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tome 1, Chapitre 17 tome 1, Chapitre 17

Les membres de la confrérie étaient à l’origine des humains choisis pour devenir les premiers théurgistes, ces êtres n’œuvraient ni pour le bien ni pour le mal, mais pour une cause qu’eux seuls comprenaient et connaissaient.

Les trois membres étaient rassemblés autour d’un rocher au cœur de leur sanctuaire, dans les profondeurs du cimetière Olšany, et regardaient les marques briller, puis s’éteindre sur le corps inerte de Taylor.

- Théurgiste Taylor Masaryk.

Celle-ci se redressa désorientée et s’assit au bord de la pierre, nauséeuse. Tkeg, à l’âme verte, s’approcha et leva la main devant elle sans la toucher. Elle attendit sans bouger ni parler, elle se sentait étrange, comme si tout n’était qu’un vaste rêve, une illusion.

- Achevée.

Tkeg s’éloigna et reprit sa place auprès des autres membres. Taylor observa son environnement et vit un récipient d’eau posé sur une surface rocheuse. Elle se leva, marche d’un pas silencieux sur le sol irrégulier et but le contenu du bol pour assouvir sa soif. Ses gestes étaient sans hésitation, sans failles et donnaient un aspect robotisé. Elle se sentait différente : plus forte, plus habile et surtout plus sombre. Elle avait conscience de la noirceur qui l’habitait, mais maintenant elle l’acceptait et ne la repoussait plus.

- Approche, théurgiste Taylor Masaryk, ordonna Mroy.

Elle obéit. La mort fit deux pas dans sa direction, souleva sa main dissimulée sous sa cape, la passa devant son visage et reprit sa place à droite de Tkeg. À côté d’elle, Shadow, à la peau grise, aux cheveux et aux yeux entièrement noirs, apparut. Il était vêtu d’un simple pantalon noir troué et ses pieds étaient nus sur le sol poussiéreux. Il arborait de nombreuses cicatrices, dont une marque sur son bras droit gravée au fer rouge. Elle représentait, par ses traits grossiers, un lion. C’était un symbole d’appartenance, et il existait un seul démon ayant suffisamment de puissance pour apposer une marque de ce type : Ades, le roi d’As. Le démon observait les membres de la confrérie sans pouvoir exprimer le moindre bruit en raison des agrafes qui scellait ses lèvres. Taylor voulut se déplacer pour l’observer de face, mais un tintement lui fit baisser les yeux et remarqua la chaîne qui reliait son poignet à celui du démon. Elle regarda le torse de Shadow, là où la marque de leur pacte brillait, et sourit. Pour la première fois de son existence elle se sentait en accord avec elle-même : le choix d’offrir une partie de son âme au démon était une décision qu’elle ne regrettait pas, elle avait fait ce qui devait être fait. À présent, tout serait différent, mais c’était cette différence qui la rendait déjà plus forte et plus dangereuse. Taylor avait compris qu’elle ne pouvait pas aller à l’encontre de son destin, elle devait l’accepter et ne faire qu’un avec lui. Ils échangèrent un regard et n’eurent pas besoin de parler pour savoir que maintenant une nouvelle vie s’offrait à eux.

La théurgiste nouvellement née regarda les trois membres de la confrérie : il émanait d’eux une aura différente, bien qu’elle ne puisse voir leurs visages, elle percevait leurs postures et leurs émotions habituellement dissimulées. Ses capacités, déjà uniques pour une théurgiste, avaient été décuplées par sa récente permutation. Elle se mit à rire, mais celui-ci n’avait plus rien d’humain.

- Vous qui préparez vos plans depuis des siècles, vous n’aviez pas envisagé cette possibilité ? Comme c’est fâcheux.

Sa voix teintée d’une touche d’arrogance était à présent devenue plus grave, plus froide et empreinte d’un profond mépris. Tout dans ses gestes, son comportement et son regard la liait aux démons.

L’âme des trois théurgistes originels vibra sous la vue aiguisée de Taylor, les ébranler n’était pas une chose dont beaucoup pouvaient se vanter. La confrérie était connue pour n’éprouver aucune émotion et ne jamais laisser un sentiment quelconque entraver la cause pour laquelle ils vivaient.

- Il est temps qu’on parte, déclara Taylor avec froideur. Mroy ?

L’être encapuchonné à l’âme noire s’avança de deux pas, passa sa main sur le visage de la théurgiste, et le démon disparut. Taylor ferma les yeux et sentit Shadow dans son corps, dans son esprit et dans son âme.

- Il pourra apparaître à l’abri des regards, et disparaîtra quand des yeux se poseront sur toi, théurgiste Taylor Masaryk.

Elle hocha la tête et Mroy se replaça à côté de ses frères.

- La magie du Centre te reconnaîtra comme en son sein, théurgiste Taylor Masaryk.

Le pouvoir intemporel d’Axi avait servi à manipuler l’aspect démoniaque de sa personnalité, ainsi aucune barrière protectrice ne pouvait lui résister, partout où Taylor déciderait d’aller, elle entrerait.

- La prophétie est toujours en marche, ne lutte pas contre les évènements, et n’oublie pas : les apparences sont trompeuses, fis-toi à ton instinct et à tes capacités, théurgiste Taylor Masaryk.

Tkeg s’était approché de Taylor, comme pour lui murmurer ces mots. Parmi les trois, il était le plus soucieux du destin de la théurgiste : il s’était pris d’affection pour cet être aux capacités uniques au futur incertain. Taylor les remercia silencieusement et se téléporta pour rejoindre le Centre sans savoir depuis combien de temps elle s’était absentée ni ce qui l’attendait là-bas.

- Tu es sûr qu’on va pouvoir passer les barrières ?

- Oui, Axi n’est pas très bavard et aimable, mais ses pouvoirs sont incroyables.

- Si tu le dis…

- Ne me dis pas que tu as peur.

Taylor se mit à rire au milieu des passants qui la regardèrent comme si elle était folle. Elle n’avait pas pris la peine d’activer sa marque d’invisibilité : se mêler en toute conscience parmi les humains lui donnait un sentiment de supériorité et de puissance.

Alors qu’elle arrivait à la limite du périmètre de détection des balises du Centre, elle hésita : les pouvoirs d’Axi étaient puissants, mais à quel point ?

- Et maintenant, qui a peur ?

- Il y a une différence entre avoir peur et avoir des doutes.

Le rire de Shadow se répercuta contre les parois de l’esprit de Taylor et la fit tituber : elle ne s’était pas encore complètement habituée à sa présence.

- C’est parti.

Elle fit un premier pas, puis un second et marcha jusqu’à la porte du Centre sans qu’aucune alarme ne se déclenche. Axi avait réussi : elle pouvait tromper la magie des barrières protectrices.

- Ils ont pris un sacré risque quand même. Imagine qu’on décide de tout réduire en cendres ?

- Ne rêve pas, ils nous surveillent. Tu les as entendus : la prophétie est toujours en marche. Donc ta présence n’entrave pas leurs plans.

- On doit s’en réjouir ?

- Je ne sais pas… si seulement je pouvais trouver cette foutue prophétie ! s’énerva Taylor en serrant les poings, elle ne supportait plus qu’on lui mente volontairement et qu’on lui cache de précieuses informations.

Elle soupira et pénétra dans l’enceinte de la Cathédrale sans savoir ce qui l’attendait. Dans le hall, les théurgistes passèrent devant elle sans lui prêter attention, trop occupés dans leurs tâches. Taylor sentit une odeur succulente envahir ses narines lui rappelant la faim qui tiraillait son ventre. Elle se dirigea vers la cuisine où Milada était déjà aux fourneaux en vue du dîner. Elle prit une assiette, des couverts et s’assit à la table après s’être servie dans les plats, le tout dans un parfait silence, puis mangea et rassasia son ventre trop longtemps privé de nourriture. Milada se tourna et laissa échapper le récipient en verre qu’elle tenait dans les mains, celui-ci vint terminer sa course sur le carrelage brun de la cuisine dans un bruit aigu.

- Dieu tout puissant ! Tu m’as fait peur.

- Navrée, répondit Taylor sans lever les yeux de son assiette.

- Je ne t’ai pas entendu entrer. Pourquoi ne t’es-tu pas annoncé ?

Milada prit de longues respirations pour calmer son cœur fragilisé par l’âge, puis se pencha pour ramasser les bouts de verres, mais s’entailla la main avec un morceau. Elle laissa échapper un gémissement de douleur et son sang humain goutta sur le sol. Taylor leva la tête alarmée et quitta la table pour s’agenouiller avec une rapidité qu’aucun théurgiste ne pouvait posséder. Milada s’apprêta à la rassurer, mais Taylor ne se soucia pas de la blessée.

- Cette odeur ! Du sang frais d’humain !

L’odeur du sang agitait Shadow à lui faire tourner la tête. Taylor était animée par un instinct brutal et démoniaque, et perdait petit à petit le contrôle d’elle-même : une force dévorante prenait le pas sur sa raison. Elle prit le poignet de Milada, le porta à son visage et regarda le sang couler de sa couleur rouge vif à mesure que l’odeur l’alléchante l’enivrait.

- Taylor, tu me fais mal. Peux-tu me lâcher ?

Elle n’entendait pas, plus rien n’existait à par ce sang qui formait déjà une petite flaque sur le sol. Elle laissa ses doigts glisser dans cet épais liquide pourpre, tandis que ses yeux brillaient d’une lueur animale et ténébreuse.

- Milada ?

Quelqu’un approcha, mais Taylor ne s’en soucia pas.

- Milada ! s’écria une autre voix d’homme. Que s’est-il passé ?

L’humaine dotée du souffle bafouilla des explications qui n’atteignirent pas Taylor. Elle regardait toujours ses doigts et le sang posé dessus, elle voulait les porter à sa bouche, goûter ce liquide qu’elle savait déjà succulent, mais elle sentit qu’on la forçait à lâcher le poignet qu’elle tenait fermement et qu’on la faisait reculer jusqu’à buter contre les comptoirs. Shadow était lui aussi en transe, prisonnier de l’odeur et de la vue du sang.

- Taylor ? Taylor ! TAYLOR !

Des mains se posèrent sur ses épaules et la secouèrent pour la faire revenir à elle.

- TAYLOR ! s’écria Lev à travers le lien d’affect qui eut l’effet d’une douche froide.

Taylor cligna plusieurs fois des yeux et reprit difficilement conscience de la réalité. Elle regarda autour d’elle : les morceaux de verres sur le sol, le sang, Milada. L’humaine se tenait au-dessus de levier et Tomislav tenait sa main entaillée sous le jet d’eau.

- Je peux savoir ce qui t’arrive, Taylor ? C’était quoi ce délire ?

Elle avait le visage totalement fermé, aucune émotion ne transparaissait et son regard était glacial. Lev eut un frisson de peur, infime pour une personne lambda, mais pour Taylor les moindres mouvements lui étaient maintenant perceptibles.

- Lev, va chercher Viktor, lui ordonna Tomislav. Il faut la trousse de secours.

Lev hésita, regarda son affect en essayant de trouver une explication, puis finit par quitter la cuisine à contrecœur. Taylor en profita pour partir à son tour dans des mouvements silencieux que ni Tomislav ni Milada ne l’a vit quitter la pièce. Elle courut jusqu’à l’escalier et monta sur le toit de la Cathédrale. Elle referma la trappe et Shadow apparut à ses côtés, accrochés l’un à l’autre par une chaîne de deux mètres.

- Qu’est-ce qui vient de se passer ? s’énerva-t-elle en regardant froidement le démon.

Il la fixa sans pouvoir répondre de vive voix, sa bouche étant scellée par les agrafes. Toutefois, il pouvait encore communiquer à travers son esprit.

- Quoi ? Ne me dis pas que tu ne sais pas de quoi on se nourrit !

Taylor s’arrêta net et regarda férocement le démon : la colère prenait le dessus, son corps commençait à bouillonner et ses mains serrées en poings s’échauffaient fortement.

- Calme-toi ou tu vas encore nous faire une putain de crise ! J’aimerais éviter, ça fait super mal…

- La ferme !

- Comme tu voudras…

Shadow leva les mains en l’air en signe de paix. Il s’avança jusqu’au bord du toit et fit teinter la chaîne à son poignet en passant sa main dans ses cheveux aussi noirs que du charbon.

- Tu n’as pas répondu…

Il sauta sur le rebord et se tint en équilibre, une lueur joueuse illumina son visage gris.

- … de quoi nous nourrissons-nous ?

- D’humains ! Mais pas toi, tu es immatériel, tu te nourris de leur esprit et de leur âme, alors comment expliques-tu ce qui vient de se passer ?

- Parfois, tu manques vraiment de réflexion…

- Shadow !

Des petites flammes commencèrent à apparaître dans les poings de Taylor. La colère se lisait sur son visage, dans ses yeux, dans sa posture et même son aura se teinta de noire. Elle devenait plus que l’ombre d’elle-même et si elle ne se calmait pas, elle risquait de se perdre à nouveau.

Je ne suis plus immatériel, je sens leur odeur, leur pouls et leur sang qui pulse dans leurs veines, putain que c’est bon !

Taylor ferma les yeux, elle s’en était doutée après que Lev l’ait ramené, mais elle avait eu besoin de la confirmation de Shadow.

- Relaaaxe ! Je n’ai pas besoin de me nourrir, je siffle une partie de ton énergie pour vivre.

- Si tu touches à un humain, je n’hésiterais pas à te tuer, même si ça me condamne !

Le démon arrêta de jouer sur le rebord du toit et s’avança jusqu’à Taylor. Ils se tinrent l’un en face de l’autre et se toisèrent.

- Je ne toucherais pas aux humains, mais je ne peux pas te garantir de pouvoir garder le contrôle si un épisode comme celui-là se reproduit.

- Maintenant, on sait.

Ils tendirent chacun leurs bras et posèrent respectivement leur main sur l’avant-bras de l’autre. Un sourire en coin se dessina sur le visage de Taylor et si Shadow n’avait pas eu la bouche scellée, elle ne doutait pas qu’il sourirait également. Elle devait encore assimiler ses capacités décuplées et les nouvelles qui étaient apparues par le biais du démon, mais elle savait qu’elle y arrivait.

- Taylor ?

La voix de Lev parvint à ses oreilles et la trappe s’ouvrit. Shadow disparut à la seconde où les yeux de son affect se posèrent sur elle.

- Que fais-tu ?

- Rien, je prends l’air.

Taylor laissa retomber son bras le long de son corps et s’approcha de son ami. Lev se sentait blessé et trahi : il souffrait et voulait des réponses. Sauf que Taylor n’était pas en mesure de lui en fournir. Ils allaient devoir parler, c’était inévitable, mais elle savait qu’elle allait devoir lui mentir, une fois de plus. Lev était loin d’être dupe et peu importait le mensonge qu’elle trouverait, leur relation et leur lien en pâtiraient.


Texte publié par Aihle S. Baye, 6 juillet 2023 à 10h04
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