Ils s'éveillèrent le lendemain sous une pinède aux reflets bleutés. Une racine noueuse s'était donné un malin plaisir à torturer la hanche de Benny toute la nuit, si bien qu'au matin il était épuisé, courbaturé, sa cheville le brûlait, le parfait cocktail pour une humeur massacrante. Au maux physique s'ajoutait la colère contre son ami ; il les avaient mis en danger pour sauver une renarde ! Sauver un animal blessé bien sur, mais une renarde liée à une chasseuse de prime, c'était se tirer une balle dans le pied. La confrontation n'avait servi à rien. Tout son plan pour se libérer de cette menace s'était effondré avec ce geste : il n'avait fait que retarder l'inévitable, Sishu les retrouverait mais cette fois cela se terminerait mal pour eux. Et le plus difficile à admettre, c'était qu'il lui en voulait de l'avoir soigné, elle, au porte de la mort, alors qu'il n'avait pas réussi à le soigner, lui, qui souffrait depuis deux jours à cause d'une simple fracture. Comment pouvait-il ne pas réussir à soigner une fracture ? Tout cela était incompréhensible. Il lui en voulait tellement qu'il ne voulait pas lui adresser la parole.
Abiès sentait bien que son ami était contrarié, mais il savait aussi qu'il ne servait à rien d'insister pour savoir ce qu'il le taraudait, il le saurait quand son ami serait décidé à lui parler. Il décida de ré essayer de soigner la cheville de Benny, s'il avait réussi à soigner une renarde mourrante il devrait être capable de soigner une fracture.
- Je voudrai ré essayer de soigner ta cheville, proposa-t-il.
Enfin, pensa Benny. Il pensa tout d'abord à refuser poussée par la fierté ne plus lui demander son aide, mais une brusque décharge de douleur lui coupa le souffle, ainsi que ses pensées. Il hocha la tête.
Après un long moment de concentration, Abiès réussi à se connecter aux mêmes sensations que lors du soin à la renarde ; l'air s'épaississait le connectant à tout ce qui l'entourait. Il perçut alors les palpitations brûlantes de douleur de son ami, il se focalisa dessus pour en évaluer les contours. Il sentait la chaleur diffuse du feu et cherchait à localiser son épicentre. Derrière ses paupières closes, des flammes écarlates dansaient, il s'accrocha à cette image pour rester concentré, alors il le vit : un centre rougeoyant comme une braise. Sa chaleur se répandait en lui, incendiant ses veines, il était en sueur, son souffle s'accélera pour refroidir son corps. Tout à coup, l'image d'un verre d'eau fraiche perlant de condensation s'insinua dans son esprit, calmant sa soif. Il déglutit et projeta son esprit au bord de la Summena, les pieds dans l'eau vive de la rivière, l'effet fut immédiat et des notes rafraîchissantes franchirent ses lèvres : la violence des palpitations faiblit, jusqu'à retrouver une température confortable. Une note discordante résonnait encore, comme un bruit de fond diffus dont il est impossible d'identifié la source et pourtant agaçant. Mais déjà l'esprit d'Abiès s'éparpillait et son chant cessa sur une note fêlée.
Benny poussa un long soupir de soulagement, le processus n'avait pas était de tout repos, car la douleur s'était d'abord accentuée au point de pleurer avant de s’atténuer progressivement. Avec appréhension il tourna légerement sa cheville pour en tester la solidité. Il l-iaissa échapper un nouveau soupir.
- Merci, souffla-t-il.
Abiès lui répondit, un petit sourir au coin des lèvres :
- C'est normal, désolé de ne pas avoir pu le faire plus tôt.
Benny hocha la tête acceptant ses excuses, la colère envers lui était retombée en même que la douleur, mais il ne lui pardonnerait pas si facilement.
- Comment-tu te sens ? L'interrogea Abiès, soucieux.
- Je me sens mieux. Je n'ai plus mal, mais j'ai encore une gène… Comment l'expliquer… je sens qu'elle est fragile.
- C'est exactement ce que j'ai ressenti, c'est comme si je n'avais pas réussi à réparer en profondeur la fracture.
- Comment tu peux sentir cela ? L'interrogea Benny.
- C'est difficile à raconter, il y a une sorte de note qui persiste qui n'est pas accordé avec le reste.
- Comme un instrument mal accordé, tu veux dire ?
- Dans cette idée, toi tu aurais ta propre partition, avec une harmonie spécifique, et il y a cette fausse note en arrière plan qui brouille l'ensemble. C'est très léger, comme un bruit de fond.
- Hmm… marmonna Benny. Et tu n'as rien pu faire ?
- Non… J'ai eu l'impression de brûler, c'était très intense, très désagréable aussi. Rajouta-il avec une expression douloureuse. Quand ça s'est enfin calmé, j'étais tellement soulagé que j'ai perdu le fil et je n'ai pas pu aller cherchait l'origine de cette note.
- Ta voix s'est cassée sur la dernière note que tu chantais.
- C'est vrai ? Je n'ai pas fais attention. Cette dernière remarque les plongea tous les deux dans une réflexion intense pendant un long moment.
Benny sortit le premier de ses pensées et lanca d'un ton blageur :
- On continue la promenade mon ptit Abi ?
Abiès leva les yeux aux ciels en souriant, il trouvait ce surnom vraiment ridicule. Il aida son ami à se lever et l'observa tester la fermeté de sa cheville. En le voyant de nouveau marché sans hurlé de douleur, Abiès ressentit une vague de soulagement l'envahir, il avait vraiment réussi à le soigner, peut-être pas totalement, mais suffisamment pour qu'il se sente mieux. Cette idée le réjouissait au plus haut point, éclairant son regard d'une joie profonde.
Ils marchèrent la fin de matinée jusqu'à rejoindre un petit étang entouré d'arbres fruitiers, des Priirs immenses recouvraient presque entièrement les arbres, ressemblant à s'y tromper au Bois-Lucide d'Andolie. L'abandon de la parcelle était flagrante, aussi n'eurent-ils aucun scrupule à se gaver de fruits. La sensation de pouvoir se goinfrer sans limite était merveilleuse après ses derniers jours périlleux, un sentiment d'euphorie s'empara des deux jeunes gens leur faisant oublier pour quelques heures leur problèmes.
Après ce festin ils se baignèrent dans l'eau sombre de l'étang. Ils y restèrent un long moment, ils durent utiliser le sable sous leur pied pour se gratter la peau : ils étaient incrustés de poussières. Abiès grimaça lorsqu'il nettoya les griffures de Priirs, elles étaient plus profondes qu'il ne le pensait. Ils en profitèrent pour laver leurs vêtements, et c'est en vidant ces poches qu'Abiès retrouva la Géotab, il revint au près de Benny un sourire triomphant jusqu'aux oreilles. Il confia l'objet à Benny, qui était bien plus patient et compétent que lui pour ce genre de tâche, aussitôt entre ses mains, Benny l'analysa sous tous les angles avant de la démonter et de la remonter. Un rire victorieux lui échappa lorsque la relique s'alluma.
- Olala, la dernière mise à jour date d'il y a des lustres ! S'exclama Benny. Regarde, aucune ville ne correspond...
Abiès se pencha sur la Géotab, les traits plissés par la concentration, il désigna du doigt :
- Cette rivière la, est ce que ce ne sera pas…
- La Summena ! S'exclamèrent-ils en coeur.
Excité Benny reprit son étude de la carte.
- Donc si celle-ci est la Summena, ici ce devrait être le Massif de Draavil. Et donc nous serions… ici… il termina sa phrase en grimaçant.
- Pourquoi tu fais cette tête ? S'étonna Abiès.
- Parce que je sais ou nous sommes.
- C'est une bonne nouvelle ! S'écria Abiès, son visage éclairé par le soulagement.
- Pas vraiment, grogna Benny, toujours en fixant la Géotab.
Abiès fronça les sourcils d'un air septique :
- Pourquoi ?
Benny lui répondit tout en soufflant :
- Parce que nous ne sommes nulle part. Il n'y a rien hormis la route qui longe le massif de Draavil sur des centaines de kilomètres.
- Il y aura bien un village, ou un hameau, rectifia Abiès sous le regard septique de son ami.
- Peut-être. Benny se frotter le front, comme à chaque fois qu'il était concentré. Peut-être répéta-il. Le mieux à faire serait de continuer à suivre la route principale jusqu'à trouver une ville conséquente pour nous orienter pour la suite.
- Je suis d'accord, opina Abiès. On pourrait profiter de cet après-midi pour faire un stock de fruit et repartir demain ?
Mais Benny n'écoutait plus, il voulait aborder un sujet sensible et formulait ses phrases dans sa tête. Il se décida tout à coup :
- Dis-moi Abiès, qu'est ce qui t'a poussé à la soigner ? Il avait adopté une voix posée, qu'il utilisait lorsqu'il abordait les sujets épineux.
Abiès se figea avant de répondre, pas très sur de lui :
- Je ne sais pas vraiment… C'était plus fort que moi. Je sentais sa vie s'écouler hors d'elle, mon corps a réagi tout seul. Un frisson le parcouru en y repensant.
Cette réponse réveilla subitement la colère que Benny essayer de contenir.
- Elle m'a quand même réduit la cheville en miette, elles sont dangereuses ! Cela n'aurait été que justice, asséna Benny d'un ton sec.
- Nous ne sommes pas leur ennemie, c'est la faute de ma grand-mère tout ça, pas la leur. La renarde n'avait pas à payer un prix aussi fort. Elle était en train de mourir Benny…
Benny claqua sa langue d'agacement :
- Tout ce que je vois c'est que tu leur a permis de continuer la cavale ! L'accusa Benny en pointant d'un doigt rageur le torse de son ami.
- Tu as le droit d'être en colère contre moi, mais je ne regrette pas ce que j'ai fais je n'aurais pas pu faire autrement.
Un silence s'installa entre eux, ils se connaissaient suffisament pour savoir que ni l'un ni l'autre ne changerait d'avis qu'il était inutile de poursuivre une conversation stérile. Aussi après encore un moment de silence, chacun parti de son côté vaquer à ses occupations, comme ils l'auraient faits au Noyau, l'un cherchant du bois, l'autre des fruits… La paix du lieu et la familiarité des gestes apaisèrent les deux amis, si bien que le soir ils passèrent un excellent moment de complicité. Abiès prit le temps de créer avec sa technique de chant un cocon d'écorces pour se protéger de la fraîcheur nocturne et éviter une mauvaise surprise.
Les cinq jours suivants furent monotone sur la grande piste. Même si aucuns incidents ne survint pendant ces cinq jours ils ne baissèrent pas la garde, guettant le craquement de brindilles ou des pas sautillants.
Le sixième jour, ils osèrent enfin troquer leurs récoltes sauvage contre quelques chose de plus consistants et de la monnaie à échanger. Benny maigrissait à vue d'oeil, le froid qui s'installait sournoisement, lui avait fait perdre les dernières rondeurs juvéniles de son visage. La maigreur de leur repas et la marche affinait leur silhouette, les rendant fins et saillants. Ils gagnèrent la sympathie d'un marchand qui les renseigna sur la position des prochaines villes, ainsi que les distances les en séparant. L'homme au cheveux grisonnant, posa sur eux ses yeux verts bienveillants :
- Encore trois jours jusqu'à Beaumarché si vous trainez pas, et encore une quinzaine pour Inif.
- Et pour rejoindre La Tour ? Questionna Abiès, qui n'avait reconnu aucun des noms de ville citées par le commercant.
Le marchand écarquilla les yeux de surprise :
- Alors la les jeunes, vous êtes pas prêts d'arriver. A partir d'Inif, il faut continuer à longer le massif de Draavil, c'est le passage le plus longs mais le plus sur, il y a encore un mois au bat mots pour rejoindre La Tour. Si la neige ne bloque pas la route d'ici là.
- Il y aurait un trajet plus court donc ? Releva Benny.
Le marchand se racla la gorge, un pli d'inquiétude barra son front :
- Si vous voulez mourir, oui, vous pouvez passer par le Plateau, hmm, le plateau, j'ai oublié son nom... Ah ! Voilà ! Le plateau Rocheux, c'est comme ça qu'il s'appelle. Mais tout le monde dit le plateau. On commence à l'apercevoir quand on arrive à BeauMarché. C'est une grande cassure abrupte qui surplombe la mer, c'est assez en haut en fait, et il est plat, pour ça qu'on le nomme plateau je suppose. Bref, c'est très dangereux la haut, personne ne passe par la.
- Ce nom me dit vaguement quelque chose. Pourquoi est ce que c'est dangereux? Questionna Benny, tout en cherchant dans son esprit ou il avait bien pu entendre parler de cet endroit.
- Y a comme qui dirait une malédiction à ce qu'on dit. Le soleil vous cogne dessus jusqu'à ce vous soyez cuits jusqu'à l'os, et puis y a des morceaux de falaise qui tombent parfois. Y en a qui dise, qu'avant on abandonnait la haut les femmes qui trompent leur maris ou les criminels, y en a très peu qui arrivent à redescendre entier, je veux dire avec tout leur corps, mais aussi entier dans leur tête. Il tapota son doigt sur sa tempe.
Les deux amis restèrent plongés respectivement dans leur pensées après cet échange.
Benny estima qu'ils devaient être sur le territoire des Intuitifs, ils avaient dévié beaucoup trop au sud par rapport à leur trajet initial. Plus tard dans la journée, autour d'un repas garnis ils reprirent leur discussion :
- Bon, perdu pour perdu, nous pourrions refaire nos stocks de vêtement avant que l'on se fasse surprendre par le froid… proposa Benny, qui réflechissait depuis plusieurs heures à la meilleure stratégie à adopter.
- C'est une bonne idée, et du matériel aussi. Un vrai bon couteau ! Renchérit Abiès.
- Et une couverture moelleuse ! S'exclama Benny.
- On s'arrête à BeauMarché dans ce cas ? Je pourrais d'ici la cueillir des plantes que je connais et en vendre sur un marché, qu'est ce que tu en dis ?
- Faisons comme ça, je chercherais aussi quelque chose de mon côté. En fonction de ce que l'on trouvera sur place on ajustera le temps que l'on y reste.
Comme leur avaient prédit le marchand ils arrivèrent à BeauMarché trois jours plus tard, là Benny trouva une place dans une scierie pour une semaine, il devait remplacer un ouvrier qui s'était blessé. Ils installèrent un petit campement en bordure du village, proche d'un petit ruisseau. Abiès en profita pour faire des stocks de plantes fraîche qu'il alla troquer le jour du marché. Les locaux confirmèrent les propos du marchand sur les distances encore à parcourir, ils apprirent aussi qu'ils ne pouvaientt pas traverser le massif de Draavil pour espérer gagner du temps, car seuls des chemins d'accès pour la récolte du bois la parcourrait, et ces derniers ne menaient nul part car ils n'avaient nulle autre fonction que celle-ci. Il leur faudrait donc poursuivre sur la grande route, large et sur, affirmait les habitants, car les intuitifs gardaient farouchement le passage. La forêt servant de limite entre le territoire des bâtisseurs et des intuitifs, la route qui longeait la lisière du massif était un axe primordial pour les intuitifs. Ces derniers dépendaient totalement des ressources des autres clans, en nourriture et matières premières, eux était renommé pour leur artisanats d’excellences ; soiries, verres, joyeries, aussi ces derniers ne toléraient aucun débordements, et pour cela des contrôles réguliers décourageaient les maraudeurs de tenter d'attaquer les marchands.
Abiès eut un grand succès avec ses plantes, car les passants le prenait pour un des vendeurs annuel provenant des Guérisseuses, ils étaient même ravis que ce dernier fasse halte dans un si petit village. La poche remplie de pièces et d'autres objets à troquer, Abiès consacra son après-midi à dénicher tout ce qu'il leur manquait depuis Tournerond.
Il dénicha d'abord un grand sac de voyage rapiécé, mais de bonne facture, deux couvertures, dont une extremement moelleuse pour Benny, des vêtements de pluie, de la nourriture sèches, et pour finir une besace en cuir. Cette dernière était rempli de poches, idéales pour récolter des simples et autres trésors, car il espérait pouvoir continuer à proposer ces remèdes tout au long de leur voyage. La semaine passa rapidement, leur paquetage fût bientôt complet et les stocks de nourritures conséquents.
Le dernier jour, Abiès prit sa place au marché, et alors qu'il conseillait une vieille dame sur le cataplasme à appliquer pour ces rhumatismes, un homme d'une quarantaine d'année s’arrêta à sa hauteur pour écouter. Lorsque la femme parti, il se rapprocha d'un air intéressé et engagea la conversation :
- Alors vous faîtes parti des expéditions annuelle des Guérisseuses ?
- C'est exact. Répondi Abiès avec applomb. Vous avez un problème particulier sur lequel je peux vous aider ?
- Oui en quelque sorte, répondit l'étrangé d'un air enigmatique. Mais dîtes-moi, comment cela se fait-il que vous repassiez si tôt dans l'année ?
Abiès, sentit un courant froid descendre jusqu'à ses pieds. Il percut alors un bourdonnement malsain qui se diffusait de l'homme, une sensation d'oppression envahit le cage thoracique d'Abiès. Il cherchait une explication plausible, personne ne l'avait questionné à ce sujet, et l'angoisse grimpa d'un cran, il expliqua la gorge serrée :
- Hmm.. Oui… C'est à dire que les membres du conseil… commença-t-il hésitant. Elles ont décidé d'envoyer une expédition supplémentaires dans les villages excentrés. C'est ma première mission, je termine ma formation sur le terrain. Abiès inventait de toute pièce une histoire qui puisse paraître crédible au yeux de quelqu'un n'ayant qu'une vague connaissance de son clan.
- Ah je vois, répondit l'homme d'un air entendu. C'est une preuve de confiance de laisser les jeunes prendre leur marque dans le monde.
Abiès opina, allant dans le sens de ce que disait l'homme, visiblement il avait gobé son histoire. Abiès percevait toujours le bourdonnement, ou plutôt une note grave de plus en plus insistante, et elle n'avait rien d'agréable à entendre ; sourde et froide. Alors qu'Abiès redescendait en pression en voyant que son interlocuteur ne s'attardait pas sur les détails gênants de son mensonge, le quarantenaire reprit :
- Je ne me suis même pas présenté, je suis Bush Ametyste. Et il le salua à la mode des guérisseuses.
Instinctivement Abiès lui rendit son salut et se présenta comme le voulait l'usage, et donna son nom. Bush l'écoutait attentivement, et quand il entendit le « Abiès Belépine », il eut un tressautement involontaire de l'oeil, puis un sourire mesquin s'attarda sur son visage. Ce qu'Abiès lut dans ce regard l'affola, et la note en bruit de fond s'intensifia, éparpillant ses pensées.
Sentant la panique monter en lui, il coupa court à la conversation en bredouillant une excuse, rangea précipitement son stand et s'en alla. Lorsqu'il se fut éloigné, il reprit son souffle et décida de jouer la prudence et changea son itinéraire pour rejoindre le campement. La réaction de l'homme lorsqu'il avait donné son nom, avait éveillé en lui son mode alerte. Il longea pour la première fois le quartier des artisans, à l'extrémité d'une rue, qui était aussi l'extrémité du village, été entassé des troncs et des tas gigantesque de copeaux. Il repéra Benny en train de travailler et lui fit de grand geste de derrière la barrière pour qu'il le remarque, mais son ami trop occupé, ne releva pas le nez de sa tâche. Au bout d'un moment cependant, un grand gaillard, plus grand que Benny ce qui était chose rare, le repéra et vint à sa rencontre d'une démarche fatiguée :
- J'peux t'renseigner mon gars ?
- Oui ! J'ai besoin de parler à mon ami qui est la bas, le grand au cheveux broussalleux. J'en ai pas pour longtemps.
Le géant resta stoïque et répondit d'un ton tout aussi stoïque :
- Ah ça c'est pas possible mon gars.
- C'est vraiment très important, ce sera rapide ! Insista Abiès. Il voulait absolument parler à Benny de l'homme du marché, car il avait le pressentiment qu'ils devaient partir rapidement avant que les ennuis n'arrivent.
- C'est pas possible mon gars, répéta le géant toujours aussi stoïque. Abiès réfléchissait à toute allure pour convaincre l'homme de le laisser passer. Lorsque le grand gaillard se retourna et commença à retourner vers les bâtiments de sa démarche claudiquante, Abiès eut une inspiration et le rappela :
- Hé ! Attendez ! Revenez !
Le grand-homme revint vers lui, toujours blasé.
- C'est toujours pas possible mon gars.
- J'ai ici quelque chose qui pourrait vous intéresser car j'ai vu que vous souffriez du genoux gauche. Je viens du clan des guérisseuses et j'ai un baume pour soulager les articulations.
Le géant le fixait sans ciller. Abiès reprit plus simplement :
- Je pourrais vous donner ce baume contre quelques minutes pour discuter avec mon ami.
L'homme réfléchit quelques secondes, puis répéta encore :
- C'est pas possi..
- possible, mon gars, oui je sais ! Répliqua Abiès à bout de patience. Tant pis alors ! Je vais l'attendre ici. Et il s'installa sur une pile de tronc, bien en vue de l'entrée de la scierie. Le géant, haussa des épaules et rejoignit son poste, Abiès ne put s’empêcher de ricaner.
Lorsque Benny sorti enfin avec sa paie, Abiès lui raconta sa rencontre avec Bush et son inquiétude vis à vis de son comportement ainsi que le bourdonnement malveillant qui émanait de lui. Alors, malgré les avertissements insistants qu'ils avaient reçu toute la semaine de la part des habitants, les deux compagnons décidèrent d'emprunter la route du plateau, d'abord parce que cela semblait être le trajet le plus court et deuxièmement parce qu'il serait moins fréquenté de part sa réputation et donc moins susceptible d'être suivi. Ils se mirent en route tout de suite après avoir récupéré leur affaires.
Ils passèrent les heures suivantes à surveiller leur arrières frénétiquement sur une grande piste terreuse bordée de pins bleutés aux longs troncs rectilignes, et de fleurs roses sur les talus moussus. En haut du vallon qu'ils venaient de gravir, la végétation se métamorphosa brusquement en une végétation buissonnante et sèche pas plus haute que l'épaule de Benny, c'était la fin des grands arbres qui leur avaient tenus compagnie jusqu'à présent. Le sol se recouvrit de pierres blanches au creux desquelles des plantes épineuses trouvaient refuges, ainsi que des plantes aromatiques devenues craquantes sous le pied par manque d'eau, et qui répandaient des salves de parfum à chaque enjambée. Le sentier se réduisit à une sente nette, serpentant parmis les buissons et les rochers. La pente se fit plus raide et bientôt ils surplombèrent la vallée à une centaine de mètres de hauteur ; ils purent observer l'immense massif de Draavil cachant, par son relief bombé, la fracture, et à l'est ils virent se détacher nettement sur le ciel bleu le Mont d'Araal. Ils n'étaient pas encore arrivés au point culminant du plateau car pour le moment les pointes rougeoyantes du massif écarlate étaient encore invisibles. Andolie, ainsi que Blanc-Port étaient aussi cachés, par contre la mer, elle, s'étalait devant eux dans un scintillement captivant.
- C'est magnifique ! S'exclama Benny. Le Mont d'Araal est vraiment immense !
- Et dire qu'on va devoir grimper la dedans… se renfrogna Abiès.
- Oh fais pas ton vieux ronchon, c'est beau d'ici ! Et puis on va déjà commencer pour aller au pied de la montagne, et trouver à la Tour la carte qu'il nous faut, ensuite on s’inquiétera de la montée ! Rigola Benny. Abiès lui sourit en retour, toujours inquiet.
- Tu as déjà mis les pieds dans l'océan ? L'interrogea Benny, les yeux posés sur l'horizon la main en coupe pour se protéger les yeux du soleil déclinant.
- Jamais, soupira Abiès. Je crois que mes parents y ont emmenés Sauline avant ma naissance. Et toi ? Tu ne m'avais pas rapporté du sable ?
- Si ! Le célèbre sable vert, j'en garde toujours un flacon sur moi, on dit qu'il apporte l'abondance. Benny sorti de son vêtement un cordon au bout duquel était suspendu, un flacon délicatement ouvragé rempli de sable vert sombre. Abiès n'avait jamais remarqué ce collier, il changea de sujet, car il ne voulait pas avouer à son ami qu'il avait perdu son sachet de sable il de cela des années, il nétait pas vraiment perdu, c'était plutôt les conséquences d'un règlement de compte avec sa sœur.
- Et alors c'était comment ?
- Je me souviens surtout de la sensation de me baigner, le sel qui brûle tellement la peau qu'il faut se rincer tout de suite. Ma mère disait que c'était le sel, mais je me demande avec le recul si ce n'est pas des restes chimiques…
- C'est hautement probable, ce n'est pas pour rien que personne ne pêche dans l'océan… Et dire que la dessous, il y a des villes entières de l'ancien temps. C'est vraiment magnifique toute cette masse d'eau en mouvement, je pourrais rester des heures ici.
- On peut peut-être se rapprocher un peu du bord de la falaise pour camper ce soir ? On aurait une belle vue sur l'océan ! Benny avait proposé l'idée, tout excité.
- D'accord ! S'emballa Abiès, et il partit d'un pas décidé en perpendiculaire du sentier qu'ils suivaient pour se rapprocher de la falaise.
- Attends ! Si on pouvait éviter de perdre le sentier ce serait mieux, on a qu'a marquer le bord avec un tas de cailloux, c'est pas vraiment ce qu'il manque ici, ricana-t-il.
Ils amassèrent des pierres puis après encore quelques précautions de Benny ; marquer une branche, noter des repères, ils gagnèrent d'un bon pas le bord rocheux. Des fractures sillonnaient le sol, elles étaient rongées par le sel et le vent, les affutants comme des lames. La pluie aussi avaient laissé ses cicatrices, formant des petites gouttières ressemblants à des montagnes miniatures. Plus ils avancaient vers le bord, et plus les fractures se faisaient larges et profondes, au fonds de certaines d'entre elles, les deux amis pouvaient apercevoir des arches naturelles ou des vasques.
Ils s’arrêtèrent une vingtaine de mètre avant l'apic, car la roche était de moins en moins présente au profit du vide. Ce qui les dissuada complétement c'est lorqu'ils attendirent au fond de l'un d'entre eux le son des vagues se fracassant sur la roches des centaines de mètres en contre bas. Ils dénichèrent une bande de roches large de deux mètres, recouverte exclusivement de lichen jaune et de quelques plantes grasses biscornues malmenées par le vent marins. Ça et la, quelques arbustes avaient tenté leur chance, se nichant dans des recoins abrités, mais n'avaient pas survécu aux soleil, au vent et au sel. C'est l'un d'entre eux qui permit à Benny d'éclairer un petit feu. Tout en cuisinant, ils observèrent la descente du soleil vers l'axe perpendiculaire bleuté, rendu silencieux par ce spectacle, Abiès essayer de graver dans sa mémoire les détails de ce moment, celui-ci il aimerait s'en souvenir toute sa vie. Et ce fut le cas, car d'autres invités s'insinuèrent dans leur petite fête sitôt le soleil couché, des mouches. Ils furent envahit en quelques minutes par des mouches piqueuses, rendu hargneuse par la perspective d'un festin juteux, elles se firent une joie de piquer à multiples reprises, les jambes, les mains, toute la chaire accessible des deux compagnons.
Ils ne pouvaient pas faire demi-tour dans le noir, le chemin était trop dangereux pour tenter une exploration approximative. Déjà les jambes de Benny étaient couvertes de piqûre. Abiès tenta d'agrandir le feu pour les dissuader d'approcher avec de la fumée, mais ce fût pire et bientôt les moustiques se joignirent à la fête. Ils finirent par s'enrouler de la tête au orteils, dans leur vêtement de rechange, de pluie et même leur couvertures pour échapper aux insectes suceurs, étouffant de chaud la tête ainsi couverte, ils se faisaient malgré tout piqué au travers des tissus. Benny ne put fermer l'oeil de la nuit, les vrombissement strident des insectes le rendit histerique : donnant des claques dans tous les sens, se retournant, grattant, râlant, grognant. Lorsque les premiers rayons lumineux effleurèrent son dos, le bourdonnement s’apaisa puis cessa. N'y tenant plus, Benny bondit hors de son cocon, se débarrassa de ses multiples couches et de tous ses vêtements, puis repartit au pas de charge vers le sentier principal, complètement nu. Abiès le suivit, se grattant dans son sillage.
Ils rejoignirent prudement, mais prestamment la piste. Abiès trouva une branche sèche d'un arbre téméraire, et se gratta férocement le dos puis celui de Benny. Abiès s'écria :
- Ils m'ont bouffé sur la tête ! Mais y a rien à manger sur la tête ! Je peux même pas à ouvrir mes yeux normalement ! Abiès était le plus amoché, le visage bouffis de pustules rouges gonflés.
- Cela va désenfler, tenta de le rassurer Benny. Ce dernier avaient les mains boudinées et pouvaient difficilement plier ses doigts, il avait le corps couvert de piqure, mais il réagissait moins que son ami.
Leur sac à dos irritaient leur peaux, rendues sensible à force de se gratter comme des déments, Bennu s'était même arraché de la peau autour des chevilles, il avait la sensation d'avoir une quinzaine d'ampoules arrachées en même temps, brûlantes et douloureuses. Le sang séché lui tirait la peau à chaque mouvement. Abiès dû lui protéger les chevilles avec un cataplasme pour lui épargner une infection. Il se rhabilla seulement avec son pantalon retroussé jusqu'au genoux, alors que Benny lui resta nu toute la journée malgré le vent dément et le soleil brûlant. Le vent souffla toute la journée sur eux de la poussière, desséchant leurs yeux et leur remplissant la bouche de sable qui crissait sous leur dents, leur lèvres furent gercés en quelques heures malgré l'hydratation.
Ils n'échangèrent que quelques mots essentiels concernant la direction, l'eau et les piqûres, chacun été plongé dans son enfer personnel, focalisé sur la piste devant eux, ils n'avaient aucun regard en arrière. L'anxiété d'une nouvelle nuit infernale, monta en eux après s'être reposé à la mi-journée.
- On pourrait s'éloigner de la côte et s'installer plus du côté des terres ? Proposa Abiès, guère convaincue par ses propres paroles.
- Avec tout ce vent je ne pense pas que les insectes soient aussi nombreux qu'hier. Si on se rapproche du bord côté vallée, ça va nous rallonger le trajet, et je n'ai aucune envie de m'attarder ici plus que nécessaire, ronchonna Benny.
- Mais ce sera impossible de dormir avec ces bourrasques sans un abris, et il n'y même pas de buisson hormis cette minuscule touffe rose là. On prend la direction de la vallée et on s'installe au premier buisson que l'on croise, négocia Abiès dont on pouvait à présent voir les yeux.
Benny exaspéré souffla de mécontentement :
- Je ne veux pas faire de détour pour un buisson qu'on ne touvera peut-être jamais. J'en peux plus, j'ai mal de partout, j'ai un coup de soleil en plus du reste, s'il te plait Abiès lâche l'affaire, ne me rajoute pas des kilomètres supplémentaires.
Abiès perçut au-delà de l'agacement de son ami, son profond inconfort, il préféra abandonner l'idée :
- Comme tu veux, c'est toi qui vois…
Benny grogna une phrase incompréhensible et répartit vivement. Ils reprirent leur progression dans un silence renfrogné.
Ils dénichèrent finalement un gros buisson aux feuilles lisses et odorantes, pas plus haut que le coude d'Abiès. Ce dernier réussi en épaississant et en étirant l'écorce tout autour d'eux à créer un cocon protecteur, dans lequel ils purent se blottir. Ils étaient très étriqués et durent laisser leur sac au dehors, mais ils préféraient cela plutôt que de rester dehors exposé aux moustiques et au vent. La température chuta dans la nuit, le froid était de la même intensité que la chaleur du jour, Benny remercia secretement son ami d'avoir insisté pour fabriquer cet abris. Il réussi à se décrysper et laissa Abiès essayer de soigner les piqûres. Ce dernier n'avait jamais fait cela, et n'avait aucune idée de la manière de procéder, aussi fit-il le choix d'un chant d’apaisement, il était de toute façon trop épuisé pour tenter quoi que ce soit de plus.
Le jour suivant fut tout aussi difficile, car les piqûres sur le visage d'Abiès l'empêchaient toujours de voir correctement, cela le rendait maladroit, il se cogna les pieds toute la journée. Trébuchants à de nombreuses reprises et se relevant in extrémiste. Ses mollets étaient lacérés, écorchés et contusionnés.
Le lendemain la monotonie du paysage fut interrompu par l'apparition de quelques arbres noueux, prodiguant ombre et fraîcheur lors de leur pause. Ils purent aussi remplir leur gourdes dans une petite mare. C'est en milieu d'après-midi qu'un bruit inhabituel brisa l'harmonie du lieu : un silence s'installa. Les insectes avaient cessé leur stridulation suivi d'un roulis de cailloux. Abiès tourna la tête dans la direction du bruit, un choc, puis tout devint noir.
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