Le repas du soir se déroula sans incident, Sauline l’ignora superbement toute la soirée. Elle n’était pas au courant de la teneur de la requête au conseil. La vaisselle faite, il retourna chercher sa sacoche et quitta la maison.
Il jeta un coup d’œil à son reflet dans les carreaux de la fenêtre du rez de chaussée : sa barbe s’était étoffée et masquait presque entièrement sa cicatrice à la lèvre. En temps normal les guérisseuses pouvaient effacer les cicatrices, mais celle-ci lui était resté de l’une de ses tentatives d’apprentissage. Il s’était ouvert la lèvre en chutant du grand frêne et en avait alors profité pour tenter de réparer sa lèvre. Il avait réussi mais le résultat était passable : les bords de la plaie s’était mal refermés, et ressemblait à une tranche de pain mal tranché. Sa sœur ne m’avait pas aidé à lisser la cicatrice et le conseil encore moins ; et il avait reçu en prime un avertissement sévère sur sa conduite. Cette cicatrise devait lui servir de leçon, afin de ne pas oublier l’illégitimité de son don.
Sa patience payait enfin, car avec sa barbe noire bleutée comme ses cheveux, la marque n’était plus visible. Il étira ses lèvres en un léger sourire à son reflet : oui beaucoup mieux pensa-t-il; ses yeux bleu océan ressortaient d’autant plus. En toute modestie il se trouvait bel homme, le nez droit, les lèvres pleines, des yeux rieurs, il aurait pu séduire des femmes sans sa situation sociale particulière. Après cet examen, il prit la direction de la place du marché ou il devait retrouver Benny, son ami d’enfance.
Il descendis la rue principale ou se dressait sur sa droite des maisons encastrées dans la roche et de l’autre des habitations légères en bois, métal de récupération et en terre pour certaines. Toutes les façades étaient peintes dans les camaieu de verts, de roux, ocre et blanc. De loin les maisons étaient indissociable de la roche et des arbres, reste d’une tradition de camouflage.
Après une vingtaine de minutes de marche, il arriva en vue du marché.
C’était l’heure d’affluence les bavardages et les engueulades composaient un fond sonore vif et réconfortant, les odeurs de vins épicée et de pâtisseries s’intensifiaient à chaque pas. L’entrée du marché était encadrée d’une arche en bois le long de laquelle étaient fixé les avis et informations diverses de la vie courante. La place étaient presque ronde : en son centre se trouvait une fontaine cerclés d’arbres fruitiers, prodiguant ombre et abris en cas de pluie. De cette place débouchaient deux autres rues en plus de la principale, l’une menant à la sortie du village, l’autre au second dôme et la dernière à l’espace de concert.
Avec Benny ils avaient pour habitude de s’y retrouver depuis son embauche aux tire-vite, car c’était le seul moment ou ils pouvaient passer du temps ensemble, sans sa grincheuse de sœur.
Il arriva le premier et s'installa à leur place habituelle au seul étalage qui servait des boissons correctes. Il troqua des boutons en bois qu'il avait sculpté contre deux choppes de matchou: boisson à base de pétillant de fleurs de sureau et d’un alcool de sève, l’ensemble formait une boisson alcoolisée chaude en bouche et parfaite pour une fraîche fin de journée.
Il sirotait le verre de matchou lorsqu'il apperçu au loin la tignasse bouclée de Benny dépassant toutes les têtes, qui se faufilait dans la foule pour le rejoindre. La place s’était remplie depuis son arrivée des habitants venue faire leur emplettes.
Benny était un brave gaillard de presque deux mètres, aux larges épaules et aux mains puissantes. Abiès s’émerveillait toujours de la grâce de son ami, malgré son physique aussi imposant. A son approche, il se leva et étreignis Benny, puis me rassit et reprit sa dégustation. Benny fit de même et but à grandes gorgées sa choppe. Celui-ci lança d’un air jovial :
- Alors mon p'tit Abi, quels sont tes malheurs de la semaine ?
- Pitié Benny, ce surnom va me poursuivre jusqu’à ma mort ?
- Tout dépend du temps qu’il te reste à vivre j’imagine, répondit Benny un sourire jusqu’au oreille. Aller raconte ! Tu as mis ta sœur au courant ?
- Non, impossible, plus la cérémonie approche et plus elle est odieuse. Je ne pensais pas cela possible mais comme quoi tout arrive !
Benny rit à cette remarque, termina sa choppe puis proposa d’aller au Noyau. Abiès accepta et ils partirent tout deux en échangeant des anecdotes sur les collègues de Benny et des situations improbables dans lesquelles les gens se retrouvaient en utilisant le tire-vite. Benny lui expliqua qu’il était en train de réfléchir à l’amélioration des tuyau de communication.
Ils gagnèrent la sortie du village puis empruntèrent la piste raide rejoignant la vallée, celle-ci serpentait le long du Dôme, tantôt en long lacets tantôt en épingle raide. A mi-parcours ils bifurquèrent en direction du sud, là ou les forêts se densifiaient. Ici les arbres atteignaient jusqu’à quarante mètres de haut. Différentes essences se cotoyaient : épicea velu, acacia pourpre, arganier géant, mélangeant racines et branches dans un somptueux décors ligneux. C’était la saison des noix, Benny en profita pour remplir son sac à ra bord, si bien qu’on entendait les coques s’entrechoquer à chaque enjambé de son ami, donnant ainsi le rythme.
Le sentier n’était rien de plus qu’une vague piste d’animaux se perdant ici ou là dans les bosquets. Rien de tout cela n'inquiétait les deux amis, car ils avaient depuis longtemps établis d’autres repères ; un rocher semblable à une crapadule, un virage en épingle, un terrier…Une fois le séquoya tordu en vue, ils détendirent et reprirent leur taquineneries à qui mieux mieux.
Abiès dépassa le vieil arbre et avança dans le cercle extérieur du Noyau. Leur territoire se révélait être un affleurement rocheux au sommet duquel se trouvait la souche d'un baobab plusieurs fois centenaires. Une clairière encerclait l’amoncellement de pierre à l’instar d’une douve. Exposé au nord, le Noyau, offrait de fraîche température même en pleine canicule. L’endroit était désert car même les ramasseurs de champignons ne s’y aventurait : c’était l’endroit idéal pour des activités non recommandées.
Abiès se mit en quête de petit bois pendant que Benny préparait un trou pour le feu et déblayait des pierres plates. L’affleurement rocheux offrait de nombreux recoins et cavités entre les énormes blocs de granits, ultimes vestige d’un séisme d’une autre époque.
Abiès gratta sa pierre à feu avec insistance et bientôt le feu pétilla, répandant une chaleur bienvenue. La marche en sous-bois nous avaient trempés les chaussures et les bas de pantalon. Il sorti des petits pain ronds et un pot de tartinade d’herbe et de lentille.
La voix de Benny s’éleva au-dessus du feu :
- Bien, alors maintenant racontes moi ce que tu comptes présenter au conseil. Et pas d’entourloupe, dit-il le doigt pointé sur lui, l’air faussement menaçant.
- Tu te souviens mon tour de pousse ?
- Ta tentative je m’en souviens. Tu as réussi à créer jusqu’au fruit ? demanda Benny les yeux brillant.
- Une petite démo ? Attends là je reviens.
Il quitta le cercle chaud, descendis du bloc et rejoignis la lisière. La il déterra doucement un jeune noisetier avec une motte de terre puis regagna avec précaution leur perchoir. Il s'assis en face de Benny, déposa son jeune protéger sur le sol puis plia ses jambes en tailleur et commença à respirer profondément.
Il débuta son incantation par un son proche d’un « o » vibrant du plexus jusqu’à la tête. Le noisetier semblait lui répondre, en se penchant d’abord vers lui, puis en bourgeonnant si vite que Benny n’était pas sur d’avoir bien vu. Il maintint le o encore quelques secondes et égrenais ensuite les mots suivants « Haut deviendra et le fruit portera » il fit résonner quelques secondes supplémentaire le « a » long et grave.
Le timide noisetier prit alors son essor et se transforma en arbuste de deux mètres, Benny se redressa à moitié dans une position peu confortable qui reflétait son indécision et sa stupéfaction. Les chatons disparurent aussi vite qu’ils étaient apparu et formèrent tout aussi vite des noisettes rebondies verdoyantes. Lorsque la dernière note de l’incantation s’éteignit, les fruits avaient prit leur couleur caractéristique brun doré.
Abiès reporta son regard sur Benny, et éclata d’un grand rire devant le regard médusé de son ami. Il se levas pour examiner l’arbre sous toutes les coutures avant de cueillir quelques précieux fruits. Comme Benny était toujours silencieux, chose tout à fait extraordinaire venant de lui, Abiès lui dit avec une note d'amusement dans la voix :
- Elles sont tout à fait comestibles tu sais.
Accordant la parole aux gestes, il saisit une pierre et cassa quelques noisettes puis les porta à sa bouche. Le craquement des fruits sembla redonner vie à Benny, qui se laissa tomber en arrière.
- In-cro-yable, dit-il en détachant chaque syllabes. Il se redressa et alla ramasser quelques noisettes qu’il mit dans son sac déjà bien remplit. Il retournait s’asseoir lorsque l’arbre se flétrit brusquement et se ratatina jusqu’à redevenir l’arbrisseau qu’il était encore quelques minutes plus tôt.
- C’est vrai, mais l’effet n’est pas permanent. Sur de plus petites plantes l’effet dure plus longtemps, une journée tout au plus. Sur des grands arbres c’est peine perdu, ils n’atteignent que la moitié de leur taille adulte, avant de rétracter comme celui-ci.
Benny se tourna et attrapa son sac : les noisettes étaient toujours là. Il leva les yeux vers Abiès, ouvrit la bouche pour poser une question mais Abiès le devança :
- Oui les fruits seront toujours dans ton sac demain.
- Intéressant. Pendant combien de temps ?
- Aucune idée. Tu veux faire une expérience pour moi ? Essaie de les garder de côté pour voir si elle finissent pas disparaître.
Benny tria les noisettes et les glissa dans l’intérieur de sa veste. Il dévisagea Abiès un moment, avec ce qui ressemblait à de la fierté et une lueur de fascination.
Le calme s’installa. Les deux amis dinèrent au coin du feu puis s'installèrent pour passer la nuit.
Le matin venu ils nettoyèrent leur campement puis quittèrent le Noyau. La forêt s’éveillait, les nocturnes regagnaient leur foyers tandis que les diurnes sortaient tout juste truffe, bec, et langue de leur cachettes. Ils virent passer une famille de colipus, drôle d’animal doté d’un abdomen rebondis recouvert d’une carapace blindée et de fines et longues pattes velus au bout desquelles se trouvaient des crochets. Le colipus n’avait quasiment pas de cou et une tête minuscule, si bien qu’elle semblait collée à la carapace. Pour compenser les angles morts les colipus étaient équipé de six yeux, mais même ainsi il était facile de les surprendre. La démarche sautillante comme sur des ressorts contrebalançait l’apparente maladresse de l’animal. Le petit groupe trottina jusqu’au pied d’un arbre puis commencèrent l’ascension. Les deux jeunes gens attendirent en retrait que ces derniers prennent de la hauteur avant de reprendre leur route, ces créatures étaient totalement inoffensives, il était inutile de les effrayer.
Ils aperçurent encore quelques animaux sur leur routes puis rejoignirent la piste principale. Ils atteignirent la place du marché, ou les premiers exposants commençait tout juste à installer les étalages.
Ils se séparèrent à contre coeur après une accolade et se souhaitèrent mutuellement bonne journée.
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