D’abord le feu : le berceau de l’enfer où sa chaleur dévorait tous sur son passage et transformait la vie en cendre. Ensuite venait le froid aussi glacial que dévastateur. Taylor était prise dans ce tourbillon infernal : piégée entre le feu et la glace, passant d’un extrême à un autre au péril de sa vie. La réalité semblait lui échapper, le monde qui était le sien, malgré tous ses travers, la fuyait. Des voix lointaines lui parvenaient comme un écho à une vie qui ne lui appartenait plus. Elle sentait parfois un linge humide refroidir son visage couvert de sueur lorsque son corps brûlait des flammes des péchés, puis d’autre fois une couverture la réchauffait lorsque le froid gelait son cœur.
Le temps s’écoulait sans concordance, il était ce qu’il devait être dans une réalité où Taylor semblait ne plus appartenir. Elle était enfermée, enchaînée sans aucun moyen de s’échapper. Elle avait conscience de son corps étendu, mais n’avait aucun contrôle sur lui, même son esprit lui était verrouillé, ne laissant plus que les ténèbres. Elles étaient un tout et un rien, à la fois l’espoir et la peur. Taylor n’avait plus aucun repère, plus aucun élément auquel s’accrocher pour s’ancrer. Était-ce à cela que ressemblaient les limbes ? Elle le supposait sans certitudes, car personne ne revenait une fois perdu dans son esprit et ses souvenirs. Avait-elle fini par se perdre ? Elle aurait ri si elle avait pu, mais piégée ainsi, elle n’était qu’une forme immatérielle. Elle voulut respirer profondément pour se concentrer et trouver une solution, sauf qu’il n’y avait ni air ni vie, simplement le néant.
« Tu feras appel à moi, tu peux en être sûr et le moment venu je répondrais présent. »
Les mots apparurent dans le noir, brillant comme les flammes des enfers et durs comme le froid des âmes perdues. Taylor ressentit l’espoir que la voix qu’elle entendait était la solution pour la libérer de son propre esprit.
« Tu feras appel à moi, tu peux en être sûr et le moment venu je répondrais présent. »
Une pulsion semblable à un battement de cœur fit vibrer les ténèbres. Les mots résonnèrent sans fin : ils étaient le dernier recours, l’ultime solution, sauf qu’elle ne savait pas comment s’y prendre. Elle connaissait cette voix, mais sa mémoire ne lui était plus accessible, même ses souvenirs étaient bloqués. Elle comprit qu’elle n’était pas dans les limbes, mais prise au piège entre deux dimensions : entre son corps et son esprit. Seule, elle ne pourrait s’en sortir, elle avait besoin d’aide pour se reconnecter à qui elle était.
« Tu feras appel à moi, tu peux en être sûr et le moment venu je répondrais présent. »
À mesure que les mots continuaient de se répéter, une source de lumière apparut dans les ténèbres et elle sut quoi faire.
- L’être immatériel sauvera les âmes à l’apogée de leur détresse. Les cris du désespoir ne pourront les sauver, la volonté de vivre sera leur salut. Démon Shadow, viens à moi et nourris-toi de mon âme, incanta Taylor en langue démoniaque dont sa voix semblait venir des profondeurs au-delà des barrières, au-delà des mondes.
- L’être immatériel sauvera les âmes à l’apogée de leur détresse. Les cris du désespoir ne pourront les sauver, la volonté de vivre sera leur salut. Démon Shadow, viens à moi et nourris-toi de mon âme, répéta-t-elle avec une conviction et une détermination qui l’étonna elle-même.
Le démon était le seul à pouvoir lui venir en aide, et elle devait s’en remettre à lui si elle voulait retrouver son corps et sa vie. Ce choix changerait à jamais son avenir, elle en avait conscience, mais parfois il fallait accepter la dure réalité et s’allier à ses ennemies pour pouvoir survivre.
- Quelle belle surprise ! La fameuse théurgiste Taylor Masaryk. Si je m’étais attendu à te rencontrer, je me serais mieux apprêté.
Elle resta de marbre face à la folie du démon qui ne semblait pas s’améliorer avec le temps. Celui-ci était toujours immatériel, si bien qu’elle n’arrivait même pas à la discerner dans la noirceur qui l’entourait.
- Je t’avais dit que le moment venu tu ferais appel à moi et je suis là !
- Sors-moi d’ici.
- Pas de précipitation, il faut faire les choses bien ! Te sortir d’ici ne sera pas gratuit, tu le sais bien, théurgiste.
L’aide du démon était en réalité un pacte qu’ils signeraient tous deux et qui les lierait jusqu’à ce que les clauses en soient validées : ils ne pourront se tuer de leurs propres mains, et le décès de l’un entraînera l’autre à revivre sa mort aussi longtemps qu’il vivra.
- Que veux-tu en échange ?
- Toi !
- Que veux-tu dire ?
- Fais de moi une partie de ton âme.
- Jusqu’à quand ?
- Jusqu’au moment venu.
- Quand sera-t-il ?
- Seul le temps nous le dira.
Il rit et Taylor soupira : elle allait se lier avec son ennemie pour retrouver un monde où elle était rejetée de tous. Ne devrait-elle pas rester ici, enfermée à jamais dans le noir complet ? Elle ne pouvait s’y résoudre, elle ne pouvait pas choisir la facilité, qu’importaient les difficultés qu’elle rencontrait, elle se battait toujours.
- Sans mon aide, tu ne pourras jamais partir, tu ne pourras pas mourir tant que ton corps respirera. La folie te prendra plus vite que tu l’imagines, tu auras envie de mourir, mais tu ne pourras pas. Tu tiens vraiment à vivre ça, théurgiste ?
- Quelles sont les conséquences ?
- De ?
- De faire de toi une partie de mon âme ?
- On verra bien !
Taylor voulut répliquer, lui cracher au visage le flot d’insultes qui lui venaient, mais elle se mit à brûler vif. La douleur et la souffrance…il n’y avait plus rien d’autre et elle n’avait plus la force ni l’envie de hurler son fardeau. Plus les flammes prenaient possession d’elle, de son corps, de son esprit et de son âme, moins elle ressentait la douleur. Elle devenait insensible, la souffrance disparaissait pour ne ressentir qu’un vide, mais ce vide apportait un profond gouffre encore plus difficile à supporter que la douleur.
- Dépêche-toi de choisir, je n’ai pas toute la journée devant moi !
Taylor capitula, c’était sa seule et unique chance.
- Le démon Shadow remplacera une partie de mon âme jusqu’au moment importun. Le tuer me sera impossible, sa mort m’apportera souffrance et miséricorde. Je conclus le pacte par la marque.
- La théurgiste Taylor Masaryk me donnera une partie de son âme jusqu’au moment importun. La tuer me sera impossible, sa mort m’apportera souffrance et miséricorde. Je conclus le pacte par la marque.
Taylor sentit sa peau être lacérée sur sa poitrine, à l’emplacement de son cœur, là où la marque du pacte se dessinait et la liait au démon. Elle ressentit son âme, vit sa couleur polychrome, mais n’eut pas le temps de l’admirer, car une partie de son âme lui fut arrachée, puis une forme noire à l’aura sombre prit la place libérée.
- On se retrouve de l’autre côté ! s’exclama le démon.
Il disparut et Taylor avec lui. Elle reprit sa place dans son corps, puis se reconnecta à ses sens et s’ancra de nouveau à la réalité. Elle eut le plaisir de sentir son cœur battre et tout lui être de nouveau accessible. Elle se redressa et s’assit au bord du lit où son corps était recouvert d’un drap pour cacher sa nudité. Sur la chaise en face d’elle se trouvaient des vêtements, elle voulut se lever pour aller les récupérer, mais un vertige la saisit et une douleur se fit ressentir. Taylor posa la main sur son cœur, s’avança lentement jusqu’au miroir et put voir la marque qui ornait sa poitrine : le pacte. Elle sentit son âme tressaillir, signe qu’il était là, en elle. Elle se regarda plus longuement dans le miroir : son visage était le même, son corps n'avait pas changé, pourtant au fond d’elle plus rien ne serait jamais pareil.
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