— Dame Sylphe est donc ta tante ? entendit-il soudain juste à côté de lui.
Il eut un léger sursaut : il était tellement concentré sur ses pensées et ses souvenirs, qu’il n’avait pas entendu Améthyste arriver. Celle-ci le regardait d ‘un air penaud.
— Désolée de t’avoir fait peur. Et de me mêler de ce qui ne me regarde pas.
Isidore passa la main dans ses courts cheveux noirs.
— Ne t’inquiète pas. Ce n’est rien. Je … Je suis content de te revoir.
Elle sourit et ses yeux noirs s’illuminèrent.
— J’allais repartir, mais je peux te montrer le Refuge, si tu veux.
— Avec plaisir.
Elle regarda autour d’elle d’un air pensif.
— Par où vais-je commencer ? murmura-t-elle.
Isidore l’observa en silence, amusé par son comportement. Puis elle claqua des doigts et lui prit la main, sans se soucier de ce qu’il en penserait. Il la laissa l’entrainer sur le large chemin, puis tourner à droite et suivre une légère pente herbue. Lorsqu’il découvrit l’immense enclos qui s’étendait dans ce creux, il écarquilla les yeux. Derrière de lourdes barrières de bois, se trouvait un véritable oasis féérique. Améthyste s’appuya sur la barrière et laissa son regard pétillant parcourir l’endroit.
Isidore contempla la prairie d’herbe verte et soyeuse, dans laquelle les fleurs ondulaient sous la brise légère, puis son regard s’attarda sur les bosquets d’arbres ombreux, dont les feuilles brillaient de mille nuances chamarrées : vert, bleu turquoise, bleu azur, parme, doré même. Leurs troncs noueux s’entrelaçaient et formaient une sorte d’abri humide et frais. A leur pied jouaient un groupe de petits chat-fées, aux ailes presque transparentes et aux pelages noir, bleu ou violet, parfois vert.
Un minuscule lac, aux eaux limpides, était le terrain de jeux de quelques Léozards, qui y plongeaient et se pourchassaient, leurs écailles brillant sous le soleil et leurs moustaches frétillant.
Enfin, un gros rocher semblait avoir été aménagé avec une multitude de grottes et de tunnels. Le jeune homme y perçut du mouvement mais il eut beau se concentrer, il ne vit que des yeux brillants, qui disparurent aussi vite.
— C’est le chenil. Les familiers naissent et grandissent ici avec leurs parents, expliqua la jeune Mélusinienne. C’est mon endroit préféré. Je viens régulièrement jouer avec eux.
— Et le hibou, il est ici ? demanda soudain l’adolescent.
— Non. Les hiboux-abricots naissent dans l’Abricotier. Et notre petit fugueur est à l’infirmerie.
— Et son aile ? fit Isidore, soudain inquiet.
— Je l’ai guérie, le rassura sa compagne. Il va y passer la nuit pour être certain que les Mangepensées ont quitté son système.
Isidore se sentit si soulagé qu’il en fut surpris. Certes il aimait beaucoup les oiseaux, mais il venait à peine de croiser celui-ci.
— Il a un nom ?
— Oui, fit Améthyste, un éclair malicieux dans le regard. Mais il ne l’a encore dit à personne.
Isidore haussa un sourcil. Améthyste appuya son menton sur ses mains posées sur la barrière et s’abima dans la contemplation du chenil. Elle parut soudain très triste au jeune homme et il cligna des yeux, ne sachant que faire.
— Un familier dévoile son nom seulement à celui qu’il a choisi ; cela fait partie du rituel du lien.
— C’est donc ainsi que cela sa passe. J’ai déjà vu des enchanteurs avec leur familier à Montdazur, mais je ne savais pas comment cela fonctionnait. Le tien n’est pas avec toi ?
— Non, fit Améthyste, en se redressant.
Avant qu’Isidore n’ait pu dire quoi que ce soit, elle s’éloigna sans un mot. Interdit, il la suivit. En observant sa silhouette longiligne que tenue soulignait agréablement, il se demanda pour quelle raison sa nouvelle amie était soudain devenue si triste. Penser à quelqu’un d’autre était une distraction bienvenue qui lui permettait d’oublier pendant un moment son mal du pays.
Puis son attention fut entièrement attirée par l’énorme arbre qui trônait dans la partie nord du parc. Des employés, dont la bouche et le nez étaient recouverts de bandes épaisses de tissu s’activaient à son pied, en vidant de grosses fioles d’un épais liquide jaune, sur toute la périphérie du titan. Améthyste s’arrêta à bonne distance et observa la scène, les sourcils froncés, l’air inquiet.
— Que font-ils ? s’enquit Isidore, à voix basse.
Il lui semblait imprudent de déranger le travail des enchanteurs.
— Ils se débarrassent des Mangepensées, fit-elle, sans détourner son regard. Ce sont ces plantes grimpantes, là, sur le tronc. Ce sont des parasites qui menacent les hibou-abricots qui sont en train de grandir sur l’arbre.
— Les plantes qui ont intoxiqué ton protégé ?
— Oui. Normalement, elles ne devraient pas proliférer ainsi. C’est étrange.
Isidore leva les yeux vers les fleurs bombées qui ornaient les branches de l’arbre.
— Il est venu de là ?
Améthyste hocha la tête.
— Il est né plus tôt que prévu. On l’a gardé dans l’infirmerie pendant plusieurs mois. Il n’aurait pas dû sortir hier, mais c’est un coquin.
— Et … il va bien ? fit-il d’un ton où perçait son inquiétude.
Pourquoi se préoccupait-il tant de cet animal ? Même lui ne comprenait pas pour quelle raison il ne pouvait cesser de penser à cette boule de plume. Peut-être lui rappelait-il les hirondelles dont il avait pris la responsabilité à Montdazur ?
La jeune fille se tourna vers lui et le regarda un long moment, en haussant un sourcil. Son regard était si intense qu’Isidore se sentit rougir. Elle devait se poser la même question que lui.
— Très bien, fit-elle. Il est en pleine forme, peut-être un petit peu petit, mais c’est tout.
Tu veux le voir ?
— Je ne sais pas si je peux, fit-il, indécis.
Améthyste eut un petit rire.
— Le Refuge est ouvert au public. De nombreux habitants aiment visiter les familiers. Tant qu’ils se comportent avec respect, il n’y a pas de problème.
— Alors, d’accord.
Elle lui prit à nouveau le bras, sa tristesse disparue. Il aurait sans doute dû faire une remarque à propos de sa familiarité excessive, mais cela ne lui déplaisait pas. La Mélusinienne avait l’air d’être quelqu’un de bien et avoir une amie de son âge ne pourrait être que bénéfique pour lui. En remontant l’Allée, ils croisèrent des hommes et des femmes, Mélusiniens et humains, qui vaquaient à leur occupation. Ils eurent tous un sourire pour la jeune femme.
Ils passèrent devant un bâtiment rond, fait dans une pierre beige et brillante, dont l’entrée était ornée de deux colonnes ouvragées et dont le toit était décoré par une magnifique effigie. Isidore reconnut un fae, au troisième œil ouvert au milieu de son front et qui semblait le surveiller. Des massifs de fleurs aux longues tiges et aux pétales roses, fuchsia et dorés, se répandaient tout autour. Un chemin pavé de grosses pierres grises menait au perron et à l’entrée grande ouverte. L’intérieur était plongé dans l’obscurité.
— C’est la tour du rituel, expliqua Améthyste. C’est là où les jeunes enchanteurs se lient aux familiers qui les ont choisis.
A nouveau cette tristesse qui assombrissait son visage. Isidore ne se permit pas de lui demander pourquoi. Il la suivit en silence jusqu’au large bâtiment de bois, à un étage, qu’il avait déjà aperçu en arrivant. De nombreuses fenêtres vitrées s’ouvraient dans sa façade et on atteignait la porte de bois en montant quelques marches de pierre. Améthyste poussa la porte et Isidore l’y suivit. Aussitôt une forte odeur d’herbes l’assaillit.
La pièce était vaste. Plusieurs rangées de cages empilées étaient alignées contre le mur du fond. A gauche étaient posés des établis et des étagères surchargées de bocaux et de paniers remplis d’herbes aux odeurs et aux couleurs extrêmement variées. Dans le coin gauche, au fond, un escalier en colimaçon menait à l’étage. Devant les deux jeunes gens, deux tables assez larges, recouvertes d’une sorte de nappe épaisse attendaient les patients. Des caisses remplies d’outils étaient posées sur le côté.
Depuis le bureau situé à droite de l’entrée, une humaine leva les yeux vers eux. Ses cheveux bruns étaient réunis en un chignon sur sa tête et à travers ses lunettes perchées sur son nez, Isidore remarqua qu’elle avait un œil bleu et un autre marron.
— Déjà de retour, Améthyste ? fit-elle d’une voix aiguë. Qui est ton ami ?
— Je me nomme Isidore, fit le jeune homme, en s’approchant du bureau. Je viens d’arriver en ville avec mon père.
— Oh ! Oui, j’ai entendu la nouvelle. Bienvenue parmi nous. Je me nomme Hermeline et je suis responsable de l’infirmerie.
Il fut soudain gêné par sa célébrité. Mais c’était ainsi dans les petits bourg comme Sombremur. Pourtant la femme respirait la sympathie. Il sourit.
— Enchanté.
Elle se leva et contourna son bureau. Isidore s’aperçut alors qu’elle avait une deuxième oreille atrophiée et pointue, derrière chacune de ses oreilles normales. C’est une Homonculae, réalisa-t-il. Fasciné, il la regarda s’éloigner vers la rangée de cages. Puis il se reprit et la suivit. Elle s’arrêta devant l’une d’elle et observa l’intérieur.
— Il dort, souffla-t-elle. Le pauvre est épuisé par sa course à travers le village et par la toxine. Mais demain il devrait redevenir le petit coquin qu’il a toujours été.
Elle s’écarta. Isidore s’approcha et regarda la petite boule de plumes orangé et blanche. Il eut une soudaine envie de le caresser. Mais il se contenta de poser sa main sur les barreaux de bois. Le familier souleva doucement la tête et le regarda fixement. Isidore se sentit attiré par ses yeux d’un noir profond, piqueté d’étincelles bleues. Le hibou émit un hululement très doux, puis glissa sa tête sous son aile et replongea dans le sommeil. Isidore le regarda encore un moment, puis se tourna vers ces deux compagnes.
— Est-ce que je pourrais revenir demain, pour jouer avec lui ?
— Il en sera ravi, fit la soigneuse, en souriant.
— Très bien. A demain, alors.
Il ne savait pas très bien pourquoi, mais il s’était pris d’une profonde affection pour l’animal. L’idée de le revoir le faisait se sentir heureux. Il échangea un regard et un sourire avec Améthyste, alors qu’ils quittaient l’infirmerie. Il semblerait qu’il ait aussi trouvé une amie.
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