Le lendemain matin, lorsque son père le réveilla en frappant à sa porte, Isidore mit un moment à émerger. Il lui semblait avoir fait un drôle de rêve, dans lequel se mêlaient un oiseau de feu et un hibou un peu fou. Un poids sur sa poitrine le gênait un peu : s’était-il encore emmêlé dans ses couvertures ? Il ouvrit les yeux et rencontra deux billes noires ensommeillées. Avec un petit hululement doux, Qeepip frotta sa tête embroussaillée contre sa joue, puis s’étira. Le mouvement le fit rouler sur le matelas. Ébahi, le jeune homme le suivit du regard.
— Réveil ? entendit-il dans son esprit, alors que le familier se redressait sur ses pattes et entreprenait de nettoyer ses plumes.
— Isidore, viens déjeuner, appela son père depuis le rez-de-chaussée.
Cela finit de le réveiller. Comment allait-il expliquer cela à son père ? Il bondit hors de son lit et se changea rapidement. S’il tardait trop, il viendrait le chercher et il verrait un hibou-abricot sur son lit.
— J’arrive, cria-t-il.
Au son de sa voix, Qeepip sursauta et poussa un petit couinement. Penaud, Isidore se laissa tomber à genoux près de lui.
— Désolé, mon grand, fit-il en lui tapotant doucement la tête. Je vais prendre le petit-déjeuner avec mon père, puis nous irons voir Améthyste. Ca te va ?
Le petit hibou cligna des yeux.
— Manger ?
— Qu’est-ce qu’un hibou-abricot mange ? se demanda soudain Isidore. Pas des Mangepensées, c’est sûr, mais quoi ?
Qeepip hulula puis battit des ailes et disparut par la fenêtre laissée ouverte. Isidore se précipita et le vit se diriger vers les buissons fleuris qui poussaient près du hangar.
— C’est bien. Reste-là, se dit-il, en espérant qu’il l’entende.
Il sortit de sa chambre et descendit quatre à quatre les escaliers. Il fit une pause devant la porte de la cuisine pour remettre de l’ordre dans ses cheveux, puis rejoignit son père, qui sirotait un thé en lisant la gazette du village.
— Bonjour, papa, le salua-t-il, en rejoignant la table.
— Bonjour, mon garçon, fit Balthazar en pliant son journal. Tu as bien dormi ?
— Très bien.
Isidore remplit sa tasse avec le thé chaud qui attendait dans la théière, puis en but une longue gorgée. Balthazar toussota. Il avait visiblement envie de lui poser une question mais ne savait pas trop comment le faire, comme si’l avait peur de sa réaction. Le cœur du jeune homme se serra : il ne lui avait pas trop rendu la vie facile depuis qu’il lui avait annoncé sa décision de déménager. Mais il se doutait du sujet qui le taraudait.
— J’ai beaucoup apprécié de rencontrer ma tante, tu sais.
Un discret soupir de soulagement se fraya un chemin à travers la gorge de son père et il se détendit. Isidore termina sa tasse.
— Je pense que je vais me plaire ici.
— Tu as quelque chose de prévu aujourd’hui ?
— Améthyste doit me faire visiter le village. Et je lui ai promis de lui montrer comment fonctionne le zeppelin.
Balthazar fronça les sourcils.
— Ne t’inquiète pas. Nous ne nous en servirons pas. De toute façon je n’ai pas encore terminé de le réparer.
— Invite donc ton amie à manger avec nous ce soir.
Isidore hocha la tête.
— Et toi ? Que vas-tu faire ?
— Me reposer. Et je retournerai voir Sylve dans l’après-midi, répondit-il en reprenant son journal. Mais je sens que tu es impatient : vas-y vite.
— Merci, souffla Isidore en se levant.
Il quitta sa place, se rendit dans le couloir pour mettre ses chaussures et s’empressa de sortir dans le jardin. Il espérait que le hibou-abricot n’avait pas trop mis le bazar. Alors qu’il arrivait devant le hangar, il fronça les sourcils : pas de petit hibou à l’horizon.
— Qeepip ? chuchota-t-il.
Aussitôt une tête emplumée jaillit d’un buisson aux baies joufflues. Il le regarda en clignant des yeux, puis s’envola et se posa sur son épaule. Lorsqu’il frotta sa tête douce contre sa joue, le jeune homme se sentit envahi par une douce chaleur. Isidore sortit le plan dessiné par Améthyste et le déplia. Puis ils s’engagèrent sur le chemin. Il était encore tôt et les rues étaient calmes. Le soleil commençait à réchauffer l’atmosphère, et l’air avait une senteur agréable.
Depuis qu’il était arrivé, l’adolescent n’avait pas vraiment eu le cœur à admirer le bourg. Pourtant, ce jour-là, il prit le temps de regarder les petites maisons et leurs jardins emplis de fleurs et de plantes. Il atteignit la place principale. Autour d’une petite mare centrale, décorée d’ajoncs, des marchands et les producteurs des environs commençaient à mettre leurs étals en place.
Il passa devant le large bâtiment de l’Hôtel de Ville, puis tourna dans une ruelle qui le mena vers un autre quartier résidentiel, assez semblable au sien. Améthyste vivait seule dans l’une de ces maisons. Cela lui avait paru étrange, étant donné qu’elle paraissait avoir son âge. Cependant, les Mélusiniens vieillissaient plus lentement que les humains, et il n’était pas rare qu’un adolescent sans famille puisse obtenir sa maison, encore moins quand il était un enchanteur.
Ils atteignirent la charmante maison aux murs rosés en quelques minutes. Avant qu’il n’ait pu l’en empêcher, Qeepip s’envola et se rua à l’intérieur par une fenêtre ouverte. Isidore leva les yeux au ciel et grimaça quand il imagina la réaction de la jeune fille. Il passa le portillon, remonta l’allée de sable fin et toqua à la porte. Le battant s’ouvrit, dévoilant un couloir vide. L’adolescent cligna des yeux.
— Entre, fit une voix venue d’une pièce sur la gauche.
Une délicieuse odeur de gâteau s’engouffra dans ses narines. Surpris, Isidore obéit et passa la porte ouverte sur sa gauche, découvrant une cuisine très similaire à la sienne. Améthyste était debout près de la fenêtre, Geepip dans ses bras, et le considérait en fronçant les sourcils.
— Ce coquin a dû s’échapper du refuge, fit-elle, en levant les yeux vers lui.
— Euh … Bonjour, fit Isidore.
La jeune fille s’empourpra soudain.
— Pardon. Bonjour.
— J’espère que je n’arrive pas trop tôt.
— Non. Je suis une lève-tôt.
— Oui. Je vois ça, fit-il avec un geste de la main en direction du plan de travail rempli d’ingrédients, d’ustensiles et de plats sales.
Améthyste suivit son regard et eut un sourire penaud. A ce moment-là, visiblement ennuyé, le hibou s’échappa de ses mains et alla se poser sur l’épaule d’Isidore.
— Eh ! Reviens …
La jeune fille s’interrompit. Elle regarda longuement la paire, une expression d’intense surprise sur le visage. Isidore se sentit gêné sous la scrutation de la Mélusinienne. Il se racla la gorge.
— Son nom est Qeepip, commença-t-il.
— Comment … ? Tu veux dire que … ?
Isidore hocha la tête.
— Est-ce que je dois le ramener au Refuge ? Ce doit être une erreur.
— Raconte-moi.
L’adolescent fit le récit complet de ce qui s’était passé la veille. Une fois qu’il eut terminé, Améthyste s’approcha de lui et murmura quelques paroles incompréhensibles pour lui. Une sensation de chaleur se développa sur son front.
— C’est incroyable, fit Améthyste, excitée. C’est un glyphe de lien. Qeepip t’a choisi pour être son partenaire.
— Je croyais que c’était réservé aux enchanteurs.
— Normalement oui. Mais cela ne fait aucun doute. Est-ce que vous communiquez en pensée ?
— Oui. Mais il ne me transmet que des mots.
— C’est parce qu’il est encore jeune. Il parviendra à exprimer des idées de plus en plus complexes.
— C’est définitif ?
Améthyste cligna des yeux, interdite. Son excitation baissa d’un cran. Une profonde tristesse l’envahit.
— Oui. Pourquoi ? Tu n’es pas heureux ?
— Ce n’est pas …, balbutia le jeune homme, incertain.
Il se laissa tomber sur une chaise. Qeepip hulula et se frotta contre sa joue.
— Je ne comprends pas. Je n’ai pas de magie. Il a dû se tromper, à cause des Mangepensées ou …
Améthyste comprit soudain la cause du trouble de son nouvel ami. Ce n’était pas un rejet. C’était plutôt la peur que ce soit une erreur. Elle s’installa près de lui et lui prit la main.
— Les familiers choisissent celui qui les accompagnera toute leur vie. C’est assez mystérieux ; nous ne comprenons pas quels sont les critères, mais c’est un choix réfléchi et irrémédiable. Ils se lient avec des gens doués de magie, mais ce n’est pas forcément une loi gravée dans le marbre. Tu en es la preuve.
— Et toi ? Où est ton familier ?
Sa main se crispa. La tristesse revint en force et sa gorge se serra. Elle détourna le regard et retira sa main.
— Je suis désolé si ma question est indiscrète. Je n’aurais pas dû …
— Je n’en ai pas, l’interrompit la jeune fille. Aucun familier ne m’a choisi.
Isidore sentit le désespoir qui irradiait de la jeune fille. C’était une blessure béante et il se sentit stupide d’avoir posé la question. Qeepip sauta sur la table puis s’approcha de la Mélusinienne et se colla contre son torse. Elle sourit tristement et lui caressa la tête.
— C’est parce qu’il ne t’a pas encore trouvé, fit Isidore.
— On me dit ça souvent. Mais peut-être que quelque chose ne va pas chez moi, qui me rend indigne d’être choisie.
— Si moi, un non mage, j’ai été choisi, à mon âge, par un familier, alors j’en suis certain : le tien est quelque part à ta recherche.
Améthyste leva les yeux vers lui et le considéra un long moment. Son visage et ses yeux exprimaient sa confiance. Sa tristesse se dissipa comme neige au soleil.
— Alors, qu’as-tu prévu de me montrer ? fit-il, en souriant.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2780 histoires publiées 1267 membres inscrits Notre membre le plus récent est JeanAlbert |