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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

Une feuille de papier violette dans les mains, Isidore sortit sur le perron et soupira. Il s’assit sur les marches en bois et commença à plier le feuillet. L’air était doux ; une petite brise légère et parfumée soufflait sur les jardins fleuris, secouait les branches des arbres qui protégeaient de leur ombre les maisons du village et soulevait la poussière du chemin qui passait devant son jardin. La maison dans laquelle son père et lui venaient d’emménager se trouvait juste à la limite du village de Sombremur. Sur sa gauche, il ne voyait plus qu’un moutonnement de collines et à l’horizon, l’extrémité nord de la forêt Vermeille.

Lorsqu’il eut fini son pliage, il admira l’origami : c’était une hirondelle, au bec fin et aux ailes déployées comme si elle allait s’envoler. Ses amis étaient restés là-bas, à Montdazur. Une vague de nostalgie créa un nœud dans sa gorge : la ville dans laquelle ils habitaient auparavant lui manquait. Il avait l’habitude des grands immeubles de pierre, des églises et des hauts bâtiments de l’Hôtel de Ville et de l’Université. Certes la cité était recouverte à toute heure du jour et de la nuit d’une épaisse fumée noirâtre, crachée par les usines qui avaient envahi les faubourgs de la ville. Elle enfermait les habitants dans une éternelle lumière grise et rendait l’air âpre et lourd. Mais cela ne le dérangeait pas tant il aimait courir dans les petites ruelles et sur les toits.

Isidore regarda l’immense ciel parme, parcouru par de petits nuages nonchalants, le panorama bucolique et verdoyant et eut un petit sourire, en caressant son origami du bout des doigts. Le paysage autour de lui était magnifique, il ne pouvait le nier. Malgré sa nostalgie, à son corps défendant, il se laissait envahir par la majesté des lieux. Pour être honnête, ce n’était pas tant la ville dont il était nostalgique mais la petite mission qu’il s’était octroyé une fois par an : il était le guide des hirondelles et, aux commandes de son petit zeppelin personnel, qu’il avait fabriqué avec son père, il les guidait à travers la purée de poix pour qu’elles puissent commencer leur migration annuelle, vers la Barrière, au nord.

Il soupira une nouvelle fois : qu’est-ce que cela lui manquait de piloter le petit engin et virevolter en compagnie de centaines d’oiseaux qui dépendaient de lui ! Mais, à cause de l’air corrompu, la santé de son père s’était dégradée, et ils avaient dû s’installer à Sombremur, le village où il était né, à plusieurs centaines de kilomètres de la cité. Il avait pu une dernière fois accompagner ses amis de l’autre côté du mur de brume, puis il leur avait dit adieu.

Soudain un hululement aigu le fit sortir de ses souvenirs : il aperçut un étrange hibou voler de manière désordonnée au-dessus de sa tête, en direction de la campagne. Il le vit piquer brutalement et s’écraser dans un champ à une centaine de mètres de sa maison.

Isidore posa l’hirondelle sur la table, bondit sur ses pieds et courut dans la rue. Il remonta le chemin pour sortir du village puis bifurqua pour traverser le champ jusqu’à l’endroit où il avait aperçu l’animal.

Il le voyait tressauter erratiquement en plein milieu d’un bosquet de buissons épineux. Ses couinements aigus faisaient peine à voir.

— Eh, petit gars, fit le jeune homme, en s’agenouillant près de lui.

L’animal avait un plumage orangé et abricot, un petit bec crochu orange et des yeux noirs qui donnaient l’impression de tourbillonner, tant il était paniqué. L’une des ailes semblait tordue dans un angle inquiétant, mais il ne paraissait pas avoir d’autres blessures. Le buisson avait dû amortir sa chute. Isidore tendit les mains vers lui, en espérant ne pas se faire mordre et caressa son dos. Il tremblait de tous ses membres.

Alors qu’il le calmait, il entendit un bruit métallique : il se détourna et vit une bicyclette rouler à toute allure vers lui. Elle tressautait sur les irrégularités du terrain. Lorsqu’elle s’arrêta juste à côté de lui, une Mélusinienne en descendit et l’observa un moment, les sourcils froncés.

Vêtue d’une tunique parme, sans manche, et d’un pantalon en tissu clair, sagement rangé dans des bottes souples, elle était grande et fine. Sur sa peau bleutée étaient dessinées des circonvolutions foncées, comme autant de veines. Isidore savait qu’il s’agissait de sa coloration naturelle, mais il avait l’impression que ces symboles soulignaient le caractère extraordinaire de la Mélusinienne. Ses yeux sans pupille étaient d’un noir profond et brillant, mis en valeur par ses cheveux ébouriffés d’un bleu très clair, presque blancs. Ses cornes entrelacées au sommet de son crâne apportaient des nuances un peu plus sombres. Ses oreilles effilées dépassaient légèrement de son épaisse chevelure.

— Je l’ai vu tomber, fit Isidore, se sentant obligé de se justifier sous le regard scrutateur de la jeune fille.

Sous ses doigts, l’animal semblait d’être calmé.

— Je crois qu’il a une aile cassée, ajouta-t-il.

Visiblement rassurée, elle lâcha son vélo qui s’effondra dans l’herbe et s’agenouilla à côté du hibou.

— Te voilà enfin, murmura-t-elle. Bois ça : ça va te soulager.

Elle fouilla dans sa sacoche et en sortit une fiole, contenant un liquide doré. Puis elle prit le blessé dans ses bras. Il riva ses yeux sur elle et ouvrit obligeamment son bec. Elle y versa délicatement la potion. Isidore observa la scène en retenant sa respiration. Le hibou fut secoué de longs frissons pendant quelques secondes, puis il se calma et se pelotonna contre sa sauveuse. Lorsque le jeune homme croisa son regard, il eut l’impression que l’animal le regardait avec intensité. Il se sentait irrésistiblement attiré par ses pupilles. Que voyait-il au fond ? Des étincelles ?

— Merci, souffla-t-elle.

La voix musicale le fit revenir dans la réalité.

— Je n’ai pas fait grand-chose, souffla-t-il.

— Tu l’as rassuré. Sans toi, il aurait pu se perdre encore plus loin.

— Je n’avais jamais vu d’oiseau comme lui.

— C’est un hibou-abricot, expliqua-t-elle. C’est une espèce de familier que nous élevons dans la région.

— Oh ! Que lui est-il arrivé ?

— Ce petit imprudent a mangé trop de baies de Mangepensée. Il a fait une indigestion et il un peu perdu les pédales.

— Oh… D’accord.

Isidore n’avait aucune idée de ce qu’était une Mangepensée ou le Refuge, mais il se garda bien de le dire. La jeune fille le fixait toujours avec un grand sourire. Elle caressait doucement le hibou de sa main droite.

— Je suis soulagée d’avoir pu le récupérer et lui donner le remède, continua-t-elle.

— J’imagine, fit Isidore, hésitant.

— Je m’appelle Améthyste, reprit-elle, alors qu’il laissait le silence s’éterniser. Tu viens d’emménager ?

— Oui, dans la maison là-bas, juste à la limite du village. Mon père et moi venons de nous installer. Nous venons de Montdazur. Je m’appelle Isidore.

— Bienvenue à Sombremur, fit-elle alors

— Merci.

Le sourire de la demoiselle s’élargit encore.

— Je dois vite aller au Refuge, mais, si tu veux, je peux te faire visiter le village. Demain ?

Une chaleur bienfaisante envahit sa poitrine à cette proposition. Il l’aida à installer le blessé dans le panier du vélo puis il la regarda filer à toute vitesse. Cet engin allait drôlement vite ! Il retourna tranquillement chez lui, en songeant à cette rencontre impromptue.

Une fois arrivé, il se rendit dans l’atelier attenant à la maison. Il n’avait rien à voir avec le vaste hangar que son père et lui possédaient au dernier étage de leur maison à Montdazur. Mais il lui permettait de garder à l’abri son trésor. Il ouvrit grand la double porte, entra et guida sa bicyclette rouge dans l’allée sableuse. Il le regarda d’un œil critique. Le trajet en train, puis en charrette jusqu’au village, n’avait pas été sans heurt pour la délicate mécanique. Il repéra quelques éraflures, des boulons desserrés et l’un des essieux paraissaient abimé. Après avoir déplié les deux câbles et les avoir fermement planté dans le sol, il activa l’arrivée d’air qui permettait à son ballon de gonfler. En quelques minutes, un magnifique ballon rouge et doré flottait au-dessus du vélo.

En plissant des yeux, il fit le tour de son engin, en inspecta chaque millimètre carré puis il se mit au travail. Il n’avait pas encore eu l’occasion de l’essayer ici, son père préférant qu’il s’adapte au village avant, mais il voulait le maintenir en bon état. Cela lui occupa l’esprit et les mains, pendant que les minutes filaient, sans qu’il s’en rende compte.

Balthazar le rejoignit une heure plus tard et l’observa en silence pendant plusieurs minutes. Profitant de l’air doux et odorant de Sombremur, il respirait plus facilement. Décidément, c’était une bonne idée d’être revenu ici. Montdazur n’était plus la belle ville qu’il avait connue lorsqu’il s’y était installé. Depuis que les usines s’étaient multipliées et que les sous-sols étaient dépouillés de leurs ressources, la ville se mourait à petit feu. Il avait tout essayé pour prévenir le maire et ses concitoyens. Peine perdue. Alors, il avait préféré emmener son fils en un lieu plus sûr. Cela n’avait pas été une décision facile à prendre. Il connaissait l’attachement de l’adolescent pour la ville et ses oiseaux. Lui-même avait quitté la région de son enfance dans des circonstances difficiles. Pourtant il était temps d’affronter son passé et de donner à son fils un meilleur avenir. Il était temps d’affronter sa sœur.

Lorsque son fils leva les yeux vers lui et lui sourit, il s’approcha.

— Il est en bon état ?

— Il faut que je vérifie certaines choses avant de pouvoir l’utiliser à nouveau. Le voyage n’a pas été tendre avec lui.

Balthazar hocha la tête. Il était fier de voir combien Isidore était doué avec la mécanique. C’était quelque chose qu’il lui avait bien transmis.

— J’ai rencontré quelqu’un, tout à l’heure. Une Mélusinienne qui pourchassait un familier. Elle avait l’air sympathique.

— Oh ! C’est bien. Allait-elle au Refuge ?

— Oui, fit Isidore, surpris.

— Alors tu auras peut-être l’occasion de la revoir rapidement.

Isidore leva ses yeux noirs interloqués vers lui.

— Nous allons au Refuge, voir ta tante.

— Ma… ? murmura-t-il, interdit.

Isidore n’avait aucune idée que son père avait une sœur ; Balthazar avait toujours été très secret sur sa famille. L’inventeur sourit devant l’expression de son fils : c’était un étrange sourire, à la fois heureux et triste. Il posa sa main calleuse sur son épaule.

— Viens. Si c’est comme dans mon souvenir, le Refuge devrait te plaire.


Texte publié par Feydra, 21 juillet 2023 à 00h55
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