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tome 1, Chapitre 14 tome 1, Chapitre 14

Taylor observait son reflet dans le miroir à la recherche d’un indice qui trahirait la présence du démon dans son âme, mais il était invisible. Elle entreprit donc de s’habiller, puis quitta la chambre et arriva dans un long couloir aux murs en pierre et au sol en parquet. Elle développa son ouïe et écouta les nombreux bruits de pas qui résonnaient. Elle emprunta des embranchements sans savoir où elle se rendait, mais fit preuve de prudence : démons étaient très nombreux et elle n’était pas à l’abri de se faire attaquer. Son instinct la mena dans une grande salle où les démons buvaient, riaient, jouaient et batifolaient à la vue de tous. L’atmosphère était calme, détendue et les créatures évoluaient en toute tranquillité. Ils semblaient presque humains et Taylor les regarda avec envie, désireuse de les rejoindre, de se mêler à eux et de vivre des petits plaisirs en leur compagnie. Elle dut puiser en elle une force considérable pour réussir à détourner les yeux et à s’éloigner de cette pièce. C’était l’âme du démon qui réagissait et qui avait ce besoin viscéral de rejoindre les siens. Taylor ne devait pas céder, toutefois elle sentait grandir en elle un sentiment aussi puissant que néfaste et la question s'imposa à elle : qui était-elle devenue ? Elle n’avait jamais été complètement théurgiste, la moitié de son sang était divisé entre toutes les créatures qui peuplaient le monde. À présent qu’une partie de son âme appartenait au démon, était-elle devenue davantage démoniaque ? Pouvait-elle encore s’identifier aux théurgistes ? Un brouillard noir s’abattit sur elle et un poids immense se posa sur ses épaules.

Elle continua d’errer dans les couloirs sans buts, perdue dans ses pensées, puis des voix l’interpellèrent et par curiosité elle s’appuya contre le mur pour écouter.

- À quoi joues-tu ? Que s’est-il passé ? s’énerva une voix grave qui fit frissonner Taylor.

- J’espérais que tu me le dises.

Elle reconnut la voix sépulcrale de son père, et imagina aisément le sourire qu’il affichait. En revanche, elle ignorait qui était son interlocuteur, mais il lui semblait familier, comme si elle l’avait toujours connu.

- Ades, roi d’As.

Les mots résonnèrent dans l’esprit de Taylor qui pensa en premier lieu qu’il s’agissait de Lev, son affect, mais la voix provenait des tréfonds de son esprit, puis elle sentit son âme tressaillir et la présente du démon se manifesta.

- Shadow ? murmura-t-elle.

- Nous sommes liés maintenant, ne l’oublie pas théurgiste.

Elle était perplexe, l’esprit encore embrumé.

- Je fais partie de toi maintenant, je ne contrôle pas ton corps, mais je peux aisément évoluer dans ton esprit qui est d’ailleurs remarquable. C’est fascinant de fouiller dans ta vie !

Taylor transpirait de colère : elle détestait l’idée qu’un démon fasse partie d’elle, mais que pouvait-elle faire : se frapper ? À quoi bon ? Il n’était pas physiquement présent en elle.

- Tu réfléchis, c’est bien ! Je ne suis pas physiquement en toi, mais j’y suis quand même. Paradoxale, non ?!

Le rire démoniaque de Shadow se répercuta dans son esprit et la fit grimacer en sentant les prémisses d’une migraine qui la forcèrent à s’appuyer contre le mur pour ne pas vomir.

- Je peux donc communiquer avec toi, c’est génial hein ? Crois-moi, tu vas vite trouver ça trop cool !

- Je suppose que ce n’est pas le seul…avantage ?

- Tu découvriras au fur et à mesure, il faut bien garder un peu de suspense !

Taylor n’était pas de cet avis et prenait conscience que dans son désespoir de vouloir-vivre, elle avait vendu son âme au diable pour au final avoir peut-être condamné le reste de sa vie.

- Merci de me considérer comme le diable, même s’il n’existe pas. Enfin sauf pour ces stupides humains qui croient à l’Enfer et au Paradis, si seulement ils savaient !

Sur ce point, Taylor était bien d’accord : les humains étaient stupides. Ils voulaient croire à quelque chose après la mort pour ainsi justifier chacun de leurs choix. Les Hommes bien allaient au Paradis. Les Hommes méchants allaient en Enfer. Ils se trompaient, rien de tout cela n’existait. Les âmes finissaient toutes au même endroit : au royaume d’As. Il n’y avait rien d’idyllique, le salut n’existait pas. As était le monde des démons, les horreurs les plus inimaginables y étaient pratiqués. C’était un terrain de jeu, un parc d’attractions où les démons étaient les visiteurs et les humains les attractions. Ainsi faire le bien de son vivant ne menait à rien, cela ne rendait pas la mort moins douloureuse, bien au contraire. C’était souvent les plus innocents qui souffraient le plus à As. Taylor chassa toutes ses pensées et se concentra sur la conversation entre son père et Ades.

- Tu te fous de ma gueule ! Crois-tu que je sois là pour faire du baby-sitting ? Tu m’as bien regardé ?

- C’est un boulot comme un autre.

- Fais attention Baltazard. Je peux aisément rendre notre accord nul et non avenu, réfléchie bien à ce que tu veux, menaça le roi des démons.

Taylor entendit la respiration de son père se faire de plus en plus difficile. Elle essaya de visualiser la scène avec ses sens développés, mais user de ses capacités rendait son esprit lourd et ses pensées flous.

- Tu crois que…tu peux gagner Ades ? Demande-toi…qui de nous deux…les démons…suivront…

Baltazard rit entre deux quintes de toux infligées par un manque d’oxygène.

- Shadow ? appela Taylor.

- Tu es au courant que ce n’est pas mon prénom ?

- Je m’en fous. Réponds plutôt à ma question : Baltazard et Ades ont fait un pacte ?

Le démon fit semblant d’être offusqué de s’être fait envoyer promener, mais rapidement la possibilité de mettre son savoir à disposition de son hôte prit le dessus.

- Ce n’est pas un pacte comme tu l’entends, ça n’a rien à voir au nôtre.

- Comment ça ?

- Ils n’ont pas de marque, ils peuvent donc se blesser l’un l’autre sans conséquence, mais pas se tuer.

- Comment fonctionne leur accord ?

- De la magie.

- Quel genre de magie ?

Taylor essayait d’être la plus discrète possible, mais sa voix résonnait dans le couloir. La conversation entre son père et Ades prit fin et elle sut qu’elle avait été entendue. Elle hésita à fuir, mais la porte s’ouvrit et Baltazard se tint devant elle.

- Taylor ? Entre.

Elle obéit et découvrit une pièce qu’elle connaissait déjà : le bureau de son père. Ades était debout et faisait rouler une boule de feu sur ses doigts. Il leva les yeux sur elle et son puissant regard fit réagir la nouvelle marque sur la poitrine de Taylor. Elle grimaça de douleur et dès l’instant où elle regarda ailleurs tout s’arrêta.

- C’était quoi ça ? Ça fait super mal !

Elle était de l’avis de Shadow, la souffrance avait été si soudaine et puissante qu’elle s’était vu sombrer dans les abimes. Malgré tout, elle regarda de nouveau le démon et étonnamment elle ne sentit rien, comme si un voile venait de se lever entre les deux êtres.

- Tu as conscience que ta réflexion est absurde ? Je pense plutôt qu’il a essayé un de ses nombreux pouvoirs sur nous. On est face à Ades : roi d’As, je te signale ! Au cas où tu l’aurais oublié théurgiste, c’est le plus puissant des démons.

Elle aurait aimé pouvoir le mettre sur pause, malheureusement cela lui était impossible. Elle allait devoir s’habituer à ce mal de tête constant.

- Assis-toi, ordonna Baltazard.

- Ça va aller.

Elle était épuisée et aurait en effet aimé s’asseoir, mais elle ne voulait pas donner à son père le pouvoir de la contrôler. Puis c’était également l’occasion de garder Ades dans son champ de vision.

- Je comprends ta méfiance, mais tu ne crains rien ici, lui assura-t-il.

- On n’est jamais trop prudent.

Baltazard rit et s’installa confortablement dans son fauteuil où un verre de whisky l’attendait sur le guéridon. Ades regardait Taylor de façon étrange : il semblait vouloir lire en elle et l’absorber toute entière. Elle croisa ses yeux de feux, mais dut détourner le regard en sentant sa poitrine la brûler.

- Il ne changera jamais !

Shadow riait à en faire saigner les oreilles de Taylor, il n’arrivait plus à s’arrêter tellement la situation l’amusait. Elle aurait aimé lui dire de la fermer, mais elle ne pouvait pas lui parler en présence de son père et du démon. Étonnement, elle souhaitait garder secret son alliance avec lui. Était-ce par peur ? Plutôt par prudence, car à qui pouvait-elle réellement faire confiance ?

- Comment te sens-tu ? s’enquit Baltazard.

- Bien.

- Comment est ta température ?

- Stable.

Elle se demanda pourquoi elle répondait à ses questions sans même broncher, elle qui détestait les démons et ce que représentait son père, elle se sentait pitoyable.

- Bien, très bien.

Baltazard partit loin dans ses pensées et se mit à marmonner pour lui-même sans accorder d’importance à son environnement, de ce fait Ades en profita pour s’avancer vers Taylor.

- Qui es-tu ?

La question surprit Taylor et Shadow ne manqua pas de faire son petit commentaire.

- Il a fumé, non ?

Ades la regardait, la détaillait et plongea dans ses yeux. Elle fut happée par le feu qui dansait dans ses iris, mais rapidement la douleur prit une nouvelle fois le dessus. Elle essaya de tenir bon, mais la marque sur sa poitrine la brûlait de plus en plus.

- ARRÊTE ! ÇA BRÛLE ! ÇA BRÛLE !

Elle tomba à genoux, saisie d’un vertige, puis elle prit de grandes inspirations et posa sa main sur sa poitrine où la marque lui faisait atrocement mal.

- Qui es-tu ? répéta Ades.

- Ça va ? marmonna-t-elle à l’intention de Shadow qui, elle le sentait, était en grande souffrance.

- Je crois, mais putain c’est quoi ce bordel ?

Elle se posait la même question. Elle se releva, mais à peine fut-elle sur ses pieds qu’Ades la saisit à la gorge et la plaqua contre le mur. Baltazard, toujours plongée dans ses pensées, ne soucia pas de sa fille.

- Qui es-tu ?

Il répétait inlassablement la même question, mais ne laissa jamais vraiment à Taylor le temps de répondre.

- Tu…le…sais.

- Quelque chose est différent, qu’as-tu fait ?

- R…rien…

Elle mentait, mais son instinct lui dictait de garder le secret, même si elle ne comprenait pas pourquoi. Qu’allait faire Ades s’il savait pour le pacte ? La tuer ? Que cela lui apporterait-il ?

- Ades, ça suffit ! intervint enfin Baltazard, et le démon obéis en grognant.

Elle serra ses poings et frappa Ades au visage. Le coup le fit chanceler et déclencha sa fureur. Il forma une boule dans sa main et la lança sur Taylor qui la prit de plein fouet : elle se prépara à ressentir les flammes dévorer sa peau, s’imaginant déjà hurler de souffrance, mais il n’en fut rien. Les flammes s’enroulèrent autour de son poignet comme un bracelet, et ses yeux habituellement bleus translucides, comme ceux de son père, prirent une couleur orangée. Elle sourit avec animosité en regardant Ades et Baltazard reculer.

- Vous ne voulez déjà plus jouer ? Dommage, j’avais pourtant envie de m’amuser.

Elle ouvrit sa main, les flammes coururent sur ses doigts et un fouet apparut. Elle le fit claquer contre le sol qui fondit, puis un sourire démoniaque naquit sur son visage alors qu’elle lança l’arme en direction d’Ades. Le démon l’attrapa avant qu’il ne touche son visage et tira dessus. Taylor vola jusqu’à lui et ils se tinrent face à face à quelques centimètres l’un de l’autre.

- Ça suffit !

- Je suis d’accord, répliqua Taylor.

Elle tenta de le frapper une nouvelle fois, mais il lui saisit les poignets. Sa force n’équivalait pas celle du roi et elle dû se résigner, vaincue. Ades ferma les yeux et marmonna en langue démoniaque : le bracelet de feu au poignet de Taylor changea de propriétaire et prit place sur celui du démon.

La puissance des flammes quitta Taylor qui se sentit faiblir et Ades la rattrapa avant qu’elle ne tombe, épuisée et l’esprit embrumé. Elle sentait que Shadow était loin, prisonnier dans les tréfonds de son être. Elle sentit qu’on la transportait, puis qu’on la déposait sur une surface moelleuse en étant à demi consciente. Elle ne souffrait pas à proprement parler, mais quelque chose évoluait en elle et bousculait tout.

- Ades, ramène-là, ordonna Baltazard sans une once d’inquiétude.

- Non, il faut la stabiliser ! grogna Ades.

- Les théurgistes vont la chercher, elle doit rentrer sinon tous nos plans tomberont à l’eau.

- As-tu conscience de ce qui se passe ? Putain Baltazard ! Réfléchie deux minutes ! Tu as vu comme moi ce qui vient de se passer, si je n’avais pas été là qu’est-ce qui se serait passé ?

Le démon n’eut pas de réponse. Taylor écoutait et même si chaque mot lui parvenait, elle avait des difficultés à en comprendre le sens.

- Elle aurait implosé ! rugit Ades.


Texte publié par Aihle S. Baye, 29 juin 2023 à 09h39
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