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Becky

Il y a seulement quelques semaines de cela, je me préparais à passer l’entrevue qui allait changer ma vie. L’agence qui m’avait approchée faisait partie des plus grandes agences de mannequinat des États-Unis, et j’étais tout à fait décidée à y mettre le pied. J’avais tout planifié : déménager à New-York et vivre le rêve américain sous toutes ses coutures. Travailler dans une agence de mannequinat réputée, rencontrer des célébrités, aller à des soirées dans des bars huppés et, bien sûr, y rencontrer des hommes...

Alors que faisais-je dans un avion en destination de Santa Barbara, avec seulement un sac à main et une petite valise contenant à peine le tier de ma garde-robe ?

— Mesdames et messieurs, nous sommes arrivés à destination, intervient la voix de l’une des hôtesses dans le haut-parleur. Veuillez rester assis jusqu'à ce que l'avion ait fini de stationner et que le signal lumineux de sécurité se soit éteint. Nous espérons que vous avez passé un agréable vol et nous vous remercions de votre choix de compagnie aérienne. À bientôt !

Une fois la plupart des passagers hors de l’avion, je m’étire pour attraper mon sac juste au-dessus de ma tête. Je quitte l’objet volant à mon tour, plus déterminée que je le croyais à parvenir à ma destination. Une fois devant le tapis roulant supposé me présenter mon unique valise, je réactive le réseau de mon téléphone, certaine d’y retrouver plusieurs messages d’Asher, mon meilleur ami depuis le jardin d’enfant.

« Dis-moi quand l’avion atterri, princesse. »

« Il est 18h. Toujours en vie, c’est bon ? »

« Je suis devant. »

Je souris. Le temps d’attente pour attraper ma valise me parait une éternité, maintenant que je sais qu’Asher m’attend, certainement impatiemment, à l’extérieur. Je suis heureuse de finalement pouvoir pénétrer dans son nouveau monde... Bien que ce ne fût pas mon plan premier, je ne pourrai jamais me plaindre de passer du temps en sa compagnie.

Nous avons passé notre enfance ensemble, à jouer des tours à nos parents et aux autres enfants de l’école primaire. Il n’y avait que lui et moi. Les autres, c’étaient des « trolls », comme on aimait les appeler. Je n’avais besoin de rien d’autre. Jusqu’au lycée, où nous avons été séparés lors de la division des groupes de classe et où nous n’avons eu d’autres choix que de s’efforcer de s’entendre avec les autres.

— La voilà ! s’écrit Asher, les fesses appuyés contre le capot de sa Challenger métallisée.

Lorsqu’il me repère, il se redresse machinalement et m’ouvre ses bras. Je ne perds pas de temps avant de laisser tomber mon sac près de ma valise pour me précipiter dans sa direction et lui sauter dans les bras ! Bon sang, ce qu’il m’a manqué... Son odeur m’a manqué. Et pourtant, je réalise que je ne l’ai jamais oublié. Plus d’un an s’est écroulé depuis notre dernière rencontre, une année qui m’a paru une éternité, d’ailleurs. J’en viens à me demander comment j’ai pu survivre jusque-là.

— Salut, princesse, souffle-t-il, le nez collé contre mon cou.

— Salut, répondis-je, sur le même ton.

Je n’arrive pas à m’arracher de sa prise. Ses bras, qui semble avoir pris le double de leur poids en muscles, enroule ma taille comme des serpents engloutissant leur proie. Mes doigts s’attardent dans sa nouvelle coupe de cheveux, qu’il a refusé de me montrer par caméra durant la dernière semaine. Il voulait conserver la surprise... et c’est réussi.

M’éloignant finalement de lui, et à contre-cœur, j’entreprends de l’examiner. Ses cheveux noirs, séparés au milieu et chutant sauvagement sur son front, sont plus courts dans les côtés, où les vagues indomptables au-dessus de sa tête retombent. Je contemple ce regard vert éternellement somnolent qui n’appartient qu’à lui. Le sourire mesquin sur ses lèvres pleines s’agrandit.

— Tu aimes ce que tu vois ? s’amuse-t-il, en prenant doucement ma main pour déposer un baiser sur mes jointures.

Je cligne plusieurs fois des yeux. Quand est-il devenu aussi grand ? Son statut physique semble avoir changé drastiquement. Il est plus mûr, plus ferme. D’un rire naturel, je touche son biceps droit du bout de l’index.

— On ne s’est plus vu depuis combien de temps, cinq ans ? plaisanté-je, alors qu’il glisse sauvagement son bras autour de mon cou pour me coller à nouveau contre son torse.

Nous restons dans cette position encore un moment, incapable de se séparer. Nous n’avions jamais été séparé aussi longtemps. Je me souviens encore, comme si c’était hier, de la crise d’hystérie qui m’avait emporté quand il m’avait annoncé qu’il partait vivre à plus de 4000 kilomètres de moi, pour réaliser son rêve de rockstar.

— Tu m’as manqué, princesse.

Ses paroles ne sont qu’un murmure dans mon oreille. Il plaque un baiser contre ma tempe et se résout finalement à me lâcher. Il m’ouvre nonchalamment la portière de la Challenger, fier.

— Wouah ! sifflé-je, faisant presque la révérence. Je vois que tu as appris à te comporter en gentleman.

Il secoue la tête avec un sourire, avant de passer du côté passager.

Le chemin vers son appartement me semble rapide. Nous parlons de tout et de rien, de nos vies, si loin l’une de l’autre... Il m’apprend que lui et son groupe, avec qui il se partage le loyer à l’exception de l’un deux, se produisent dans un bar huppé demain soir. Nous ne manquons pas de sujets de conversation, malgré nos nombreuses discussions téléphoniques qui ont fait en sorte que nous n’ayons rien de vraiment nouveau à s’annoncer.

La berline s’immobilise devant un grand immeuble beige, dont le toit de tuiles rouges reflètent les caractéristiques du Sud de Santa Barbara.

— Nous y sommes, déclare-t-il, en ouvrant sa portière pour aller prendre ma valise et mon sac dans le coffre.

Je contemple le bâtiment. Il n’a rien d’exceptionnel, et pourtant, je suis excitée d’y être. J’admire la verdure autour, florissante et empreinte de vie. C’est tellement différent de Savannah, là où nous avons grandis...

Asher m’invite à le suivre dans la petite ruelle étroite qui divise les deux immeubles qui se dressent l’un devant l’autre. Ils sont reliés par une arche fermée et illuminée par d’immenses fenêtres, qui semblent donner un accès intérieur aux deux habitations. Il s’arrête devant l’une des portes, la seule qui ne portent aucun numéro d’appartement. Derrière, un petit escalier serré monte en colimaçon jusqu’à l’étage supérieur. Mon meilleur ami s’y aventure, et je l’y accompagne sans un mot, heureuse de le voir porter mes bagages. Je pousse un soupire lorsque je constate qu’il n’y a qu’un palier à monter, avant de parvenir à l’appartement d’Asher, qui me semble être le seul sur ce niveau. Il pousse la porte d’entrée sans difficulté, malgré mon sac qui lui encombre les bras.

— Fais comme chez toi, m’invite-t-il, en se décalant pour me laisser entrer.

Je suis soulagée de découvrir une vaste pièce presque parfaitement rangée, sauf les quelques assiettes posées sur la table basse du grand salon. La télévision, toujours allumée sur un poste de sport, fait face au canapé de cuir noir qui trône au centre de la salle. Ayant côtoyée Asher pendant les vingt-trois premières années de sa vie, je suis la mieux placée pour savoir qu’il n’est pas le plus ordonné. Semblerait-il donc que, quelqu’un d’autre parmi ses amis, le soit assez pour, ou le persuader de ranger derrière lui, ou le faire à sa place.

— Tes amis ne sont pas là ? m’intrigué-je, analysant le silence total, sauf pour nos deux voix, de l’appartement.

Il secoue lentement la tête.

— Ils sont sortis, annonce-t-il, simplement.

Je tourne la tête pour l’observer. Il ne bronche pas et se précipite pour retirer les assiettes de la table basse. Je ne le lâche pas du regard alors qu’il contourne le muret qui le mène jusqu’à la cuisine, où j’arrive encore à l’apercevoir, la distinction entre les deux pièces se résumant au comptoir du plan de travail, devant lequel se trouve trois sièges rotatifs.

— Tu n’avais pas envie d’y aller ?

Il rit.

— Tu plaisantes ? Tu me crois capable de te laisser venir ici en taxi et passer la soirée seule ?

— J’aurais pu prendre le bus, plaisanté-je, en me penchant par-dessus le comptoir pour mieux l’observer.

Il pose les mains sur le plan de travail et se penche à son tour vers moi. Nos regards s’accrochent l’un à l’autre, et je perçois le sourire qui commence à étirer le coin de sa bouche.

— Encore pire, déclare-t-il. Non, impossible. Et puis, j’avais bien trop hâte de pouvoir te serrer dans mes bras, après une si longue séparation.

Comme pour confirmer ses paroles, il me retrouve de l’autre côté du comptoir pour attraper ma taille et me ramener contre son torse, s’appuyant sur l’un des trois sièges noirs. Son odeur me percute de plein fouet; c’est le parfum que je lui ai acheté il y a de cela des années... Il ne l’a jamais changé. Et c’est un délice.

— Viens, je te fais visiter.

Brusquement, il prend ma main et me tire jusqu’à la porte située entre le salon et la cuisine. Il s’agit de la salle de bain. Je m’abstiens de jubiler au moment où je perçois l’énorme baignoire sur pied installé devant la douche. Je sais déjà que, dès ce soir, je délaisserai Asher pour profiter de cette merveille... Le reste de l’appartement est immense. Ça ne devrait pas être une surprise; trois hommes y demeurent.

La chambre d’Asher est à gauche de la cuisine. J’y reconnais parfaitement mon meilleur ami. Aucune couleur, aucune décoration, et aucune photo. Aucune, sauf l’unique cadre doré posé sur l’un des meubles au fond de la pièce. Devant, j’y reconnais un ourson en peluche vert, l’unique parcelle colorée où mes yeux se posent. Je me souviens encore du moment où il l’avait trouvé; nous étions tous deux devant l’une de ces machines à pinces où il faut pêcher des peluches... Nous nous étions acharnés à faire descendre cette peluche dans la trappe du jeu. Il avait été d’autant plus difficile de parvenir à gagner la mienne, similaire en rose, qui se trouve présentement dans ma valise, d’ailleurs. En m’approchant, j’identifie la photo affichée dans le cadre. C’était lors de mon vingt-et-unième anniversaire. Je venais tout juste d’atteindre la majorité, et c’était notre toute première sortie légale dans un bar de Savannah. Asher avait son bras autour de mon cou, la joue collée contre ma tempe, et fixait la caméra de son éternel regard inaccessible. Je tenais à peine debout, c’était uniquement l’étreinte de mon meilleur ami sur ma taille qui m’obligeait à rester droite. Éprise d’un fou rire, je regardais une amie, hors champ, la gorge déployée et les doigts agrippant fermement le bras d’Asher.

— J’adore, avoué-je, en me tournant vers lui.

Il lève les yeux au ciel, avant de me diriger vers ma chambre pour les prochaines semaines. Elle n’avait rien d’exceptionnelle, encore une fois, mais je m’y sentais déjà chez moi. Bien plus qu’à Savannah, où j’avais pourtant vécu toute ma vie... J’étais désormais prête à la laisser derrière moi et m’en construire une nouvelle, ici, près de la seule personne qui n’ait jamais réellement compté pour moi.

— Que veux-tu faire ce soir ? me demande Asher, une fois ma valise vidée et impeccablement rangée dans les tiroirs à ma disposition.

Je m’installe à l’autre bout du canapé, mes jambes confortablement posées sur ses cuisses. Il attrape mes pieds de ses grandes paumes, plus chaudes et plus fermes que dans mes souvenirs. Lorsqu’il se met à masser mon talon, je pousse un gémissement et balance la tête en arrière.

— Je tuerais pour une pizza, soufflé-je, en baissant les yeux dans sa direction.

Nos regards se croisent. Le sourire en coin à ses lèvres ne disparait pas alors qu’il continue de m’épier, avant de hocher la tête.

— Entendu, marmonne-t-il, avant d’attraper son téléphone et de délaisser mes pieds.

J’avale le grognement qui nait dans ma gorge, frustrée d’en avoir terminé avec le massage absolument exquis qu’il était en train de réaliser à mes pauvres talons. Il ne me pose aucune question avant de commander à manger; il sait.

Lorsque la pizza arrive, Asher et moi nous installons devant la télévision pour sélectionner un film et manger dans le salon, comme nous le faisions souvent en douce dans le sous-sol de mes parents. Ils détestaient les miettes de nourriture sur le canapé, mais ce qu’ils détestaient par-dessus tout... c’était Asher. Dès l’instant où il m’avait envoyé la main devant la maison où j’avais vécu ma première beuverie, et où mes parents avaient dû venir me chercher à cinq heures du matin après m’avoir cherché toute la nuit, ils l’avaient haï de toutes leurs âmes. S’ils avaient pu me séquestrer dans ma chambre pour que je ne le revois jamais, ils l’auraient fait. Et pourtant, dix ans plus tard, nous voilà encore assis tous les deux à manger de la pizza devant la télévision. Et où sont-ils, eux ?

Asher interrompt ma pensée en encerclant ma taille de ses bras pour me coller contre son torse et jouer avec mes cheveux. J’adore quand il fait ça... Ça m’avait tant manqué. Nos discussions jusqu’à pas d’heure aux téléphones étaient bien, mais rien n’aurait jamais égalisé la chaleur du corps de mon meilleur ami contre le mien, avec ses longs doigts vagabondant dans mes cheveux.


Texte publié par AlisaJoyConnor, 15 juin 2023 à 16h22
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