Le ciel céruléen avait laissé place à la Lune qui accompagnait les théurgistes jusqu’au Daemonium : la boîte de nuit où il n’était plus question de guerre, de clan ou de différenciation entre les peuples. Jarek avait insisté pour sortir et avait choisi ce lieu où tous devenaient égaux et évoluaient ensemble, l’occasion pour lui de redécouvrir la ville et ses changements. Taylor avait accepté sa proposition à l’étonnement de Lev qui connaissait sa réticence à se mêler aux autres peuples. Cependant, il ignorait qu’elle avait beaucoup à gagner dans cette sortie improvisée : selon la confrérie, c’était dans cette boîte de nuit qu’elle trouverait des réponses.
L’enseigne du Daemonium scintilla sur la façade, animée par la magie du sorcier qui travaillait comme vigile. Taylor observa la foule d’humains où tous attendaient dans l’espoir d’avoir l’occasion d’entrer dans ce lieu unique. Elle remarqua une femme d’un âge avancé qui cachait ses rides sous de nombreuses couches de maquillages, son long manteau léopard retombait à ses pieds chaussés de bottes en cuir noires. Elle se tenait droite comme un piquet et regardait autour d’elle jusqu’à ce que ses yeux tombent sur Taylor : sa bouche rouge vif lui sourit, sa main ridée ouvrit son manteau de fausse fourrure pour dévoiler une robe moulante au décolleté plongeant, et le malaise que Taylor ressentit lui fit rapidement détourner le regard. Parfois, les humains agissaient si étrangement qu’elle ne parvenait plus à les comprendre.
Le vigile salua les théurgistes d’un signe de tête et les fit entrer sous les protestations de quelques humains. À l’intérieur, l’ambiance était à son paroxysme, le secret du Daemonium résidait dans son organisation bien rodée : chaque semaine, un peuple différent était maître des lieux. Au vu du nombre d’humains présent et de l’odeur de sang qui flottait et saturait l’air, la semaine appartenait aux vampires. Ainsi, les diverses créatures profitaient pleinement de chaque soirée et s’ouvraient à de nouvelles cultures.
- Où est Roch ? demanda soudainement Jarek en regardant autour d’eux.
- Roch ? répéta Taylor. Celui qui te suit partout ?
Elle observa les alentours, imitée par Lev, mais aucune trace du nouveau alors qu’ils venaient à peine d’entrer dans le bâtiment. Taylor sourit intérieurement : elle n’avait pas pu espérer meilleure diversion pour s’éloigner et voguer à ses affaires. Elle proposa de se séparer pour le chercher : Lev partit en direction de la piste de danse, un étage plus bas ; Jarek regarda du côté des salles d’arcades et des chambres ; Taylor resta sur la partie supérieure et longea la rambarde jusqu’à atteindre la zone démoniaque délimitée par une barrière rouge et une sentinelle. Elle n’avait jamais été au-delà, car même si la boîte de nuit rassemblait toutes les créatures, les théurgistes et les démons restaient ennemis envers et contre tout. Dans les tréfonds de son esprit, une pulsion anima son corps et décupla ses sens le temps d’un battement de cœur. La sentinelle la fixa avec méfiance et s’apprêta à l’attaquer avec sauvagerie.
- Ouvre-moi !
Le démon obéit et ouvrit la barrière en la regardant étrangement : rares étaient les théurgistes à parler leur langue. Taylor entra dans une pièce entièrement insonorisée où seule la vitre sans tain qui donnait sur la piste de danse témoignait de l’effervescence du lieu. Elle avança prudemment, sa main prête à dégainer un poignard dissimulé dans son dos.
- Une théurgiste ici, en voilà une bonne surprise !
Un démon sous sa forme humaine entra par la porte qui desservait un réseau de chambres et se laissa choir sur le canapé. Deux démones entièrement nues vinrent se frotter à lui : elles déboutonnèrent sa chemise qui était aussi blanche que ses cheveux et ses yeux, puis entreprirent de lui retirer son pantalon. Taylor tourna la tête, très mal à l’aise, chez les théurgistes la tendance n’était pas au voyeurisme, à la différence de leur ennemi. Elle eut envie de vomir en entendant les bruits de succion accompagnés des gémissements rauques de l’homme et ceux aigus des femmes.
- Où est ton maître ? ? demanda-t-elle malgré tout.
Taylor avait reconnu l’homme pour l’avoir vu dans le livre de référencement démoniaque lors de ses recherches dans la bibliothèque du Centre. C’était un démon de la luxure dont le nom lui échappait, mais elle le savait membre du conseil au royaume d’As. Sa forme originelle était connue de tous : un être mi-ange, mi-démon chevauchant un dragon à deux têtes. Il n’était pas le plus dangereux de son peuple, néanmoins Taylor devait faire preuve de prudence, elle n’était pas en sécurité ici.
Le démon repoussa les deux femmes, se leva et rejoignit Taylor sans même prendre la peine de se rhabiller. Il passa sa langue de serpent sur ses lèvres et approcha sa main de son visage pâle alors que son expression trahissait un profond dégout. Elle le frappa dans l’abdomen avant qu’il ne la touche : le démon grogna de frustration, puis la prit à la gorge sans qu’elle n’ait eut le temps d’esquiver et la plaqua contre la vitre sans tain en serrant sa gorge jusqu’à ce que l’air ne puisse plus circuler dans son organisme. Taylor glissa sa main dans son dos, empoigna le manche de son poignard, le dégaina et le tint sous la jugulaire de son ennemi.
- Ça suffit ! ordonna-t-il en langue démoniaque.
Le démon lâcha immédiatement sa prise, permettant à Taylor de respirer à nouveau, et recula de quelques pas, soumis. Elle se mit en position de combat alors que sa raison lui dictait de ranger son arme et de faire profil bas, seulement elle était trop arrogante pour cela.
- J’ai dit : ça suffit !
Une puissante vague d’énergie déferla dans la pièce et entra dans son esprit. Il se tenait là, devant elle, aussi fort qu’impitoyable. Depuis son plus jeune âge, elle avait entendu parler de lui, des massacres qu’il avait faits et de la terreur qu’il semait sur son passage. Il était la puissance du peuple démoniaque, l’être qui avait permis un équilibre entre les dimensions, un équilibre fragile aux propriétés subtiles. Ades : le roi des démons, le roi du monde démoniaque, le roi d’As.
Taylor rangea son poignard sans pour autant se plia à sa volonté. Elle se tenait bien droite et aucun de ses muscles ne tressaillit sous la pression mentale qu’il exerçait, elle réussit même à repousser ses pouvoirs et à le faire reculer d’un pas, surpris. Ils se toisèrent, se jaugèrent, mais aucun ne faillit.
- Volac sort d’ici, ordonna son roi.
Ledit démon souffla la mine triste, puis obéit.
- Juste quand ça devenait intéressant…
- Volac !
- Ça va, je m’en vais ! Venez les filles, on va aller s’amuser ailleurs.
Les deux démones le suivirent en se déhanchant allégrement, l’une d’elles tenta de caresser le torse d’Ades à travers sa chemise noire, mais il lui prit le poignet, grogna et elle se replia sur elle-même jusqu’à tomber à ses pieds.
- Au plaisir de te revoir, délicieuse théurgiste ! la salua Volac avant de disparaître.
Taylor osa tourner le dos à Ades, lui offrant l’occasion de la tuer, sauf qu’il n’en fit rien. Le peuple théurgiste le répugnait, mais cette femme l’intriguait : aucune personne de normalement constituée pouvait faire barrage à ses pouvoirs, il était le démon le plus puissant, le roi. Alors comment une simple et banale théurgiste avait-elle pu réussir un tel prodige ?
- Qui es-tu ?
- En quoi ça te regarde ?
Elle ne prit pas la peine de lui faire face et continua de scruter la piste de danse où Lev venait d’y être rejoint par Jarek. Elle devait se dépêcher, le temps pressait et ce n’était pas en jouant l’arrogance qu’elle allait obtenir les réponses à ses questions.
- Que veux-tu, théurgiste ? demanda le démon en la regardant faire quelques pas dans la pièce.
L’amertume dans sa voix ne lui échappa pas et elle prit conscience des risques qu’elle prenait : elle se trouvait dans la zone réservée aux démons, à ses ennemis, et se tenait devant le plus puissant d’entre eux. Elle n’avait pas mesuré l’ampleur des conséquences que sa quête de réponses pouvait engendrer. Il ne lui restait plus qu’à espérer que l’animosité d’Ades à l’encontre de son peuple ne la mènerait pas à sa perte, mais au vu du regard qu’il posait sur elle, Taylor avait réussi à piquer sa curiosité.
- Je dois voir Baltazard.
Le roi tiqua, peu connaissaient la véritable identité de celui qui se faisait appeler le « maître des démons », même au sein des théurgistes où son identité était tue. Ades tenta une nouvelle fois de franchir les barrières de son esprit. Taylor le regarda froidement et s’approcha jusqu’à se tenir à quelques centimètres de lui. Elle repoussa sa tentative d’intrusion mentale avec force et eut le plaisir de voir les muscles de son visage tressaillir, mais un détail la surprit et la fit pâlir : elle reconnaissait ces yeux de feu et ces flammes qui dansaient ardemment jusqu’à l’hypnotiser. Il était le fruit de ses cauchemars, le démon qu’elle retrouvait dans la salle des sacrifices, le démon qui lui sauvait la vie en se liant avec elle. Des bribes de son rêve défilèrent devant elle, mais Taylor se ressaisit et ne laissa rien paraître.
- Je veux voir Baltazard, répéta-t-elle sans se défaire de son arrogance.
Une nouvelle vague d’énergie tenta d’envahir son esprit et passer outre les barrières qui protégeaient ses pensées, sa mémoire et son âme. Elle était forte mentalement, mais comme tout être vivant elle avait ses limites : l’irrigation de barrières protectrices était une tâche ardue que peu maîtrisaient, il fallait posséder l’équilibre parfait des éléments pour maintenir en place de telles défenses et repousser les intrusions. Taylor savait qu’elle n’avait aucune chance de gagner face aux pouvoirs et la puissance du roi d’As qui équivalaient tous les récits, mais ce qui était le pire pour elle était d’admettre qu’elle était à ses limites alors que le démon ne faisait que donner un rapide aperçu de l’ampleur de ses capacités. S’il ne s’arrêtait pas maintenant les chances qu’elle survive à un tel affront étaient faibles, mais le démon était bien décidé à entrer dans son esprit.
- Qui es-tu ? persista-t-il à demander.
Elle lui répondit par un regard plein de haine. Ades l’observa, la détailla et comprit : il refoula en lui son pouvoir et alla se poster devant la vitre sans tain. Taylor grimaça, l’énergie qui lui avait fallu pour le repousser était telle que la douleur de ses cicatrices se réveilla une nouvelle fois.
- Pourquoi souhaites-tu d’entretenir avec lui ?
- Ça ne te regarde pas, grogna-t-elle face à la souffrance qu’elle tentait de refouler.
Un son rauque sortit de la gorge du démon alors qu’il s’élança à une vitesse vertigineuse sur Taylor pour la projeter contre le canapé. Il se pencha au-dessus d’elle, la dominant de toute sa taille et plongeant son champ de vision dans les ténèbres où seules les flammes de ses yeux étaient visibles. Taylor tressaillit, non de peur, mais d’une étrange sensation qui résonnait au plus profond d’elle, une nouvelle pulsation similaire à celle ressentie en arrivant aux abords de la zone démoniaque. Elle aurait aimé comprendre de quoi il s’agissait, seulement Ades ne lui en laissa pas le temps : il agrippa sa gorge et rapprocha dangereusement son visage du sien.
- Un petit conseil, théurgiste : ne t’avise plus jamais de me manquer de respect, tu es peut-être adulé par ton misérable peuple, mais sache bien qu’ici tu n’es qu’un pauvre insecte.
Taylor déglutit et essaya de se dégager, mais le démon resserra davantage sa prise, réduisant la quantité d’oxygène qui atteignait ses poumons.
- Il me suffirait d’une simple pression pour te briser la nuque et crois-moi ce n’est pas l’envie qui me manque, alors je vais te demander pour la dernière fois : qui es-tu ?
- Taylor, où es-tu ? Nous avons retrouvé cet abruti de Roch, il faut qu’on rentre au Centre, lui signala Lev à travers leur lien d’affect.
- Ne compte pas sur son aide pour te sortir de là, il ne pourra rien pour toi, la seule chose qu’il récoltera sera la mort. Fais ton choix, théurgiste.
Taylor bouillonnait : le roi d’As pouvait entendre et ressentir le lien qui unissait deux théurgistes, jamais dans les livres démoniaques il n’avait été mention d’un tel pouvoir. Il était encore plus puissant que ce qu’elle et son peuple imaginaient. Elle n’avait donc pas le choix, elle devait mentir à Lev. Ce n’était pas une première, mais cette fois-ci alors qu’elle lui demanda de rentrer sans elle, quelque chose se brisa en lui.
Il faut croire que tu as plus de jugeote que la moyenne, mais ne crois pas pouvoir t’en tirer à si bon compte.
Ades donna une légère pression qui empêcha complètement l’air d’entrer dans sa gorge. Elle garda son calme et ne céda pas à la peur : s’il avait voulu la tuer, elle ne serait déjà plus de ce monde. Elle faisait preuve d’imprudence, sauf qu’elle ne pouvait pas se résoudre à se donner si facilement à un démon. Il approcha encore son visage du sien et huma son odeur, ses yeux s’écarquillèrent et la pression de sa main se relâcha. Taylor eut le plaisir de respirer à nouveau, elle en profita pour glissa sa main dans son dos et saisir son poignard, mais l’arme lui fut confisquée par Ades qui l’agita sous son nez.
- Tu comptais réellement me blesser avec un tel jouet ? Finalement tu es bien aussi misérable que le reste de ton sale peuple.
Le démon lança le poignard qui alla se planter dans la porte qui s’ouvrit sur un de ses semblables.
- Roi Ades, s’inclina-t-il.
Un bruit inhumain sortit de la gorge du démon alors qu’il gardait les yeux ancrés à ceux de Taylor.
- Votre présence est requise à As, roi Ades.
- De quoi s’agit-il ?
- Une urgence, roi Ades.
- Quelle d’urgence ?
- Pardonnez-moi roi Ades, je ne sais pas.
- Saleté ! jura-t-il en langue démoniaque
Il fit signe au démon de partir et relâcha Taylor. Elle se remit debout et s’empressa de rejoindre la sortie, mais il lui barra la route.
- La chance t’a peut-être sauvé ce soir, mais la prochaine fois je n’hésiterai pas à te tuer, théurgiste.
- Dis à ton maître Baltazard que Taylor demande à le voir, puis elle disparut une fois sortie de la zone démoniaque.
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