Lev se tenait sur le toit du Centre et faisait face à son affect. Taylor avait toujours aimé les hauteurs, elles lui permettaient de mieux voir le monde et de se détacher de toute la haine qu’elle ressentait. Lev avait toujours apprécié son côté téméraire et sans peur, en plus d’envier sa force de caractère, mais aujourd’hui tout était différent : elle avait changé. Il n’arrivait presque plus à communiquer à travers leur lien et sentait la présence de Taylor s’estomper dans son esprit. Cela faisait quatre ans qu’ils étaient connectés l’un à l’autre, quatre années qu’ils partageaient un lien particulier, sauf qu’aujourd’hui il s’effritait et se dissipait.
- Que t’arrive-t-il ?
- Comment ça ?
- Tu es différente…
- Je suis toujours la même.
Lev baissa la tête envahie par la tristesse en ayant parfaitement conscience qu’elle lui mentait. Elle n’était plus la même : ce n’était plus la colère et la souffrance qui se dégageaient d’elle, mais la noirceur et les ténèbres. Il ne reconnaissait plus son regard dont sa couleur bleue translucide était devenue froide et animée par une noirceur dont son affect n’avait jamais montré les signes. Ses gestes étaient plus assurés et sa façon de s’exprimer avait également changé. L’ancienne Taylor s’était effacée pour laisser place à un être dont l’humanité s’envolait au rythme du temps.
- Je vois…
Il aurait aimé l’aider, mais elle lui mentait délibérément faisant fi de ses sentiments. Après toutes ces années, ces moments passés à discuter, à jouer, à s’entraîner, à chasser les démons, il pensait la connaître, sauf que la Taylor qui se tenait en face de lui était une étrangère. Il croisa une dernière fois son regard qui avait perdu sa lueur et lui tourna le dos. Les larmes roulèrent sur ses joues alors qu’il sentait leur lien d’affect se casser et briser son coeur. L'inévitable venait d’arriver : leur connexion n’existait plus. Toutefois, Lev gardait l’espoir qu’un jour celui-ci puisse se reconstruire.
Taylor ressentit à son tour le lien de briser et une légère entaille marqua son coeur, néanmoins elle savait que c’était la meilleure chose à faire : à présent quoi qu’elle fasse il ne souffrirait plus par sa faute.
- Ce n’est pas trop tôt, le savoir capable d’entrer dans ton esprit alors que j’y suis aussi me déplaisait beaucoup ! BON DÉBARRAS ! cria le démon en apparaissant devant Taylor.
- La ferme Shadow, même si c’est le mieux pour lui, pour un théurgiste perdre un affect comme ça est parfois pire que de le perdre par la mort.
- Tu te fous de moi là ?
- Non, le lien vient de se briser. Le manque qu’on va ressentir va être très douloureux, puisque la personne est toujours en vie. Lorsque nous allons nous croiser, nous regarder, nous parler, tout ne sera que souffrance. Un lien n’est pas censé se casser, du moins pas comme ça.
- Et alors ? On s’en fout !
- Ouais…
Taylor n’était pas convaincue, elle savait que Lev allait beaucoup en pâtir et espérait qu’il trouverait du réconfort auprès d’autres personnes, puisqu’elle-même n’était pas en capacité de l’aider.
- On va poireauter ici longtemps ?
- Tu es toujours si impatient ? Tu vis depuis des siècles, il n’y a rien qui presse.
- Le temps que tu perds à ruminer… C’est affligeant comme vous êtes faible.
- Ta gueule !
- Toujours aussi aimable…
Taylor sourit avant de descendre de son perchoir et de quitter le toit, puis Shadow disparut pour reprendre sa place dans son esprit. Elle rejoignit sa chambre pour y prendre une douche bien chaude et troquer les vieux vêtements trop grands qu’elle avait récupérés au sanctuaire de son père pour une tenue de combat. Elle gagna ensuite le premier étage et entra dans une des nombreuses salles d’entraînements, pour s’améliorer, s’approprier son corps et le comprendre en vue des examens. Elle entra dans une salle et y trouva Jarek en compagnie de Roch qui l’invita à les rejoindre.
- Un p’tit combat, histoire de montrer à Roch de quoi tu es capable ! lui proposa son ami d’enfance en sachant qu’elle ne refusait jamais un duel.
Taylor acquiesça, récupéra un bâton en bois et en donna un à Jarek, tandis que Roch se plaça en retrait de la zone délimitée par les tapis.
- Ça sent les pieds ici, une infection ! Sérieux, aérez ! Je vais mourir d’asphyxie !
Elle sourit : elle était habituée à cette odeur de sueur, de matelas trop souvent utilisés et à la chaleur qui se dégageait des salles. Après toutes ses années d’entraînements elle n’y faisait plus attention.
Jarek se mit en position d’attaque : les jambes légèrement fléchies et les bras tenant fermement le bâton contre son torse. Taylor se tenait droite et le bâton vers le bas, totalement exposé aux moindres coups.
- Regarde bien Roch et apprend ! s’exclama fièrement Jarek.
- Tu n’as pas peur d’avoir tout oublié depuis toutes ses années ?
- N’oublie pas qui gagnait quand on était petit !
- Je te laissais gagner, rectifia Taylor.
Jarek sourit et attaqua avec rapidité, la déstabilisant, puis se tourna vers Roch en bombant le torse et en faisant tourner son bâton. Taylor sourit à son tour : Jarek n’avait pas changé, il était toujours fier de sa personne. Maintenant, il était temps pour elle de le remettre une bonne fois pour toutes à sa place. Elle ne lui laissa pas le temps de se repositionner et avança sans bruit dans son dos pour le frapper aux côtes. Il grogna de douleur et se retourna mécontent, mais ne put prononcer le moindre mot, car Taylor l’attaqua de nouveau. Il réussit à esquiver de justesse et un sourire de fierté ne manqua pas d’apparaître sur son visage déjà en sueur.
- On se fait chier…
Elle était bien d’accord, combattre contre Jarek n’avait rien de saisissant. Elle n’avait pas une goutte de sueur sur son visage et contrait ses faibles attaques sans faire d’effort : il était trop prévisible et ne tentait jamais rien d’extravagant, se cantonnant aux tactiques de bases. Taylor en revanche avait des enchaînements bien à elle et depuis sa fusion avec Shadow, elle sentait ses mouvements être encore plus précis et plus rapides. Sa vision s’était également accrue lui permettant de voir les muscles de son adversaire se tendre avant même qu’il ne fasse un mouvement, lui donnant une anticipation remarquable.
Jarek se fatiguait et sa respiration lui était difficile à rependre, mais il n’abandonnait pas, Taylor pouvait au moins lui reconnaître cette dextérité.
- Bon peux-tu en finir ? C’est chiant là…
Elle accorda cette faveur au démon, elle-même fatiguée par ce combat sans intérêt, et enchaîna des mouvements de jambes et de bras beaucoup trop rapide pour que quiconque puisse suivre et percuta le torse de Jarek du bout de son bâton. Il retomba sur les tapis et ne put se relever, alors elle lui tendit sa main, mais il la refusa et se leva de lui-même.
- Quel combat ! applaudit Roch.
- La ferme ! grogna Jarek qui le bouscula en allant ranger son bâton.
- Ne fait pas cette tête, c’est toi qu’à chercher le combat, lui rappela Taylor.
- Je n’ai jamais eu aucune chance, hein ?
Elle sourit en rangeant à son tour son bâton.
- Pourquoi me laisser gagner ?
- Ta fierté en aurait pris un coup, regarde-toi.
Ils rirent de bon cœur, jusqu’à ce qu’une alerte résonne dans le Centre.
- Que se passe-t-il ? demanda Roch en voyant Taylor quitter la salle d’entraînement sans hésiter.
Rapidement les théurgistes se rejoignirent dans le centre de contrôle au rez-de-chaussée. Taylor y croisa Lev qui se tendit à son approche et s’écarta loin d’elle. Jarek et Roch arrivèrent dans son dos en échangeant à voix haute pour combler le vacarme que faisaient les alarmes.
- Pourquoi ça sonne comme ça ? l’interrogea Roch qui se prétendait théurgiste sans rien connaître de ce monde.
- Un petit groupe de démons vient d’être localisé en périphérie de la ville et s’approche rapidement des premières maisons, annonça Hektor.
- Maintenant tu as ta réponse, ignorant, répliqua Taylor qui reçut un coup de coude de Jarek qui fronça les sourcils et désigna son camarade qui semblait blesser par ses propos.
Hektor fit taire l’assemblée et attira l’attention sur la carte de Prague qui s’afficha en 3D au-dessus de la table : des points rouges apparurent proches des premières habitations et se rapprochèrent rapidement.
- Laissez-les mourir au pire, on s’en fout d’eux ! clama Shadow avec ardeur.
Il s’agit de démon venins, on estime leur présence à une petite vingtaine. Des volontaires ?
Taylor leva sa main sans hésitation se souvenant des propos de la confrérie : seul un démon venin pouvait extraire le poison des blessures de son dos. Il lui en fallait un vivant, c’était une occasion qu’elle ne pouvait pas laisser passer. Jarek et Roch se portèrent également volontaires, mais Hektor les refusa, n’ayant passé aucun examen, leurs aptitudes aux combats étaient incertaines. Le président se tourna inévitablement vers Lev qui d’ordinaire se serait porté volontaire pour accompagner son affect, mais le lien étant brisé, il ne pouvait pas se battre auprès d’elle. Ce fut donc Eliáš, son petit frère, qui se porta volontaire et rejoignit Taylor autour de la table en lui souriant. Un autre théurgiste, Mark, s’avança et les salua d’un mouvement de tête. Li-Na leva à son tour la main et Taylor se crispa : elle ne voulait pas d’elle sur le champ de bataille, elle ne lui faisait aucunement confiance.
- Trois ça suffit, ils sont qu’une vingtaine à peine.
- Quatre c’est mieux que t…, voulu répliquer Li-Na.
- On n’a pas besoin de toi, la coupa sèchement Taylor.
- Taylor à raison, vint trancher Eliáš.
Il était fougueux, casse-cou, parfois imprudent du haut de ses dix-sept ans, mais il était tout aussi observateur que son frère. Il savait beaucoup de choses et soutenait Taylor en toute circonstance.
Hektor s’interposa et trancha également en faveur de Taylor. Li-Na ne dit rien, mais son regard de vipère en disait long sur ce qu’elle pensait.
- Armez-vous, ordonna le président. Il faut agir vite.
Les trois théurgistes obéirent et rejoignirent la salle des armes. Taylor se dirigea immédiatement vers le mur et prit deux chakrams : des disques tranchants qu’elle faisait fendre l’air d’un simple coup de poignet. Eliáš se tint près d’elle et prit deux katanas qu’il affectionnait.
- Pourquoi me soutiens-tu toujours ? lui demanda-t-elle.
- Li-Na mérite la mort pour ce qu’elle t’a fait, je n’allais pas la laisser venir.
Elle suspendit ses gestes et fixa Eliáš, la peur dans les yeux. Elle n’avait parlé à personne de ce qui lui était arrivé, alors comment pouvait-il être au courant ?
- Comment es-tu au courant ?
Eliáš la regardait avec calme, il n’était pas une menace pour elle et il espérait qu’elle le comprendrait à travers ses yeux.
- Qui es-tu ? demanda-t-elle perplexe.
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