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tome 1, Chapitre 4 tome 1, Chapitre 4

Taylor, de retour au Centre, rejoignit sa chambre au quatrième étage en prenant garde à éviter Hektor qui l’attendait en bon président du Conseil qu’il était, elle n’avait pas le courage de lui narrer son entrevue avec la confrérie.

Le lendemain, elle fut réveillée par les cloches de la Cathédrale qui annoncèrent le lever du soleil. Elle aurait aimé pouvoir les décrocher afin de faire cesser ce vacarme et profiter de quelques minutes de sommeil en plus. Cependant, elles avaient de l’importance pour les humains et elle ne pouvait se résoudre à les leur enlever.

Les trois membres de la confrérie avaient, par leur grand pouvoir, créé une deuxième bâtisse en tous points identique à l’originale aux yeux des humains. Les théurgistes avaient élu domicile dans la véritable Cathédrale Saint-Guy : la seule physiquement présente dans ce monde. La réplique, apparaissant comme un voile pour les humains, avait beau être une copie conforme de l’originale, elle ne pouvait être reliée aux éléments et permettre aux théurgistes d’y être en sécurité. La Cathédrale avait été aménagée sur plusieurs étages : le rez-de-chaussée était occupé par la cuisine, la salle du Conseil, la salle de contrôle, l’infirmerie et la salle d’armes. Le premier étage était constitué uniquement des salles d’entraînements toutes identiques, tandis que le deuxième accueillait une gigantesque bibliothèque, ainsi qu’une salle d’arcade et une garderie pour les enfants en bas âge. Les chambres avec leurs salles de bains privées étaient réunies sur les trois derniers étages. Puis au sommet, sur une partie du toit, les théurgistes faisaient pousser des plantes médicinales qui venaient en soutien aux marques de soin. L’accès y était réservé, mais Taylor y allait parfois pour admirer la beauté que la nature avait à offrir. L’architecture extérieure de la Cathédrale était de style gothique et l’intérieur en reprenait certains codes : les murs et les colonnes étaient un rappel de la façade, les meubles un mélange très harmonieux et esthétique d’ancien et de moderne. L’ambiance générale dans le Centre était froide en raison de l’austérité du peuple théurgiste, mais les lumières quelque peu orangées atténuaient cet aspect terne et réchauffaient les lieux.

Taylor se prépara et descendit à la cuisine où Lev et d’autres théurgistes y mangeaient les bons plats préparés par Milada : une humaine dotée du souffle qui avait trouvé refuge au Centre, cinquante-deux ans plus tôt après que des démons aient massacré toute sa famille, et œuvrait depuis au bien-être des théurgistes et du Centre. Taylor avait toujours pu compter sur elle alors que son peuple et sa propre mère la rejetaient.

- Ça va ? demanda son affect à travers leur lien alors que les conversations avaient cessées dès qu’elle était entrée dans la pièce.

Elle hocha la tête à l’intention de Lev, quitta la cuisine avec une pomme à la main et se dirigea vers le hall. Elle croisa Viktor, le mari de Milada, une caisse à outils à la main. Son âge avancé ne lui permettait plus d’être sur le terrain, alors il se rendait utile au Centre en réparant, jardinant et soignant.

Un petit groupe passa devant Taylor : une femme la cogna de son épaule avant de lui cracha au visage toute l’amertume qu’elle avait pour elle. Taylor soupira face à ce comportement puéril et enfantin : depuis des années, elle subissait des traitements similaires, son peuple la détestait et quoiqu’elle fasse, rien n’y changeait. La théurgiste l’insulta pour la faire sortir de ses gonds et prouver à tout le monde le monstre qu’elle était. Taylor ne voulait pas lui donner se plaisir, mais à force de se contenir sa tolérance diminuait jusqu’à ne plus exister : elle dégaina une dague de son dos, animée par toutes ces années de retenue, et plaqua la femme contre le mur en appuya la lame contre sa gorge. La théurgiste suffoqua, envahit par la peur et tenta de se dégager, sauf qu’elle n’était pas de taille à rivaliser. Elle regarda ses amis pour espérer obtenir de l’aide, mais aucun d’eux n’intervint par crainte de représailles. Taylor aurait aimé la tuer, les tuer tous, ici et maintenant. Au lieu de ça, elle relâcha sa prise et rangea sa dague. La femme prit de grandes inspirations et s’éloigna avec les autres théurgistes en traitant Taylor de tous les noms. Celle-ci s’appuya contre le mur et ferma les yeux épuisés de toute cette haine et cette peur qu’elle inspirait à son peuple qui avait fait que s’agrandir au rythme des années. À mesure qu’elle vieillissait, elle devenait plus forte, mais au lieu d’avoir le respect et les encouragements de son peuple elle était réduite à l’état de monstre, celui que son père avait créé : une aberration de la nature, un être abject qui ne méritait pas de vivre selon les dires de bon nombre de théurgistes.

Des pas la tirèrent de ses pensées et Eliáš, le petit frère de Lev, apparut devant elle. Il lui donna un léger coup de poing dans l’épaule ce qui la fit sourire. Taylor appréciait la tête brûlée qu’il était, elle aimait bien l’entraîner dans des plans imprudents au plus grand désespoir de Lev.

- Tu n’es pas encore en cours, minus ?

- Toi non plus je te signale, mamie…

Ils rirent de bon cœur. Leur complicité n’égalait pas celle que Taylor avait avec son affect, néanmoins Eliáš avait la capacité d’ôter le poids qui pesait sur ses épaules.

- Tu sais, tu aurais dû lui trancher la gorge, elle l’aurait mérité cette garce !

- Eliáš…

- Quoi ? Je sais que l’idée t’a traversé l’esprit, ne me fais pas croire le contraire.

- Ça n’aurait servi à rien.

- Ils doivent arrêter de s’en prendre à toi impunément !

- Ce n’est pas si simple, Eliáš…

Le garçon ne comprenait pas, elle le voyait bien, après tout il était encore jeune et insouciant.

- La tuer n’aurait fait que leur donner raison, ça aurait prouvé que je suis qu’un monstre incapable de me contrôler, indigne de porter les marques de la confrérie. Ça m’aurait conduite au bannissement et à la mort.

- C’est eux qu’on devrait bannir et brûler vif !

- Qui comptes-tu brûler vif p’tit frère ?

Lev coinça la tête d’Eliáš sous son bras et lui ébouriffa les cheveux. Taylor les regarda se chamailler et une douleur lui piqua le cœur : leur relation en tant que membres d’une même famille était puissante, un lien qu’elle aurait aimé ressentir, comprendre et vivre, mais ses parents étaient tout sauf la famille idéale.

- Il est temps d’y aller, annonça-t-elle et elle se téléporta dans le parc qui jouxtait l’Université Charles de Prague.

Lev la rejoignit et sans un mot ils prirent la direction du campus où Taylor était en deuxième année à la faculté des sciences humaines et Lev en deuxième année à la faculté des sciences sociales. Leur parcours était similaire en plusieurs points, toutefois ce n’était pas le contenu qui les motivait : les deux théurgistes étaient en réalité en mission. Depuis de nombreuses années, des humains disparaissaient subitement sur leur lieu de travail et de formation. Ainsi, la confrérie avait exigé qu’un bon nombre de théurgistes se mêlent à eux pour observer et les protéger des démons. Ceux choisis pour cette mission rejoignaient d’abord les bancs des écoles au taux de disparition le plus élevé. Ils continuaient ensuite leurs études jusqu’à arriver à l’université où ils passaient leur diplôme pour enfin entrer dans le monde du travail. Même s’ils choisissaient des études et un métier dans lequel ils se plaisaient, la cause pour laquelle ils se battaient primait sur tout le reste : rien n’était plus important que la lutte contre les démons. Pour Taylor, c’était une parfaite occasion de se mêler aux humains, de les observer et de mieux les comprendre.

- Démon devant le bâtiment, annonça Lev à travers le lien.

- J’ai vu.

- Que penses-tu qu’il attend ? Un humain à enlever ?

- Possible, ce n’est pas la première fois que je le vois roder. Il va falloir le surveiller : tu t’en charges, vu qu’il est devant ton bâtiment ?

Lev acquiesça et les deux théurgistes se séparèrent : Taylor gagna l’amphithéâtre dans lequel elle avait cours et s’installa sur la rangée la plus en hauteur afin pouvoir observer tout le monde. Elle sortit son ordinateur de son sac et regarda les étudiants affluer : les populaires, les timides, les sportifs, les geeks, ceux qui souffraient en silence, ceux qui assistaient aux cours simplement pour trouver leur prochaine cible à afficher sur leur tableau de chasse. Taylor les voyait, ils n'avaient aucun secret pour elle. Elle les trouvait pathétiques dans leurs mimiques, leurs comportements, leurs paroles et leurs convictions, pourtant cette fascination ne la quittait pas : était-ce parce qu’elle n’avait jamais su trouver sa place au sein de son propre peuple ou était-ce justement sa différence qui l’attirait vers ces êtres inférieurs à tous les peuples qu’elle connaissait et côtoyait ?

Le professeur fit son entrée et le cours de psychologie débuta : Taylor prit des notes durant toute l’heure, puis décrocha lorsque la sonnerie retentit et que le cours d’économie commença. Elle sortit son carnet et griffonna dedans pour passer le temps. L’humain assis à un siège d’elle se pencha pour regarder ce qu’elle écrivait : il s’agissait des paroles prononcées par la confrérie et qui hantaient son esprit au point de ne plus pouvoir penser à autre chose. Axi avait évoqué le fait que son cauchemar n’en était pas réellement un, mais qu’il était son avenir. Faisait-elle des rêves prémonitoires ? Elle en doutait, pourtant les membres de la confrérie ne se trompaient jamais. Il avait également été question d’une prophétie, Taylor avait le vague souvenir d’en avoir étudié durant son apprentissage de théurgiste, mais il lui faudrait retrouver les livres dans lesquels elles y étaient recensées. Puis enfin les mots de Mroy : « Ton ennemi n’est pas toujours celui qui te ressemble le moins. Dans vos différences, vous êtes alliés, dans vos particularités vous êtes complémentaires. La mort arrive et avec elle la prophétie. ». Était-elle sujette à un terrible destin ? Allait-elle mourir dans les prochains jours ? Tant de questions sans réponses.

L’étudiant à sa gauche changea de siège et se rapprocha avec insistance. Une étrange sensation fit frissonner Taylor et elle se tourna vers l’humain qui semblait possédé : ses yeux nacrés avaient pris la forme de ceux d’un reptile et de ses lèvres s’échappaient des paroles que Taylor n’aurait pas dû être en mesure de comprendre, car il s’agissait de la langue des démons.

- Lw’axmreg rdegfqlwegtkeg lwax vhegrdiztkaxbslweg izdaegnotkiztkeg daeg lw’egtkrdeg, upnoeg axmreg daegmroynoizaxqlupeg rdegsutkegrdax ax jcaxmraxizsu daegmroynoizaxqlupeg.

Taylor scanna l’amphithéâtre rangée par rangée, mais ne vit aucun démon. Pourtant il était là, elle le savait, elle le sentait. L’humain tomba inerte contre la table : de ses yeux et sa bouche s’écoula une brume noirâtre qui prit la forme d’un corbeau avant de s’évanouir dans l’air. Taylor vérifia le pouls de l’homme, mais il ne pouvait être que mort, peu d’êtres pouvaient supporter l’intrusion d’un démon dans leur âme. Elle récupéra ses affaires et descendit les marches sous les cris et les pleurs des étudiants qui se rassemblaient autour du cadavre. Elle profita de l’agitation pour activer sa marque d’invisibilité et disparaître.

- Lev ! Où es-tu ?

- Dehors, je venais te chercher, il s’est passé un truc.

- Ici aussi. On se retrouve au Centre.

Elle se téléporta dans le hall où son affect l’attendait déjà. Ils se regardèrent et prirent immédiatement la direction de la salle du Conseil.


Texte publié par Aihle S. Baye, 9 juin 2023 à 11h06
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