Il y a maintenant six mois, je me suis embarqué pour le nouveau monde. Plein d’espoir, j’ai acheté un navire, un fameux trois mats, et j’ai recruté un équipage. Nous avions tous le même rêve : l’Amérique. Une terre inconnue à explorer. Une grande aventure, nécessitant motivation et surtout témérité : de grands dangers nous attendaient, à commencer par les tempêtes. Plusieurs fois, l’océan s’est déchaîné sur notre bateau. Beaucoup de mes hommes ont péris, tombés à l’eau. Ensuite est venue la famine : alors que le voyage approchait de sa fin, nous n’avions plus rien. Nous avions embarqué des caisses de légumes, d’œufs et de céréales, mais petit à petit, elles se sont vidées. Une cinquantaine d’hommes moururent de faim. Moi, je tenais bon, luttant contre mon estomac qui me torturait. Mais la famine et les souffrances me firent tomber gravement malade. Néanmoins, je m’obstinais à rester debout, sachant que les quelques marins restant avaient besoin de leur vaillant capitaine.

Un matin, un matelot me réveilla en criant « Terre ! ». Malgré ma fièvre, je bondis hors de ma couche, le cœur rempli d’une douce vague d’espoir. Au loin, par-delà le bleu de la mer, se dressaient des falaises rouges brique.

- Bronze, plutôt.

Horatio sursauta et leva les yeux du journal. Derrière lui se tenait Joe, son associé.

- Quoi ?

Joe désigna les dernières lignes.

- Des falaises rouge brique, ce n’est pas crédible. Mets plutôt bronze.

- « Des falaises bronze » ? N’importe quoi ! C’est moi l’écrivain ici, alors laisse-moi travailler.

- Peut-être bien que c’est toi qui écris, mais c’est moi qui ait eu l’idée de cette arnaque. Je veux que les gens y croient, alors change ça.

- Bon. « Des falaises rosies par le levant », ça te va ? Comme ça, pas besoin d’évoquer la couleur naturelle.

- D’acc.

Horatio raya les derniers mots et poursuivit.

… des falaises rosies par le levant. « Enfin ! » songeai-je. Le nouveau monde me tendait les bras.