Tous se fissuraient et se brisaient pour Eliáš, il ne savait plus en quoi il devait croire ni en qui il pouvait avoir confiance. Il aurait pu s’apitoyer des heures sur son triste sort, mais au fond il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même : il avait été si naïf.
- Je dois me reprendre ! s’encouragea-t-il.
Il devait assumer ses choix, ses erreurs et poursuivre la mission que la confrérie lui avait confiée. C’était la seule solution pour garder un semblant de contrôle et éviter à Taylor un sort tragique.
Il entra dans le Daemonium et se fraya un chemin à travers la foule avec précaution : la semaine appartenait aux démons au vu de la chaleur insoutenable qui y régnait et des fontaines de lave installées aux quatre coins de la boîte de nuit. Eliáš était sur le qui-vive, sa main serrait le manche de sa dague avec la ferme intention de la dégainer aux moindres signes de danger. Sauf qu’il se trouvait au Daemonium, ici il n’y avait plus de guerres ni de clans. Il rejoignit quand même la zone démoniaque avec crainte : allait-il perdre la vie de la main du plus puissant démon ? Le doute planait et lui nouait l’estomac. Un démon sentinelle l’observa attentivement, puis lui ouvrit la porte et il entra dans la pièce insonorisée où le roi d’As observait ses sujets s’amuser sur la piste de danse à travers la vitre teintée.
- Eliáš Novotný, la confrérie t’envoie faire le sale boulot ? Pauvre toutou, ironisa-t-il.
Eliáš grinça des dents, mais ne donna pas au démon le plaisir de sa répartie. Il ne comptait pas entrer dans son jeu ni se laisser impressionner.
- Mon temps est précieux, théurgiste. Si tu as quelque chose à dire fait le maintenant ou part.
Il se mordit la lèvre inférieure avec nervosité : il était encore jeune et se sentait écrasé par l’aura du démon. Il respira profondément et fit le vide en lui, comme lui avait appris la confrérie.
- Cela concerne Taylor, annonça-t-il d’une voix blanche.
L’attention d’Ades fut immédiatement accaparée.
- Je t’écoute.
- Taylor t’utilise pour obtenir un démon venin.
- À qui crois-tu avoir affaire ? Tu oses prétendre qu’une théurgiste peut m’utiliser !
Le démon s’était rapproché, menaçant. Il était grand, bien plus grand qu’Eliáš, mais il reprit sans se laisser impressionner.
- Interdis-leur de s’entretenir avec elle, en aucun cas ils devront l’aider.
- Pourquoi ferais-je ça ? répondit Ades agacé.
- La confrérie l’ordonne.
- Vous semblez tous oublier que je n’ai de comptes à rendre à personne. Le roi d’As n’est en aucun cas soumis ! répliqua-t-il avec autorité.
Eliáš déglutit et l’envie de fuir la prit avec une telle force qu’il eut du mal à résister. Les yeux du démon s’enflammèrent et il se sentit aspirer par eux, par les flammes qui dansaient avec ardeur.
- Tu diras à ta chère confrérie qu’ils peuvent aller brûler ! s’énerva Ades. S’ils me renvoient un autre toutou pour me donner encore un ordre, je les exterminerai jusqu’au dernier et j’y prendrai beaucoup de plaisir, sois-en sûr !
Eliáš se crispa de peur, chaque fibre et muscle de son corps tremblèrent face à la puissance et l’aura écrasante du démon, au point qu’il était prêt à mettre genou à terre et à le supplier.
- Je…je…, balbutia-t-il sans réussir à formuler une pensée cohérente.
Ades plongea dans son regard et laissa le pouvoir de ses flammes se frayer un chemin à travers ses yeux jusqu’à atteindre son esprit. Une fois à l’intérieur, ses pensées, ses souvenirs et ses peurs lui étaient accessibles. Ades s’en abreuva, alors qu’Eliáš essayait de le repousser, mais il était trop faible et s’il persistait à résister, il perdrait la vie. Le démon sourit, puis se retira de lui-même.
- Le toutou a du mordant ! Maintenant tu vas m’expliquer le lien entre la confrérie, les démons venins et Taylor, ordonna-t-il.
Eliáš ne pouvait qu’obtempérer, conscient de la menace. Il n’était pas rassuré à l’idée d’être en sa présente, mais peut-être pouvait-il trouver en lui un puissant allié capable de protéger Taylor ? Était-il vraiment désespéré au point de confier la sécurité de son amie à son pire ennemi ? Il devait admettre que oui, il l’était.
- Il y a huit ans, reprit-il malgré lui, les théurgistes tchèques ont été appelés pour venir en aide aux théurgistes polonais qui subissaient une importante attaque. Taylor a été gravement blessée sur le champ de bataille par des démons venins. La confrérie l’a sauvé de justesse, mais une quantité importante du poisson est restée dans son organisme. Les entailles ont que partiellement cicatrisé et Taylor est sujette à des rejets de venin qui la font atrocement souffrir, résuma Eliáš en essayant de ne montrer aucune émotion, bien qu’il se sentait terriblement désolé pour son amie.
- Le venin n’est pas fait pour rester dans un organisme, elle aurait dû mourir depuis longtemps, déclara Ades.
- Tkeg la maintient en vie avec ses plantes. Il y a peu, il a avoué à Taylor que seul un démon venin pouvait retirer le poison restant. Depuis, elle cherche désespérément un moyen d’en attirer un pour qu’il la soigne.
- J’espère que tu as conscience que ça ne tient pas la route ?
Eliáš regarda le démon sans comprendre et Ades grogna devant son manque de lucidité.
- La confrérie affirme qu’ils ne peuvent pas la soigner complètement. Ensuite, ils lui disent que seul un démon venin peut retirer le poison dans son organisme. Pour finalement t’envoyer m’interdire de l’aider à en obtenir un. Rien ne t’interpelle ?
- Je…
Il réfléchit et remarqua l’absurdité de la situation, en effet rien n’avait de sens. Pourquoi avoir indiqué à Taylor une solution pour finalement l’empêcher de l’obtenir ? Quel était le but de cette machination ? Eliáš se remémora ses nombreuses entrevues avec la confrérie, car un détail avait dû lui échapper.
- Bien sûr ! s’exclama-t-il soudainement.
Il avait totalement été berné. La confrérie avait perçu sa naïveté, sa stupidité et s’en était servi pour l’endormir et le manipuler. Il avait bu leurs paroles sans jamais les remettre en doute. Il s’était cru privilégié et tellement intelligent. Il se sentait à présent pathétique.
- La confrérie ne veut pas que Taylor guérisse de sa blessure même si elle en souffre, parce qu’elles sont la porte qui a mené le démon à entrer dans sa tête, à faire un pacte avec elle et à se sacrifier pour elle. Sauf que ça va tellement plus loin !
- Quel démon ? demanda Ades, mais il n'obtint aucune réponse, car Eliáš était plongé dans ses réflexions.
- Refermer la porte pourrait avoir un impact sur ses pouvoirs et la confrérie ne peut pas prendre ce risque. Néanmoins, ils lui ont tout de même donné la solution…
- Abrège théurgiste, s’impatienta Ades.
- … Ils savaient qu’elle était prête à tout pour guérir et en lui annonçant que ses jours étaient comptés, la confrérie s’assurait que Taylor allait se précipiter pour trouver un démon venin, et donc venir à toi, dit-il fièrement en regardant le roi d’As.
- La raison ? demanda-t-il en essayant de comprendre où il voulait en venir.
- La confrérie œuvre uniquement dans le but de réaliser les prophéties. Ils poussent Taylor à voir en toi sa seule et unique solution, et le rôle de Samuel a été de l’appuyer dans ce sens. La confrérie avait déjà tout prévu dans les moindres détails depuis des années.
Eliáš était sous le choc : les membres originels l’avaient berné au même titre que Samuel et probablement de tant d’autres personnes. Il se demanda si la bataille de Pologne n’était pas de leur fait. Ils étaient capables de l’avoir engendrée pour assurer la prophétie. Eliáš ouvrit enfin les yeux sur ce qu'était réellement la confrérie, sur ce qu’ils étaient prêts à faire. Il ne voulait plus participer à leurs machinations, il ne voulait plus faire partie de la confrérie, mais il ne pouvait pas partir aussi facilement, pas tant que Taylor était en danger.
- Ne fais pas confiance à la confrérie.
- Je ne leur ai jamais fait confiance, contrairement à toi, répondit-il d’une voix tranchante.
- Tout ce qu’ils font pour réaliser la prophétie, c’est… Écoute, reprit-il, il faut que tu veilles sur Taylor, tu dois la protéger, car rien ne doit lui arriver.
Ades regarda le théurgiste avec un sourire taquin.
- Tu es amoureux d’elle.
- Ça…je… c’est compliqué.
Eliáš baissa la tête, honteux. Oui, il aimait Taylor. Il l’avait toujours admiré et idéalisé. Il était tellement jaloux de son frère, alors qu’il savait que leur lien était purement amical, sauf que ça ne changerait rien au fait que lui ne pourrait jamais avoir une relation aussi forte avec elle. À ses yeux, il serait toujours le petit frère de son affect.
- De quel démon parlais-tu ?
- Hm ?
- Tu as dit que Taylor avait passé un pacte avec un démon. Lequel était-ce ?
- Un démon Shadow.
Eliáš fit les muscles d’Ades se contracter et la fureur apparaître dans ses yeux.
- Un problème ? osa-t-il lui demander.
- Il y a qu’un seul et unique démon Shadow et je l’avais banni. Si je le retrouve…
- Il est mort.
Ades sourit et Eliáš sentit son aura écrasante l’engloutir au point qu’il crut disparaître.
- Shadow ne meurt jamais, grogna-t-il. Je vais devoir m’occuper de son cas. Tu devrais rentrer chez toi, théurgiste, et parler à Taylor de tout ce que tu sais.
- Pourquoi ?
- Parce que je te l’ordonne ! s’énerva-t-il.
- Qu’est-ce que tu y gagnes ?
Il rit, mais ne répondit pas, puis regarda le théurgiste et disparut dans un cercle de flammes. Eliáš soupira, heureux d’être libéré de sa présence. Il trouvait malgré tout Ades intéressant et cet échange lui avait été gratifiant. Maintenant, le plus dur l’attendait : parler à Taylor et à Lev.
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