Lorsqu’elle arriva au Refuge, le soleil allait bientôt se coucher. En quittant son vélo près du bâtiment principal, elle aperçut Dame Sylphe, debout devant l’immense abricotier qui recouvrait de son ombre la partie nord du parc. Le hibou dans les bras, elle continua néanmoins son chemin jusqu’au centre de soins. Le pauvre animal, épuisé, s’était blotti contre elle. Elle déposa un baiser sur sa tête, heureuse de sa confiance, malgré le pincement de tristesse qui enserra son cœur, comme à chaque fois qu’elle venait au Refuge.
Hermeline, occupée à nourrir un bébé Léozard, leva la tête lorsqu’elle entra. Ses yeux pourpres s’agrandirent de soulagement lorsqu’elle aperçut le petit fugueur.
— Tu as réussi ! Merci Améthyste. Ce pauvre petit bout n’aurait eu aucune chance en pleine nature.
— Je sais, fit-elle en s’approchant. Il a été difficile à retrouver. Il a une aile blessée.
La femme indiqua une table d’examen propre juste à côté d’elle.
— Peux-tu t’en occuper ? Puis tu le déposeras dans cette cage. Nous le garderons sous surveillance.
Améthyste hocha la tête et déposa le hibou. Elle lâcha sa sacoche et manipula délicatement son aile. Le garçon avait raison : elle était bien cassée. Elle la prit entre ses deux mains, ferma les yeux et concentra son énergie sur la réparation des os très fins de son aile. Le hibou-abricot eut un long frémissement, mais il était déjà à moitié endormi du fait de la potion. Elle déposa l’aile sur le petit corps chaud, le souleva doucement.
Puis elle s’avança vers le mur du fond, contre lequel plusieurs cages de bois étaient empilées. La plupart étaient vides, mais elle aperçut un chat-fée dont l’une des pattes était bandée, ainsi qu’un Brontosio qui dormait. Elle n’aimait pas trop voir ces créatures enfermées ainsi, mais elle savait que c’était un mal nécessaire, pour leur soin. Elle caressa doucement la tête duveteuse du hibou et le déposa sur l’épaisse couverture. L’animal ouvrit un œil, se pelotonna et se rendormit. Améthyste sourit et referma la porte de la cage.
— Je repasserai demain et je lui donnerai un ou deux jouets, fit-elle en repartant.
— Bien sûr, répondit Hermeline en souriant.
Dans ses bras, le Léozard ronronnait de contentement. La guérisseuse nettoyait ses écailles vertes, ornées de gros points noirs. Les oreilles en pointes étaient dressées dans la direction d’Améthyste et ses yeux noirs aux paupières mi-closes suivaient tous ses mouvements. Elle lui fit un clin d’œil. Le familier se mit à ronronner plus fort. Hermeline eut un petit rire.
— Décidément, ils t’adorent tous. Tu devrais venir travailler chez nous à plein temps : tu es douée avec eux.
— Je les aime beaucoup aussi, répondit Améthyste. Mais, je …
Elle se mordit les lèvres et détourna le regard. Elle aimait s’occuper des familiers et des autres créatures magiques, mais cela lui rappelait sans cesse cet échec qui avait lézardé sa confiance en elle : aucun familier n’avait accepté de se lier à elle. Pour une enchanteresse, c’était une blessure difficile à cicatriser, l’impression de ne pas être digne, d’être différent, de ne pas être à la hauteur.
Hermeline la regarda avec tristesse.
— Je suis certaine qu’un familier finira par te choisir, fit-elle.
Améthyste lui sourit mais elle sentait bien qu’elle n’était pas très convaincue. Améthyste était une adolescente : elle aurait déjà dû être liée avec l’une de ces créatures.
— Je te remercie, répondit-elle. Prend soin du petit hibou.
— Ne t’inquiète pas. Va donc prévenir Dame Sylphe : elle s’inquiétait pour lui.
Améthyste salua sa collègue soigneuse et quitta l’infirmerie. Elle repéra rapidement la responsable du Refuge. La frêle silhouette de Dame Sylphe, vêtue d’une simple tunique bleu nuit, sur un pantalon crème et des bottes souples en cuir, se distinguait à peine face à l’imposant abricotier. Sa peau légèrement parme brillait sous les rayons du soleil couchant. Ses cheveux étaient réunis en un chignon au centre de ses délicates cornes torsadées.
À la largeur de son tronc et à sa hauteur, on voyait bien que l’arbre avait plusieurs centaines d’années. Ses branches épaisses, d’un bois sombre, étaient cachées sous un amas de feuilles d’un vert tendre, ornées de grosses fleurs orangée et rose, dont les pétales étaient refermés autour de leur précieux cœur.
Lorsqu’Améthyste s’approcha d’elle, elle commença à s’inquiéter en voyant l’expression soucieuse qui jetait une ombre sur son beau visage. Ses yeux bleus observaient attentivement l’arbre et ses lèvres fines étaient pincées.
— Dame Sylphe ? fit alors Améthyste, en s’arrêtant juste à côté d’elle.
L’enchanteresse tourna lentement la tête et sourit.
— Oui, ma chérie ?
— J’ai récupéré le hibou et je l’ai confié à Hermeline.
— Elle en prendra bien soin, ne t’inquiète pas. Je te félicite d’avoir réussi à le récupérer.
— Où a-t-il pu trouver de la Mangepensée ? continua Améthyste.
L’enchanteresse tendit le bras vers la base de l’arbre. La jeune fille avança légèrement et écarquilla les yeux : le tronc de l’abricotier était envahi par des plantes grimpantes aux feuilles d’un vert profond, armées d’épines, et aux fleurs rouge sang. Elles s’accrochaient à l’écorce et buvaient sa sève. Améthyste frissonna. Ces plantes l’avaient toujours terrifiée : il émanait d’elles une malveillance qui lui glaçait le sang. La veille encore, il n’y avait que quelques pousses, qui avaient été exterminées par les Maitres Jardiniers. Comment avaient-elles pu croître aussi vite et en aussi grande quantité ?
— Mais…, commença-t-elle, stupéfaite.
— Elles prolifèrent trop vite ; c’est étrange et inquiétant. Si elles atteignent les bourgeons, elles mettront en danger les hiboux abricot qui ne sont pas encore nés.
La voix de Dame Sylphe était tendue et ses sourcils froncés soulignaient son inquiétude. Elle continua, sans regarder Améthyste, presque comme si elle pensait à voix haute.
— Ces plantes ne sont pas rares. Mais leur prolifération est le symptôme d’un déséquilibre. Je n’aime pas trop ça. Il va falloir les surveiller.
— Et pour l’abricotier ? murmura Améthyste, défaite.
— Les Maitres Jardiniers sont en train de mettre au point une potion. Espérons qu’elle sera efficace, au moins jusqu’à ce que les hiboux naissent. Malheureusement, nous ne pouvons pas les séparer de l’arbre-mère ; ils ne seraient pas viables.
La directrice du refuge poussa un profond soupir et posa ses yeux d’un bleu profond sur la jeune fille. Elle sourit en voyant son expression.
— Ne t’inquiète pas. Ce n’est sans doute rien de grave.
Son regard se porta vers l’entrée du parc et elle se figea. En quelques secondes, la surprise se transforma en joie sur son visage et elle avança à grands pas vers le portail.
Améthyste, distraite de son observation de l’abricotier, suivit son regard et fut étonnée de voir Isidore et son père, debout à l’entrée. Le jeune garçon regardait tout autour de lui avec de grands yeux, mais son père fixait la petite forme de Dame Sylphe. Lorsqu’elle le rejoignit, elle se contenta de le regarder un long moment. Balthazar, les mains croisées devant lui, jouait nerveusement avec ses doigts. Les mots avaient du mal à quitter sa gorge, alors qu’il revoyait sa sœur pour la première fois depuis quinze ans. Dans son regard, la crainte se disputait avec la joie.
Lorsque l’enchanteresse le prit doucement dans ses bras et le serra contre elle, plaçant sa tête contre son épaule, tant elle était petite par rapport à lui, il laissa échapper le souffle qu’il retenait en un long soupir. Il l’étreignit à son tour et ferma les yeux. Isidore s’était éloigné de quelques mètres, observant cette tante qu’il n’avait jamais rencontrée, dont il ne connaissait rien.
— T’es-tu bien installé, mon frère ? fit-elle, en s’écartant de lui.
— Oui. La maison que tu nous as trouvée est parfaite.
La Mélusinienne sourit et se tourna vers son neveu.
— Isidore. Je suis si heureuse de te rencontrer enfin, s’écria-t-elle chaleureusement.
Le jeune homme s’approcha timidement en détaillant la femme. Elle effleura sa joue puis l’attira dans ses bras quelques secondes.
— Tu es tout le portrait de ta mère, mon garçon, fit-elle avec douceur.
— C’est ce que mon père me dit tout le temps.
La dame sourit, puis elle se tourna vers Balthazar et posa une main sur son bras.
— Et toi, comment vas-tu ?
Un soupçon d’inquiétude se lisait dans sa voix et dans ses yeux.
— Mieux. Je respire bien mieux depuis que je suis arrivé à Sombremur.
— Qu’ont dit les guérisseurs à Montdazur ?
— Que mes poumons étaient fragilisés par l’atmosphère de la ville.
— Je suis désolée. Je sais combien tu aimes cet endroit.
— Elle a bien changé, Sylphe, et pas en bien, fit l’homme, sombre.
— Viens, mon frère. Allons discuter chez moi.
Balthazar hocha la tête en souriant, beaucoup moins tendu que lors du trajet vers le Refuge. Isidore se sentit soulagé de voir son père en meilleure forme. Il lui en voulait un peu de lui avoir caché cette tante : son père et lui s’étaient installés à Montdazur alors qu’il avait à peine quelques mois. Sa mère venait de mourir d’une grave maladie et il avait préféré quitter Sombremur, pour des raisons qu’il n’avait jamais voulu lui révéler. Peut-être qu’il aurait le fin mot de l’histoire. Sylphe posa ses profonds yeux azur sur lui.
— Si cela ne t’ennuie pas, j’aimerais discuter avec ton père un moment. Tu peux visiter le refuge en attendant.
— Oui. Oui, bien sûr, je comprends, répondit le jeune homme.
Un sourire rayonnant le remercia. Dame Sylphe glissa son bras sous celui de son frère et l’entraina vers une petite maison entouré d’un délicat jardin, située dans la partie sud du Refuge. En passant, Balthazar posa sa main sur l’épaule de son fils et celui-ci lui rendit un sourire rassurant. Il les suivit du regard jusqu’à ce qu’ils pénètrent dans le pavillon.
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