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tome 1, Chapitre 5 tome 1, Chapitre 5

Ses interlocuteurs durent comprendre son trouble, car ils lui laissèrent le temps de récupérer sa contenance avant de poursuivre la conversation. Miss Helen lui tendit l’assiette de petits gâteaux. Elle se laissa tenter et croqua dans un fin biscuit à la pâte dorée et croustillante, qui libéra des saveurs d’orange et de gingembre.

La vieille dame se pencha pour lui tapoter le bras :

« Je sais que ce n’est pas facile, si loin de chez vous, mais vous pouvez avoir l’assurance qu’à la fondation, vous trouverez toujours une oreille favorable ! »

Elle marqua une pause pensive, avant de poursuivre :

« Ce qui me surprend le plus, c’est que vous soyez parvenu à créer des barrières par vous-même. C’est extrêmement impressionnant ! Avez-vous besoin de faire un effort conscient pour les mettre en place, ou est-ce devenu naturel pour vous ?

— La plupart du temps, je n’ai pas besoin d’y penser. C’est un peu comme respirer. Par contre, quand je suis fatiguée ou inquiète, je suis obligée de me concentrer pour les maintenir.

— Si vous n’avez pas reçu d’entraînement formel, il est tout à fait normal que vous vous sentiez parfois dépassée. En attendant que quelqu’un puisse vous prendre en charge à la fondation, je peux vous prêter quelques ouvrages sur la question.

— Ce n’est pas la peine, protesta Hadria, gênée. Je n’aurai pas le temps de les regarder avant de repartir. Nous avons un train à prendre…

— C’est parfait ! Vous pourrez les consulter pendant votre voyage.

— Mais… je ne pourrai pas vous les rendre ! »

Miss Helen écarta l’argument d’un geste de la main, comme si elle chassait une mouche importune.

« N’ayez aucune inquiétude ! Quand vous les aurez terminés, vous n’aurez qu’à les remettre à mister Perdheim, le bibliothécaire du siège. Il me les fera parvenir. »

Hadria comprit qu’il était inutile de résister. Sous sa douceur apparente, miss Helen était une force immuable devant laquelle on ne pouvait que s’incliner.

« … dans ces conditions, ce sera bien volontiers. Je vous remercie.

— Vous verrez, vous ne le regretterez pas ! Même si ce genre de don est quelque chose de très personnel et propre à chacun, il est toujours rassurant de constater que d’autres personnes se sont confrontées à des problèmes similaires, et, surtout, qu’ils y ont trouvé une solution. »

Hadria ne disposait pas du luxe de se montrer sceptique. Elle était prête à prendre toute l’aide qu’on lui présenterait, sans se montrer regardante.

« Eh bien… Dans ce cas, ce sera bien volontiers, miss Helen. Je vous remercie de tout cœur. »

La vieille demoiselle lui adressa un sourire rayonnant :

« Vous verrez, mon enfant, quand vous commencerez à employer votre don pour venir en aide aux autres, vous ne le regarderez plus comme une farce du destin, mais comme une véritable bénédiction ! »

Une bénédiction ? La jeune femme en doutait. Même si elle avait déjà vécu un instant de grâce, quand son talent spécial l’avait aidée à sauver une vie, elle conservait une relation fragile avec cette part d’elle-même. C’était toujours facile de voir le côté positif des choses depuis une position extérieure.

« Pardonnez-moi, miss Helen… demanda-t-elle, non sans une pointe de mesquinerie. Avez-vous vous-même un don ? »

Son hôtesse opina, le visage serein :

« Oui, mon enfant, même si vous devez savoir que ce n’est pas la norme pour les agents de Spiritus Mundi. La plupart d’entre eux sont engagés en raison de leurs connaissances de phénomènes surnaturels, qu’elles soient empiriques ou le fruit d’un travail d’érudition. Pour ma part, je ne peux prétendre à un tel savoir. Je bénéficie d’un talent de guérisseuse, ainsi que d’un léger don d’empathie. Rien de très impressionnant, mais je peux discerner ce qu’éprouvent les gens qui me font face sans me limiter à leur expression et leur attitude.

— Miss Helen a longtemps servi dans notre maison de convalescence à Col-Dormont, expliqua mister White. Il s’agit d’un établissement dans les Alpes suisses, destiné à recevoir nos agents qui ont été blessés – physiquement ou spirituellement – sur le terrain. Elle y était infirmière, mais elle leur apportait également un remarquable soutient moral.

— L’âge venant, j’ai émis le souhait de retrouver ma chère Angleterre, et l’on m’a proposé ce poste. J’ai accepté avec enthousiasme. »

Hadria esquissa une petite grimace :

« Je doute d’être aussi utile à la fondation !

— Détrompez-vous ! s’exclama la vieille dame. Tous les dons ont leur utilité, n’en doutez jamais. À Spiritus Mundi, il en existe des plus singuliers encore que le vôtre. Certains si rares, qu’il n’existe que ou trois possesseurs connus. Vous rencontrerez des talents particulièrement puissants, mais parfois, l’intérêt d’un don n’est pas tant son intensité que l’usage que son possesseur parvient à en faire. Si vous avez réussi à aller si loin par vous-même, je ne doute pas une seconde que vous deviendrez vite experte en la matière !

— Miss Helen a tout à fait raison, renchérit White. Vous devez juste prendre confiance en vous ! »

Hadria ne sut que répondre. Elle ne s’était pas attendu à un soutien aussi inconditionnel , de la part de membres d’une fondation qui lui paraissait toujours comme vaguement menaçante. Les circonstances de son recrutement s’apparentaient à un chantage, même si elle n’en avait rien dit à son père. Durant les semaines précédant son voyage puis lors de la traversée, elle s’était préparée à affronter un monde dans lequel elle ne serait pas la bienvenue, mais dont elle devait tirer autant d’enseignements que possible. Elle ne s’était pas attendu à un discours aussi bienveillant. La jeune femme demeurait vaguement incrédule ; elle devait lutter pour ne pas poser les armes.

Ses interlocuteurs durent percevoir ses doutes et n’insistèrent pas plus ; ils se mirent à échanger les dernières nouvelles de la fondation et de ses agents. Pendant ce temps, Hadria se cala dans son fauteuil et finit son thé, qui commençait à refroidir. La saveur parfumée et légèrement amère, à peine relevée d’une pointe d’agrume, lui sembla étonnement calmante. Elle s’associait à merveille avec la touche épicée et modérément sucrée des biscuits. La jeune femme n’en restait pas moins attentive aux paroles de mister White et de miss Helen, tâchant de glaner toutes les miettes d’information qu’elle pouvait retenir.

« Vous avez vu passer du monde, ces derniers temps ? demanda son guide en se penchant pour prendre un biscuit.

— Non, pas tant que cela. Durant l’hiver, c’est toujours plus calme, comme vous vous en doutez. À l’exception de la nuit des Esprits et de Yule, bien entendu ! Hanna Hope est venu prendre quelques jours de repos ici, après sa dernière mission, qui a été un peu rude pour elle. Malgré tout, elle a vite repris le dessus. Albert Johnson et James Finley sont passés me saluer dans le courant du mois, mais ils ne sont restés que quelques heures… »

Hadria essaya de graver dans sa mémoire ces noms inconnus : après tout, il devait s’agir de ses futurs collègues. Des gens expérimentés, auprès de qui elle ferait figure de novice. Si elle n’avait pas eu connaissance des activités officieuses de la fondation, elle aurait pu s’étonner que certains de leurs missions pussent se révéler dangereuses. D’un autre côté, c’était parce qu’elle avait appris que ces activités existaient qu’elle se trouvait à présent à des milliers des miles de chez elle.

« Et le mois d’avant, poursuivit miss Helen, j’ai eu la bonne surprise de recevoir la visite de John. Je n’aurais pas cru qu’il reprendrait du service aussi vite ! »

White leva les yeux au ciel :

« Vous le connaissez comme moi. Discret, courtois, mais plus têtu qu’une dizaine de mules. Même Erasmus n’a pas pu le convaincre de rester tranquille encore un moment. Comment allait-il ?

— Assez bien, semblait-il.

— Travaille-t-il toujours seul ?

— Oui. Vous savez pourquoi… »

White leva les yeux au ciel :

« Je ne le sais que trop bien. Si ça ne tenait qu’à moi, il aurait été éloigné du terrain. Ses capacités sont trop précieuses pour qu’on le laisse se mettre en danger… »

Miss Helen fit calquer sa langue contre son palais :

« Allons, George, vous savez que c’est grâce à ces capacités qu’il est un agent de terrain aussi remarquable. »

Elle esquissa un petit sourire avant d’ajouter :

« Je doute que nous parvenions à le changer si facilement. »

Hadria sentait l’impatience la gagner ; elle ne connaissait pas cet agent, et sans doute ne ferait-elle que le croiser quand elle intègrerait Spiritus Mundi. Elle se hâta de finir son thé et ses dernières miettes de gâteau, pour se tenir prête dès que le moment de partir serait arrivé.

La jeune femme gardait les yeux posés sur White, en espérant qu’il ne s’attarderait pas plus que prévu. Miss Helen remarqua son attitude avant son guide ; elle tapota le bras de son voisin et lui murmurant :

« Je suis très heureuse de votre compagnie, mais je pense que vous ne devriez pas trop vous attarder… Mieux vaut vous laisser un peu d’avance !

— Vous avez raison, admit l’intéressé avant de tourner vers Hadria. Nous allons devoir prendre congé à présent ! »

La jeune Américaine bondit aussitôt sur ses pieds. La vieille demoiselle s’approcha d’elle pour prendre ses deux mains dans les siennes. Elle plongea son regard clair dans le sien :

« Ma chère enfant, n’hésitez pas à m’écrire pour le faire part de vos impressions, quand vous aurez pris vos marques à la fondation. Je suis certaine que vous aurez des anecdotes passionnantes à me raconter ! Même si j’aime beaucoup cet endroit, je me sens un peu loin du siège. Les nouvelles sont toujours les bienvenues !

— Les nouvelles ou les ragots ? glissa White avec un petit sourire.

La vieille dame tourna vers lui un visage faussement courroucé :

« Comment osez-vous dire des choses pareilles ? Surtout quand c’est vous qui me les rapportez dès que vous venez ici ! »

Son regard pétillant contredisait son ton offusqué.

« Oh, j’allais oublier… »

Elle trottina vers les étagères qui couraient le long du mur pour y choisir quelques ouvrages. Après un instant d’hésitation, elle tira deux volumes reliés de cuir brun et un petit livre couvert de maroquin rouge.

« Voilà, je pense que ceux-ci vont pouvoir vous aider ! Vous aurez de quoi vous occuper pour le reste du voyage et pour les jours qui viendront. Je vais les noter dans mon carnet, pour ne pas oublier que je vous les ai prêtés. N’hésitez pas à en demander d’autres à mister Perdheim. La bibliothèque du siège est bien plus fournie que la mienne, comme vous pouvez vous l’imaginer ! Elle devrait vous plaire, c’est un endroit magnifique ! »

Hadria les glissa dans sa sacoche et se confondit en remerciements. Mister White posa la main sur l’épaule de la vieille femme, pour mettre court à ce flot de paroles :

« Miss Helen, vous avez dit vous-même qu’il était temps que nous nous remettions en route ! »

Les deux voyageurs firent leurs adieux à leur hôtesse avant de quitter la demeure. Hadria sentait les deux livres peser dans son bagage : même si elle n’y trouvait pas toutes les réponses, elle parviendrait peut-être comprendre ce que la fondation attendait d’elle. Ce fut avec une assurance nouvelle qu’elle grimpa sur le siège passager du fiacre électrique, non sans se demander à quoi ressemblerait la prochaine étape.


Texte publié par Beatrix, 4 octobre 2024 à 00h15
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