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Tandis que la vieille dame poursuivait seule la discussion, Hadria reporta son intérêt sur le va-et-vient des véhicules qui embarquaient voyageurs et bagages vers leur future villégiature. Avec étonnement, elle remarqua quelques voitures-fardiers, leur chaudière cuivrée crachotant des nuages de fumée ; aux États-Unis, ces engins à vapeur n’avaient jamais fait l’objet d’un grand engouement, contrairement aux fiacres électriques qui commençaient à se généraliser dans les grandes villes. Toutefois, les voitures à cheval restaient le principal moyen de locomotion. Alors qu’elle se tournait vers Ms Harper pour l’interroger à ce sujet, elle vit s’approcher d’elle un homme à l’allure discrète, vêtu d’un long pardessus gris. Une moustache soignée barrait un visage aux traits agréables, mais sans relief.

« Miss Forbes, je présume ? »

Hadria retint un soupir de soulagement : sans se l’avouer, elle avait craint un moment de se retrouver seule sur le quai et de devoir se débrouiller pour gagner Londres par ses propres moyens. Elle aurait certes trouvé moyen de le faire, mais de telles circonstances auraient encore approfondi son sentiment de solitude.

« C’est moi-même », répondit-elle.

L’inconnu souleva son chapeau :

« Ravi de vous rencontrer, miss Forbes. Mon nom est Georges White. J’ai été mandaté par la fondation Spiritus Mundi pour vous accueillir et vous accompagner jusqu’à son siège. »

La jeune Américaine se sentit rattrapée par une vague de méfiance. Elle n’avait jamais voyagé seule avec un homme, à part son père et Hector, son ami d’enfance. Rien ne prouvait que ce White travaillait pour ses futurs employeurs. D’un autre côté, seuls les membres de la fondation étaient informés de sa présence parmi les passagers. Si elle se gardait de ses propres collègues, à qui pouvait-elle se fier ?

Hadria se tourna vers Ms Harper pour lui faire ses adieux. La brave femme serra longuement sa main entre les siennes :

« Miss Forbes, je vous souhaite la bienvenue en Angleterre. Je suis certaine que tout va bien se passer ! »

À peine sa compagne de voyage avait-elle prononcé ces mots que son regard se posa sur une voiture à cheval vert foncé qui venait d’arriver à la hauteur du paquebot. Elle se frayait un passage avec difficulté entre les piétons et les autres véhicules :

« Oh, voici Clarence ! Enfin ! Il faut que je récupère ma malle ! »

À petits pas hâtifs, elle se dirigea vers la voiture. Elle s’arrêta à mi-chemin pour adresser un dernier signe de la main à Hadria :

« Surtout, gardez confiance en vous ! »

La jeune femme regarda s’éloigner avec une pointe de regret la seule personne de ce pays avec qui elle s’était liée. Mister White, qui s’était placé en retrait le temps des adieux, s’éclaircit discrètement la voix :

« Je me suis permis de donner des consignes concernant vos bagages. Ils seront transférés dans le train qui nous conduira à Londres. »

Hadria aurait apprécié de pouvoir un peu se reposer avant de continuer sa route. Non pas qu’elle se sentait fatiguée – le voyage s’était révélé agréable, d’autant que le mal de mer l’avait épargnée, une chance pour une première traversée. Malgré tout, la jeune Américaine aurait voulu prendre le temps de se familiariser un peu avec ces nouvelles terres, de s’habituer aux flux complexes qui les parcouraient avec leur lot de pensées et d’émotions. Si Liverpool la troublait autant, elle avait peine à imaginer ce qu’elle éprouverait une fois à Londres.

La jeune Américaine serra les dents et se redressa. Hors de question de perdre la face ! Elle s’obligea à sourire à l’agent de la fondation :

« Je vous remercie, mister White.

— C’est bien naturel. Vous venez juste d’arriver, et nous tenons à vous assurer le meilleur accueil. Souhaitez-vous que je porte votre sacoche ?

— Je vous remercie, mais cela ne me dérange pas de la garder.

— Je vous en prie. Si vous voulez bien me suivre… »

White commençait à longer le quai, quand il s’arrêta pour se tourner vers elle, la mine grave :

« Miss Forbes… Je sais que les circonstances de votre recrutement et de votre affectation dans un poste aussi éloigné de chez vous ont été pour le moins… brusque. Vous m’en voyez désolé. J’espère malgré tout que vous parviendrez à vous plaire à Londres. »

Hadria opina en silence, ne sachant que répondre. Elle ne s’était pas attendu à ce que White en sache autant sur les circonstances qui l’avaient conduite à intégrer Spiritus Mundi. Même s’il n’était sans doute pas au fait de tous les détails de l’affaire, il avait pris la peine non seulement de s’informer, mais aussi de s’en excuser, alors même qu’il n’avait eu aucune part dans la décision de ce transfert. Dans tous les cas, elle avait reçu la preuve qu’il était bien qui il prétendait être.

La jeune femme se morigéna : pourquoi persistait-elle à se sentir comme une condamnée ? Elle avait eu le choix ! Certes, entre deux solutions drastiques, mais sa présence sur ce sol était autant dû à l’intransigeance de la fondation qu’à son propre désir de saisir une opportunité unique. Au moins l’avait-on envoyée dans un pays dont elle maîtrisait la langue, et dont la culture demeurait proche de celle de son pays natal.

« C’est très aimable de votre part, répondit-elle enfin. Je suis certaine que votre pays possède des charmes que je me plairai à découvrir. »

Ils reprirent leur chemin, louvoyant entre des familles en pleine effusion, des employés de la compagnie maritimes transportant des malles sur des charriots à bras, des voyageurs fraîchement débarqués qui hélaient les fiacres – hippomobiles ou électrique – arrêtés en une longue ligne le long du débarcadère. Si les mots étaient familiers, les accents lui rappelaient qu’elle était une étrangère en ces terres. Le brouhaha environnant, loin de la gêner, la détournait de ses autres perceptions et l’ancraient dans la réalité de ce monde à la fois nouveau et prodigieusement ancien. Aux odeurs classiques d’un port de mer, s’ajoutaient les senteurs caractéristiques du crottin, de la fumée de charbon et de l’ozone.

Hadria observa son compagnon à la dérobée : au-delà de son apparence ordinaire, elle ne pouvait s’empêcher d’apprécier son caractère calme et pausé. Sous son pardessus, elle devinait une carrure athlétique. La jeune femme se demanda si son escorte possédait des capacités inhabituelles ou un don surnaturel qui justifiait son appartenance à la fondation. Elle se retint de l’interroger, de peur de se montrer indiscrète.

« Nous arrivons à mon véhicule », déclara White en désignant un engin d’un noir luisant.

Garé en retrait, au détour d’un entrepôt, se trouvait un fiacre électrique du dernier cri. Hadria le contempla avec surprise : elle ne s’était pas attendue à ce qu’une fondation ésotérique, basée dans un vieux royaume européen et sans doute bien plus préoccupé d’antique savoir que de technologies nouvelles, employât ce genre de véhicule. Elle contempla le museau luisant, l’habitacle carré et les larges roues à rayons, non sans un peu d’appréhension.

La jeune femme n’avait jamais eu l’occasion de monter à bord d’un de ces engins, et redoutait un peu l’expérience. Elle n’était pas sans connaître les rumeurs qui courraient surs les dangers supposés des véhicules à propulsion électromécanique, même s’ils étaient sans doute exagérés. Tant que la turbine restait au repos, on pouvait sans souci les approcher, voire les toucher, mais dès qu’on la mettait en marche, il valait mieux éviter de se frotter aux parois extérieures, surtout par temps de pluie. Pour le reste, voyager à une allure de trente miles par heure ne présentait pas un risque particulier, quand les chevaux et même les trains filaient bien plus vite.

Mister White la regarda avec une attention non dénuée d’amusement. Hadria avait l’impression qu’il pouvait lire à livre ouvert dans son esprit. Confuse, elle détourna la tête.

« Pouvez-vous me passer votre bagage, afin que je range dans le coffre ? » demanda son escorte.

En silence, elle lui tendit la sacoche, qu’il posa dans une sorte de malle métallique fixée à l’arrière du fiacre. Il en verrouilla le couvercle avant d’ouvrir la porte du côté passager :

« Si vous voulez bien monter… »

La jeune femme grimpa dans l’habitacle et s’installa sur le siège, un peu raide. White referma la portière avant de se glisser derrière le volant.


Texte publié par Beatrix, 24 septembre 2024 à 21h49
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