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tome 1, Chapitre 4 « Partie 1 - Chapitre 4 : Le départ » tome 1, Chapitre 4

Dans la chambre, Flèche qui saute s’observa dans le miroir. Il souffrait de plusieurs éraflures encore ensanglantées, de contusions non visibles mais surtout d’une immense tristesse. Il avait de nouveau échoué. Malgré tous ses efforts, ses années d’entraînements, et le fait qu’il ait grandi depuis. Le résultat avait été le même. Des larmes roulèrent sur le duvet du reflet. L’original les essuya d’un revers rageur. Puis il se saisit d’un broc d’eau fraîche et en versa dans la coupelle pour y tremper un chiffon propre. La poussière et la honte s’estompèrent peu à peu. S'acquitter d’une tâche de façon machinale lui permit de remettre ses pensées en ordre.

Oui il avait échoué. Non, il ne pouvait pas se permettre de rester. Il ne ferait jamais partie de l’armée de la matriarche, et ne partirait encore moins transmettre ses gènes sur la montagne jumelle. Et rester après avoir échoué, en étant le dernier à revenir… Il devrait affronter chaque jour les regards empreints de pitié de ses camarades. Des autres Célestes de son peuple. L’ayant déjà vécu toute sa vie, il ne pouvait s’y résoudre. Il avait eu l’espoir de pouvoir redorer son blason, mais désormais cet espoir était mort. Et de quoi vivrait-il ? Il avait été entraîné toute sa vie à effectuer ce qu’il venait d’échouer. Ne pouvant rester, il sut ce qu’il lui restait à faire. Cette pensée tourna en boucle dans sa tête, pendant qu’il pansait ses plaies. Se soigner seul n’était pas évident mais il avait refusé toute aide extérieure. Continuant de repousser la charité des autres. Lorsqu’il fut de nouveau présentable et que ses plaies furent bandées, il mit de l’ordre de la pièce. À son départ, tout était propre, comme s’il n’y était jamais passé.

En quittant l’agora, il s’aperçut avec effroi qu’il n’avait même pas salué la matriarche Airaline en arrivant en haut de la montagne. Décidément, il était irrécupérable ! Flèche soupira, puis quitta les lieux pour se rendre au cœur de la cité. Le forum accueillant le public pour l’épreuve du vol se trouvait juste au dessus du flanc de la montagne. C’était également un lieu fermé : d’un côté on trouvait le vide, tandis que de l’autre on accédait à la ville. Le Céleste fut à la fois soulagé et attristé de pénétrer dans l’immense ouverture menant à la cité, à l’intérieur même de la montagne. L’épreuve tant redoutée était terminée.

La place centrale grouillait de monde malgré l’heure tardive. Les habitations creusées à même dans la roche fourmillaient, les Célestes fêtant l'événement de la décennie. Flèche partit vers la droite, et s’engouffra dans la première ruelle. Il dépassa les commerces sentant encore la bonne odeur d’insectes grillés. Les relents de cuisson firent gargouiller son ventre, lui rappelant qu’il n’avait pas mangé depuis plusieurs heures. Il parcourut quelques mètres, pénétra dans une autre rue, où se situait son restaurant habituel. Son estomac se fit de nouveau entendre. Flèche soupira. Les commerces étaient tous fermés, il ne trouverait rien. Les festivités ayant lieu à la suite de l’épreuve du Vol avaient accaparé tous les commerçants. Tout le monde s’était rassemblé au même endroit pour festoyer ensemble.

Il ne souhaitait pas en être.

Résigné, il poursuivit un chemin qu’il connaissait bien. Il franchit les premiers escaliers, à pieds. Pendant que ses congénères volaient au dessus de sa tête, ses pas le menèrent chez lui. Il entra dans son nid et referma avec soulagement la porte derrière lui. Enfin seul. Par chance il trouva quelques restes dans un placard et s’en fit un festin. Il avait besoin de forces pour guérir. Son repas fait, il essaya de dormir. Durant plusieurs heures, il tourna en rond dans son lit. Devait-il quitter l’endroit où il avait toujours vécu ? Où irait-il ? Mais s’il restait, que ferait-il ? Les pensées l’assaillirent jusqu'à ce que la fatigue l’emporte sur son esprit, malgré la douleur.

Quand il s’éveilla, le soleil était déjà haut et inondait la petite pièce. Les rayons dorés l’accompagnèrent pour ôter les bandages ensanglantés. Ils furent changés par des nouveaux et jetés. L’eau sale également, et le Céleste effectua une nouvelle fois sa toilette. Quand il fut présentable, il songea à sa pensée de la veille. Elle s’était muée en décision.

Flèche-qui saute demanda une audience et fut appelé presque immédiatement. La reine le reçut dans le jardin du palais. Toujours aussi somptueuse et digne, elle se tourna vers lui lorsqu’il entra et le salua doucement. Ses serres se joignirent en un geste délicat. Se souvenant des convenances, le perdant détacha son regard et s’agenouilla devant elle.

- “Ma reine, je suis désolé. Je vous ai déçu. Vous aviez confiance en moi. M’avez choisi parmi d’autres prétendants malgré mon… Handicap. Et j’ai trahi cette confiance.”

- “Oh, Flèche…”

Il se releva à sa demande mais poursuivit sa tirade, coupant sa Mère dans sa phrase. Il voyait la pitié dans ses yeux, et n’avait pas besoin de l’entendre de vive voix.

- “À cause de cette confiance trahie, je ne suis pas digne de rester à vos côtés. Ni même d’être sur cette montagne. Ce peuple est fort, brave et pur. Je me dois de trouver ma place. Car elle n’est pas ici, avec vous.”

Sa voix se brisa sur les derniers mots, qu’il eut bien du mal à prononcer. Il avait aimé grandir sur ces monts, sentir le vent dans ses ailes. Jouer avec ses frères et sœurs. Mais l’épreuve de la veille n’avait fait que confirmer ce qu’il ressentait depuis plusieurs années. Il n’était pas comme les autres. Son regard croisa celui de sa reine, et il sursauta. Ses yeux brillaient d’émotion et ses serres si délicates tremblaient.

- “Flèche. Si tel est ton ressenti, alors je t’accorde le droit de quitter cette montagne. Mais sache que cela n’est que ta propre décision. Tu es aussi fort, brave et pur que tous mes enfants.”

Habituée à parler et sauver les apparences, sa voix à elle restait claire malgré ce qu’elle ressentait. Flèche déglutit et s’inclina respectueusement devant elle en guise d’adieu. Puis il l’observa une dernière fois afin de graver son image dans sa mémoire. En tournant les talons, il aperçut du coin de l'œil l’humain présent lors de l’épreuve. Le conseiller neutre Javer. Toujours non loin de la reine. Cela ne le regardait plus.


Texte publié par Anaïs, 19 juillet 2023 à 19h52
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