté, les gens avaient des attentes envers moi. Plus tard ce fût parce que j'avais choisie de vivre avec ton père, un étranger du clan, puis parce que j'étais la seule mère de deux enfants dans la communauté depuis plus de vingt ans. Je ne me suis jamais sentie à ma place, je rêvais d'autres choses, de plus de liberté. Quand j'ai compris que tu étais un guérisseur, tu avais alors quatre ans, j'ai d'abord pensé qu'en renonçant à mon siège au conseil nous serions moins exposés. Mais ce fut pire encore, car personne ne comprenait ma décision et me harcelait pour avoir des explications. Personne n'était au courant pour tes capacités, mais je savais que le jour ou cela arriverait ce serait un véritable calvaire. J'ai paniqué, je ne pouvais pas vivre avec un poids supplémentaire. La seule solution qui m'est apparut était la fuite.
Je savais que ton père n'aurait pas voulu partir, sa vie était ici. Alors je me suis convaincu que je ne partais pas pour moi, mais pour te construire un avenir ailleurs, pour que tu ne vives pas la même chose que moi. Alors je suis partie en direction des montagnes à la recherche de celle que l'on appelle la Hilda. Car d'après mes recherches à la Tour, tout porte à croire qu'elle est une ancienne guérisseuse d'Andolie. Je n'en n'ai pas apprit d'avantage, les archives ne parlant que très peu d'elle.
Mais aujourd'hui je me rends compte que je me suis menti à moi même, la montagne m'a ouvert les yeux sur mes véritables intentions lorsque je suis partie. J'ai suivie la peur, la peur d'être rejetée, la peur de rester enfermer dans un clan aux mœurs archaïques. Pour la première fois de ma vie je me suis choisie, moi, au détriment de la famille que je m'étais construite. Je rêve d'être libre de mes choix, de reconstruire une vie qui me ressemble.
Dioran, ta sœur et toi, auraient toujours une place dans mon cœur. Je vous aime, mais ce n'est pas suffisant.
Je ferai ce pourquoi je suis partie, te trouver une mentor, je convaincrai la Hilda de te prendre comme apprenti, puis je partirai. Je t'offre une chance de devenir ce que tu veux être, et non pas ce que d'autres décideront pour toi.
Avec tout mon amour,
Aubépine.
Abiès laissa glisser le carnet de ses mains avant de s'effondrer de douleur. La vérité était plus cruelle qu'il ne se l'était imaginé. La rage enflamma ses veines, le faisant trembler de haine. Les mots de sa mère dansaient devant ses yeux. Un poids supplémentaire, c'était donc ainsi qu'elle le considérait. Pour la première fois de sa vie il mourrait d'envie de frapper quelque chose ou quelqu'un. Il s'avisa qu'il était peut-être mieux finalement qu'il ne la revoit jamais, tout son amour qui lui portait jusqu'à présent venait de se transformer en une haine viscérale. Il ne lui pardonnerait jamais son départ, malgré ses explications qui, même s'il ne pouvait pas l'admettre pour le moment, ressemblaient à ses propres motivations lorsqu'il avait quitté Andolie. Cette lettre était pire que du venin, se diffusant lentement dans tout son corps, brulant tout sur son passage. Rendu fiévreux, il hurla son désespoir :
- Puisque j'étais un poids, pourquoi m'avoir mit au monde ? Pourquoi ne pas avoir fuit avec moi ? Avec nous tous ! Tu mens ! Dioran t'aurais suivi n'importe ou ! Mais son amour ne devait pas suffire n'est ce pas ? Puisque nous ne suffisions pas ! Je te déteste ! De toute mon âme je te déteste !
Il hurla, encore et encore déversant toute sa rage dans la montagne. Il était blessé. Se sentait trahie encore une fois par celle qu'il avait le plus aimé. Les yeux brouillés de larmes, il éclata en sanglots déchirants.
Bien plus tard, lorsqu'il sentit ses larmes tarrir, il emballa le journal dans le morceau de tissu et le fourra finalement dans son sac, tenté au premier abord de le jeter dans la pente.
Il remarqua alors qu'un cercle de végétation calcinée l'entourait. Le choc le fit sortir de sa torpeur. On aurait dit que la foudre avait frappé le sol, brûlant tout autour de l'impact dans un rayon de deux mètres autour de lui. Ses émotions l'avaient une nouvelle fois submergée, le dévastant. Il n'avait pas voulu détruire ces plantes. Encore que, il prit conscience qu'il avait eut envie de frapper, d'évacuer ce trop plein d'émotion par la violence. Il ne put s'empêcher de se demander ce qu'il se passerait s'il ciblait délibérément son envie de destruction sur quelque chose ou quelqu'un. Cet idée le dégoûta. Il la chassa de son esprit.
Laisser cet endroit dans cet état de désolation lui était insupportable. Des cendres naissent la vie, pensa-t-il. Et il chanta. Il s'excusa auprès des plantes et des animaux du sol pour ce qu'il avait commit. Puis entonna des notes de réparation et de germination. Lorsqu'il s'arrêta des buissons violets au fleurs étoilées avaient envahis l'espace, créant un magnifique bosquet foisonnant. Il constata que les fleurs n'étaient pas blanches, mais d'un bleu profond envoûtant piqueté de tâche dorées. Il sourit apaisé.
Lorsqu'il détacha le regard de cet étrange phénomène, il observa avec soulagement que le brouillard s'était enfin dissipé, laisser la place à un ciel grisonnant. Il décida de s'arrêter se reposer un peu plus loin sous le couvert d'un bloc de roche, car la crise qu'il venait de vivre l'avait épuisé.
******
Une cabane ronde en pierre sèche percée d'une simple porte en bois ornée de clous martelés. La porte s'ouvre sur la jeune-femme rousse. Elle scrute de son regard pâle, autour d'elle, puis d'un pas hésitant sort de la maison. Elle se dirige droit sur Abiès. Elle n'est plus qu'à quelques centimètre lorsqu'elle s'adresse à lui avec un sourire bienveillant :
- Tiens te revoilà. Alors qui es-tu ? Un esprit ? Je ne peux te voir et pourtant je te sens plus proche que jamais. Si tu ne peux pas me répondre, montres moi au moins un signe.
Alors prudemment Abiès tendit la main pour toucher du bout des doigts l'une de ses longues tresses flamboyantes. La jeune-femme frissonna à son contact, puis se recula le regard soudain méfiant. Abiès ouvrit la bouche pour la rassurer mais le rêve s'estompa dans une volute de brouillard.
******
Abiès se réveilla brutalement avec un mal de nuque terrible. Il s'était endormi la tête appuyée contre le rocher dans une inclinaison inconfortable. Il grelotta, il était transi de froid. Il se rendit compte que le brouillard lui avait imbibé les vêtements d'eau et qu'il n'y avait rien pour allumer un feu pour se réchauffer quelques instants. Il grelotta de plus bel. Après avoir grignoté quelques fruits séchés pour se donner du courage il repartit.
Il repensa à son dernier rêve. Elle avait sentit son contact. Ce n'étaient pas des rêves communs. Il n'avait aucune explication mais il était désormais certain qu'elle existait bel et bien quelque part, et qu'une connexion s'était établie entre eux. Il retournait cette énigme dans tous les sens lorsque le terrain s’aplanit brusquement, soulagement ses muscles. Sans aucune transition, la végétation se densifia et le vert domina le paysage. Le terrain était plus facile. Suivant toujours les balises il grimpa un léger renflement qui lui ouvrit alors un paysage éblouissant.
Un lac. Tout en longueur, il était nourrit par une rivière jaillissante des falaises surplombants l'étendu d'eau. Un autre torrent alimentait une succession de bassines naturelles. L'eau était limpide. Le reflet des montagnes sur l'eau, offrait un spectacle saisissant. A distance du torrent étaient niché une poignée de cabanes en pierre au toit de lauze.
Le cœur d'Abiès s'emballa lorsqu'il fit le lien avec ses rêves. Il avait visité cet endroit des dizaines de fois pendant son sommeil. Son intuition était bonne, il avait bien rêvé du lac d'Araal. Il ne put réprimer un rire narquois, car il devrait rappeler à Benny leur paris. Le visage de la jeune-femme rousse traversa son esprit et son cœur s'emballa de nouveau mais pour une autre raison. Il était impatient de la rencontrer.
Il s'obligea à descendre prudemment parmi les pierres, malgré une envie impérieuse de dévaler la pente pour aller à sa rencontre.
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