La nuit venait de tomber et la cloche à l’entrée du pub U Sadu ne cessait de tinter. Les vampires venaient y retrouver leurs semblables autour d’une pinte de sang pour s’adonner à une vie moins solitaire. Le pub avait été repris par Vladimir et offrait une sensation de communauté et de réconfort au peuple vampirique. Depuis une décennie, le clan des Terres Sacrées voyait son effectif grandir faisant d’eux le plus grand clan de la région.
Samuel avait été recueilli par Vladimir un siècle plus tôt alors qu’il venait d’être transformé en vampire contre son gré. À l’époque, il était un jeune homme de vingt-trois ans qui vivait confortablement. Un soir, après avoir rejoint des amis dans un bar de la ville, il fut interpellé par des hurlements et des pleurs. Il avait pensé appeler à l’aide, mais la rue était vide et les maisons alentour toutes endormies. Les cris avaient redoublé et il s’était approché pensant qu’il s’agissait simplement d’un homme brutalisant une femme, comme ça arrivait trop souvent. Il avait vu deux hommes tenir quelqu’un par les bras, puis une femme mordre le cou de la pauvre victime. Il avait voulu fuir, mais jamais il ne s’était douté que ces personnes n’étaient pas humaines. Son jeune esprit avait toujours pensé que les humains étaient les seuls êtres peuplant la planète, il avait eu tort et avait été encerclé en quelques secondes. Il avait d’abord tenté de s’échapper, mais c’était finalement résigné en sachant que sa vie allait être achevée. Les vampires avaient joué avec lui, l’avaient mordu à de nombreuses reprises et avaient bu une importante quantité de son sang. À aucun moment il n’avait perdu connaissance, il avait même trouvé une certaine plénitude à se faire mordre, mais très vite cette sensation avait été remplacée par la souffrance qui brisait même les hommes les plus forts. Une fois les vampires rassasiés, Samuel avait été abandonné dans la rue, tel un ivrogne. Il s’était vu mourir, il aurait aimé mourir, mais ses paroles ne furent jamais entendues. Le temps s’était écoulé et sa souffrance n’avait fait qu’augmenter jusqu’à sentir son sang arrêter sa course folle dans ses veines, puis ses poumons libérer toutes l’air qu’ils contenaient et son cœur s’arrêter dans un dernier soupire. Il avait assisté à sa transformation en vampire et une fois les modifications achevées, il s’était senti plus fort, tandis que sa vision et son ouïe s’étaient aiguisées et son odorat développé. Puis était venue la soif de sang, elle lui avait perforé l’abdomen et avait brûlé sa gorge. Ce puissant instant primaire auquel il s’était opposé et de nouveau, l’envie de mourir l’avait envahi, il avait pensé pouvoir y arriver s’il ne se nourrissait pas, mais le destin en avait décidé autrement.
Vladimir était un jour apparu devant lui. Samuel n’avait pas pris la peine d’ouvrir les yeux, il s’était douté qu’un de ces agresseurs reviendrait l’achever, mais l’homme s’était présenté en parfait gentleman. Il lui avait expliqué sa nouvelle condition et les conséquences de ses actes, puis il lui avait tendu une poche de sang. Samuel l’avait regardé avec horreur, ne voulant pas boire ce liquide, ne voulant pas devenir le même monstre que ceux qui l’avaient transformé. Vladimir lui avait dit qu’il se sentirait mieux après ça, que la douleur s’arrêterait. Il l’avait cru, mais rien de tout ce qu’il lui avait dit ne s’était produit. Le sang avait coulé dans sur sa langue, avait envahi sa gorge devenue trop sèche et le liquide avait continué son chemin jusqu’à ses entrailles. Sa faim avait été rassasiée et la douleur qui l’accompagnait avait disparu, mais de nouvelles étaient apparues. D’abord la culpabilité pour avoir bu le sang d’un être humain, puis le dégoût envers le monstre qu’il était devenu et enfin la haine accompagnée de la dépression.
Samuel avait vécu le dernier siècle dans une profonde agonie dont personne ne pouvait l’en sortir. Il n’avait jamais accepté sa condition, même aujourd’hui après tant d’années. Le traumatisme engendré par cette nuit était gravé en lui et son immortalité ne faisait qu’accroître sa souffrance. Vladimir essayait de l’aider et il y avait du mieux, mais il restait bloqué dans son passé. Il ressassait beaucoup, assit par terre le dos contre son lit, et ce soir ne faisait pas exception. La faim le tiraillait, il attendait toujours le plus longtemps possible avant de boire du sang. La dernière fois remontait à la visite de Taylor, elle lui avait offert son sang et il n’avait pas pu y résister, son odeur était puissante et enivrante.
La cloche du pub retentit de nouveau et le vampire eut l’espoir que ce soit elle, mais à l’odeur il sut que ce n’était pas sa théurgiste. Il développa son ouï et entendit ses confrères dans les chambres à côté de la sienne, il passa son chemin et descendit jusqu’au rez-de-chaussée. Là, les conversations lui parvinrent, il les repoussa pour se concentrer sur les pas du théurgiste, sa respiration et sur son cœur alimenté par son sang.
- Vladimir, je dois voir Samuel.
La réponse ne lui parvint pas. Vladimir avait un pouvoir supérieur, il pouvait obstruer sa présence jusqu’à disparaître. Dans les premières années de sa nouvelle existence, Samuel avait occupé son temps à l’espionner, mais chaque fois qu’il entendait ses pas sur le parquet ou les mots d’un ancien temps prononcé de sa voix profonde et puissante, il disparaissait. Il lui avait demandé comment il faisait, sans jamais obtenir de réponses.
En moins d’une minute, le théurgiste annonça sa présence derrière la porte et entra dans la chambre du vampire qui se leva pour faire face à Eliáš.
- Salut.
- Salut, Samuel. Comment vas-tu ?
Toujours la même question dont il avait pris l’habitude de ne plus y donner de réponse. Il lui tourna le dos et alla mettre un tee-shirt qui traînait sur son lit.
- Qu’est-ce qui t’amène ? lui demanda-t-il.
Eliáš s’appuya contre la porte et croisa les bras sur sa poitrine.
- La confrérie a besoin de toi, déclara-t-il accaparant toute son attention.
Samuel avait rencontré pour la première fois la confrérie quelques décennies après sa transformation. Les trois membres lui avaient expliqué pourquoi ils étaient là et ce qu’ils attendaient de lui.
« Le moment venu, tu accompliras ta mission pour que la prophétie puisse un jour voir le jour, vampire Samuel Panenka. »
Il avait accepté de les aider, mais au fil des années il avait oublié leur existence. Puis un jour, ils lui avaient confié une mission : le vampire avait dû sortir du pub et vagabonder dans les rues de Prague à la recherche de la clé, une femme d’un jeune âge dont l’arrogance lui avait fait oublier qu’elle n’était pas la seule créature peuplant ce monde. Samuel avait dû l’observer et la suivre en toute discrétion jusqu’au moment opportun : Taylor avait eu le malheur de prendre une ruelle sombre où des vampires assoiffés patientaient en quête d’une proie. À cet instant, les souvenirs de Samuel s’étaient ravivés et son esprit avait rejoué le dernier soir de sa vie humaine. Il s’était perdu dans son passé douloureux, mais était finalement revu à la raison à temps pour sauver la clé des crocs de ses semblables, pour sauver Taylor. Il l’avait raccompagné à son domicile, au Centre des théurgistes, et depuis cette nuit-là, ils étaient devenus amis.
La confrérie l’avait remercié pour son aide, bien qu’à l’époque le vampire n’avait pas compris les bénéfices de son intervention. En voyant Eliáš devant lui, il comprenait : il n’avait pas été approché par les théurgistes originels uniquement pour sauver Taylor, sa véritable mission était celle qu’Eliáš allait lui confier et peu importe ce qu’il devait faire, Samuel était prêt à tout pour son amie, car elle était la clé et que rien ne devait lui arriver. Au fond de lui, il espérait que la sauver l’aiderait à se sauver lui-même.
- Je t’écoute.
- Il faut que tu parles à Taylor.
- Que dois-je lui dire ?
- Tu dois la convaincre qu’Ades est le seul à pouvoir l’aider.
- Le roi d’As ?
- Lui-même.
Samuel savait que Taylor avait un rôle important à jouer dans la prophétie, mais il ne connaissait pas le contenu de celle-ci. Toutefois, l’évocation du roi d’As lui donnait une vague idée de ce qui était en jeu.
- Rappel lui les examens des théurgistes et que sa présence est nécessaire.
- Pourquoi ne pas le faire toi-même ? demanda-t-il en ne comprenant pas pourquoi il devait faire l’intermédiaire.
- Taylor a changé, ta condition de vampire est un atout dans ce cas de figure.
- Très bien, je lui parlerais.
- Elle ne doit pas te soupçonner. Comment vas-tu t’y prendre ?
- Je l’appellerais, elle viendra.
- Comment peux-tu en être si sûr ?
- Je connais Taylor, répondit-il simplement.
Eliáš laissa échapper un rire nerveux avant de passer sa main dans ses cheveux et sur son visage, le vampire remarqua les traces de la fatigue et le poids des responsabilités qui pesait sur lui. Il était encore jeune et pourtant il portait une partie du destin du monde sur ses épaules.
- Elle n’est plus la même, elle a changé.
Samuel le regarda, suspicieux. Rien de ce que lui disait Eliáš ne le rassurait. Était-il arrivé quelque chose à Taylor ? Il espérait que non, car la simple perspective de la voir souffrir faisait qu'accroître son propre mal-être.
- Tu verras par toi-même. J’attendrais ton rapport, tu dois faire vite Samuel, le temps presse.
Eliáš ouvrit la porte, le regarda une dernière fois, puis partit et Samuel récupéra son téléphone pour envoyer un message à Taylor.
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