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Eliáš était allongé sur le toit de la Cathédrale et repensait à ce que la confrérie lui avait appris et ce qu’elle pouvait encore lui apporter. Au cours de son apprentissage pour devenir membre de la confrérie, il avait appris l’origine de ses membres : ils avaient vu le jour alors que le monde était plongé dans une terrible guerre opposant les peuples fondateurs du bien et du mal. Ils étaient apparus vêtus de leur longue robe et avaient rétabli l’ordre grâce à leur extraordinaire pouvoir. Les divers peuples les prirent pour des sauveurs, des dieux, des êtres œuvrant pour le bien, mais ils se trompaient. La confrérie était neutre, elle ne se pliait pas plus au bien qu’au mal, elle croyait aux prophéties et faisait tout pour les réaliser et d’obtenir une paix durable, un équilibre. Les trois membres avaient vu le jour un millénaire plus tôt : ils avaient renoncé à leur vie humaine, à leur identité et à leur humanité pour devenir les théurgistes originels.

Axizrd était le maître de l’air et des rêves, il était apaisant et sage. Cependant, il n’avait pas toujours été ainsi. Dans une vie lointaine et effacée depuis longtemps, il avait été Raiden, un humain à l’âme austère et à l’esprit terni. Dans une nuit de tempête, il s’était suspendu au mât d’un navire et, le cœur en pleure, s’était laissé sombrer dans les abimes de l’océan. La magie des théurgistes naquit de sa souffrance et le porta au gré des courants. Son chagrin amena la réflexion, puis des questions auxquelles nul n’avait les réponses. Raiden avait délaissé son cœur meurtri aux mains de l’océan qui l’emporta au loin. Les vagues tumultueuses l’avaient alors soulevé et la tempête de vent avait emporté son humanité et les souvenirs qui le liaient à cette vie passée. Tantôt brisé, tantôt reconstruit. Tantôt assombri, tantôt léger. Tantôt humain, tantôt théurgiste. Raiden était devenu Axizrd, le théurgiste à l’âme blanche.

Eliáš avait été touché par son histoire. Il n’avait jamais ressenti une douleur au point de vouloir mettre fin à sa vie, mais il respectait malgré tout la décision que Raiden avait pris, car ça lui permit de devenir Axi.

Lorsque Tkegrdeg lui fit part de son passé, le jeune apprenti en fut fasciné. En tant que théurgiste fondateur, Tkeg était le plus tourmenté des trois. Il était le plus distant et n’aimait pas parler, cependant son pouvoir était régulièrement requis et donnait une image contraire à sa véritable personnalité. Au fil des siècles, Tkeg dû apprendre à aller au-delà de ce qu’il était, ce fut un long et périlleux combat qu’il dut faire seul. Il avait révélé à Eliáš qu’il se prénommait autrefois Téméraire, mais ne lui apprit rien d’autre. Il possédait le pouvoir de la terre et se souvenait de sa vie antérieure dans les moindres détails. Il était le messager des temps anciens et des temps oubliés. Il était la mémoire de la terre et le précurseur des temps nouveaux. Le pouvoir qu’il possédait était grand et majestueux, mais également signe d’un profond tourment. Le passé et l’avenir animaient en permanence son esprit jusqu’à le rendre fou, mais Tkeg était l’élue de la terre, seul lui pouvait contrôler ce flux incessant. Eliáš avait vu le théurgiste sous un nouveau jour et le comprenait à présent mieux. Par respect, il n’avait pas cherché à savoir comment Téméraire était devenu Tkegrdeg, le théurgiste à l’âme vert.

Le troisième et dernier membre de la confrérie était sûrement celui donc Eliáš se sentait le plus proche. Mroyrdtk était une mage noire dont son pouvoir était relié à la mort. Son armée d’ombrageux étaient ses yeux, ses oreilles et ses instruments. Nul n’avait connaissance de l’ampleur de ses pouvoirs. Dans un passé lointain, elle était Lux, une jeune femme pétillante, pleine de vie et toujours prête à aider ceux dans le besoin. Le pouvoir qui lui avait été destiné allait à l’encontre de tout ce qu’elle était. C’était un choix étrange, mais nécessaire à l’équilibre des éléments et de la confrérie. Eliáš n’avait pas su comment elle était devenue Mroy, la théurgiste à l’âme noire. Il semblait qu’elle-même l’ignorait.

À présent, il sentait qu’un choix crucial lui serait demandé, il avait conscience qu’il ne pouvait pas être un simple théurgiste au Centre et membre-apprenti de la confrérie. Il devait choisir et même s’il savait qu’une place l’attendait auprès des membres originels, il ne pouvait s’empêcher d’avoir des doutes. Devenir membre-apprenti à temps plein signifiait de devoir renoncer au Centre, à son frère, à ses amis et à sa part d’humanité. Pour devenir un membre de la confrérie, il allait devoir à un moment donné laisser sa part humaine derrière lui et avec elle ses émotions, ses sentiments et tout ce qui faisait de lui un théurgiste. C’était une décision difficile et pénible, mais avait-il réellement le choix ? Lui laissera-t-on le choix ? Il en doutait, son humanité était sa contribution au monde et il devait la laisser s’en aller.

Eliáš quitta le toit du Centre, son temps de réflexion était écoulé, il devait aller rendre compte à la confrérie : Samuel l’avait contacté et il était retourné au pub pour écouter le vampire lui relater son échange avec Taylor. Il aurait dû aller immédiatement au cimetière, mais il avait ressenti le besoin d’être seul pour réfléchir.

Il descendit les étages la mine sombre redoutant la suite des évènements, car les blessés et les morts seraient inévitables et il s’inquiétait pour son frère et Taylor.

- Un entraînement, ça te dit ?

- Tu n’as pas peur de perdre, Taylor ?

Elle donna un coup de poing amical dans l’épaule de Lev et ils rirent. Eliáš les observa et eut un pincement au cœur : la jalousie était une émotion qu’il avait trop de fois expérimentée, elle était puissante et il ne parvenait que rarement à la contenir et à l’enfouir en lui. Il reprit son chemin et les vit entrer dans une salle d’entraînement le sourire aux lèvres, tandis que lui quittait le Centre en direction du cimetière.

Dans la grotte, Eliáš découvrit qu’Axi et Tkeg.

- Mroy n’est pas là ? s’enquit-il.

- Ses ombrageux réclamèrent sa présence.

Le théurgiste ne pose pas plus de questions, si la confrérie avait voulu lui faire part d’éléments importants elle l’aurait fait. Il but l’eau que lui tendit Axi et mangea les herbes que lui donna Tkeg. Mroy n’étant pas là, ils ne purent s’assurer complètement de la pureté de son esprit, mais ils passèrent outre, car le temps était compté.

- Samuel Panenka a accompli sa mission, je viens vous rendre compte.

- Nous t’écoutons Eliáš.

- Taylor a avoué rester auprès d’Ades dans l’unique but d’obtenir un démon venin pour retirer le poison dans les entailles de son dos.

- Le poison présent dans son organisme est la porte qui a permis à Shadow d’entrer dans son esprit. Ainsi que de se sacrifier et de donner sa puissance à la théurgiste Taylor Masaryk. Sans ce poison, la prophétie pourrait en être bousculée.

Eliáš se crispa. Il savait que la confrérie avait joué un rôle important dans bon nombre d’évènements liés à Taylor, mais il avait naïvement pensé que ses blessures étaient uniquement dues à la malchance.

- Vous avez délibérément laissé le venin dans son corps alors que vous pouviez le retirer, s’énerva Eliáš. Vous la laissez souffrir depuis toutes ses années simplement pour satisfaire vos croyances ?

- La prophétie Eliáš, nous agissons toujours et uniquement dans le but de la prophétie.

Pour la première fois, il en doutait. La confrérie œuvrait peut-être pour les prophéties, mais les trois membres n’hésitaient pas à faire souffrir, voire même à tuer pour arriver à leurs fins. Eliáš n’aimait pas cette façon de faire. Pour lui la vie avait un sens, une valeur et elle ne pouvait pas être retirée simplement parce qu’une prophétie le décidait. Il ne supportait pas de savoir Taylor souffrir à cause de la confrérie, mais il savait aussi que la souffrance qu’elle endurait était pour servir l’humanité et sauver le destin du monde. Cela en valait-il la peine ? Il ne savait plus.

- Eliáš, il te faudra d’entretenir avec le roi d’As. Tu lui soumettras la décision de la confrérie d’interdire aux démons venins de venir en aide à la théurgiste Taylor Masaryk.

-Bien, répondit Eliáš absent.

Il était pris entre sa raison et son cœur, il connaissait l’enjeu de la prophétie, l’importance de sa réalisation, mais son cœur lui dictait d’aller la rejoindre et de rester auprès d’elle pour la protéger.

- As-tu appris autre chose ? demanda Axi.

- Il semblerait que le lien d’affect entre Taylor et Lev soit en cours de reconstruction. Est-ce un problème pour le bien de la mission ?

- Aucunement, le lien n’a pas le pouvoir d’engendrer un déséquilibre dans la prophétie.

Eliáš ressentit encore cette terrible jalousie lui serrer le cœur et développer des sentiments négatifs à l’encontre de son frère. Il fit le vide en lui, puis s’inclina auprès des deux membres et quitta le cimetière. Une nouvelle mission l’attendait, mais il ne savait plus comment agir. Était-ce la meilleure chose à faire ? Le destin du monde était-il réellement entre les mains de Taylor ou était-ce encore un plan de la confrérie ? La confiance était une notion bien abstraite, Eliáš se rendait compte qu’il n’était rien de plus qu’un pion sur l’échiquier géant des trois membres originels. Avaient-ils seulement l’intention de faire de lui le prochain membre officiel ou allaient-ils simplement le tuer une fois son rôle joué ?