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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

Une femme marchait sous le ciel noir, dénué d’étoiles et peuplé d’êtres qui voltigeaient en poussant des cris abominables. Autour d’elle, les édifices semblaient ne jamais arrêter leur course verticale. Les étages se succédaient et créaient des villes à part entière. Elle avançait dans un niveau suffisamment haut pour ne pas ressentir la chaleur extrême de la lave remuant en contrebas, bien que l’air, chargé de poussière noire, emplissait ses poumons tandis qu’elle se mêlait aux démons qui ne lui prêtèrent aucune attention. Au loin, les hurlements d’humains se répercutèrent en écho, son instinct prit le dessus et anneau plat aux côtés tranchants originaire d’Inde, apparu dans sa main. Elle avança, niveau par niveau, bravant la tempête de cendres qui soufflait jusqu’à atteindre le lieu des sacrifices, le berceau des âmes maudites, là où toutes vies débutaient véritablement dans la souffrance et la torture. Elle y trouva deux démons dans un état de transe alors qu’ils se nourrissaient des cris d’agonies des âmes. Sa colère et son dégoût lui donnèrent la force de lancer son chakram qui siffla dans l’air pesant de la pièce pour venir couper la tête du premier démon. Le second réussit, de par sa vivacité, à sortir de son état second et à la griffer profondément à l’abdomen : son sang chaud coula abondamment et bouillit au contact du sol rocailleux de la salle. Elle l’élimina et tomba à genoux vidée de toutes ses forces, incapable d’arrêter l’hémorragie. Elle se pensait mourir, elle se sentait mourir, alors elle se laissa envelopper par la chaleur insoutenable et les hurlements d’agonies des âmes humaines.

Tel un mirage, une main se posa sur sa joue, elle leva lentement la tête et put distinguer un être à l’apparence humaine, mais ses iris de feu trahissaient sa nature démoniaque. Il l’aida à se relever au prix d’une grimace, attestant de sa blessure, la regarda et approcha son visage du sien : elle ne bougeait pas, hypnotisée par les flammes qui dansaient dans ses yeux. Leur proximité mêlait leurs souffles et une brume épaisse aux couleurs semblables à la lave s’échappa de ses lèvres lorsqu’il expira. Elle sentit le nuage l’envahir, se glisser sur sa langue, dans sa gorge, dans son cœur et dans son esprit. Des souvenirs qui ne lui appartenaient pas défilèrent et la mort laissa place à la terreur : la pièce des sacrifices n’était qu’une caresse infligée avec une douce plume comparée aux horreurs qui se succédaient dans son esprit. La brume s’évapora, les souvenirs s’évanouirent, puis il se pencha à son oreille et lui murmura…

Taylor se redressa dans son lit l’esprit encore enfermé dans ses songes, mais le décor de torture avait disparu, il avait disparu. Elle repoussa la couverture de son corps en sueur, essuya son front du revers de la main et écarta ses longs cheveux noirs bleutés collés à son visage, puis les battements de son cœur délivrés du cauchemar reprirent doucement un rythme plus régulier. Depuis de nombreux mois, Taylor se retrouvait propulsée dans ce lieu à la fois sinistre et fascinant de par son agencement dès lors qu’elle cherchait à s’endormir. Il s’agissait d’As : le royaume démoniaque, reconnaissable d’après les récits des innombrables ouvrages de la bibliothèque du Centre. Le sens de son cauchemar lui échappait, tout comme les mots qui lui murmuraient, et cela l’épuisait aussi bien physiquement que mentalement. Elle avait songé à utiliser la marque de sommeil gravée le long de son bras gauche pour dormir d’un sommeil paisible, mais elle ne pouvait s’y résoudre : le pouvoir de la marque était trop puissant, elle dormirait jusqu’au rétablissement complet de son corps et rien ne pouvait annuler processus une fois enclenché.

Taylor quitta la chaleur étouffante de son lit, gagna sa salle de bain privée et se glissa sous la douche où l’eau froide chassa les dernières images de son cauchemar. Il était tard dans la nuit, le soleil ne se lèverait pas avant plusieurs heures, sauf qu’elle était incapable de se rendormir alors elle s’habilla, récupéra sa veste en cuir posée sur son fauteuil, ferma les yeux et se concentra pour atteindre dans son esprit la partie connectée aux marques qui ornaient son corps : elles étaient la magie des éléments, reliée aux trois membres de la confrérie, que les théurgistes contrôlaient mentalement. La marque de téléportation, gravée sur sa jambe droite, brilla à travers son vêtement et Taylor disparut sans bruit.

Elle se matérialisa au sommet de la tour de télévision de Prague dans le quartier Žižkov : le plus haut sommet de la capitale et son endroit préféré. Elle se laissa choir, les jambes dans le vide, et activa, malgré le ciel étoilé, sa marque d’invisibilité. De là-haut, la vue panoramique sur la ville la faisait se sentir si petite face à l’immensité du paysage. Elle aimait venir ici pour réfléchir ou simplement pour écouter le vent transporter le hululement d’une chouette, mais malgré la nuit calme et reposante, cela ne suffisait pas à chasser la désagréable sensation que Taylor ressentait à chaque nouveau cauchemar : quelque chose d’une ampleur colossale se préparait et, pour la première fois en vingt-deux ans d’existence, elle avait peur.

Les minutes devinrent des heures et bientôt le soleil apparut à l’horizon. Taylor allait devoir quitter son perchoir et retourner à la mission qui incombait à son peuple : protéger les humains et les créatures magiques des démons. Elle était une puissante théurgiste perfectionnant sans cesse ses techniques de combats et renforçant quotidiennement son esprit dans le but de décupler le pouvoir des marques.

- Taylor ?

Une voix grave résonna dans son esprit, accompagnée d’un afflux de magie qui chassa le pesant sentiment de solitude qu’elle ressentait.

- Salut Lev.

- Il faut que tu rentres au Centre.

- Un problème ?

- Un message pour toi.

- J’arrive.

Lev était son meilleur ami depuis dix ans, depuis le jour où il était venu habiter au Centre après son initiation. À cette époque, il était un garçon effrayé avec la peur constante d’être jugé et rejeté par son peuple à cause de sa famille : sa mère était une humaine dotée du souffle, cette capacité à voir au-delà des limites du monde terrestre, à percevoir la magie et les créatures magiques. Taylor avait été à sa rencontre pour le préserver des regards haineux et de la solitude qu’elle-même subissait. Au fils dans années, ils avaient construit une forte amitié et lorsque qu’ils avaient atteint leur majorité, ils s’étaient choisis en tant qu’affect : ils s’étaient unis l’un à l’autre par la marque qui liait leur esprit et créait le pouvoir de communication. Il avait fallu un temps d’adaptation aux deux jeunes affects pour contrôler ce lien si spécial : ils durent apprendre à canaliser leurs pensées et leurs émotions pour ne pas submerger l’esprit de l’autre. Un entraînement adapté à leurs nouvelles capacités leur avait été imposé et ils s’y étaient adonnés avec ardeur. Aujourd’hui, ils étaient en parfaite harmonie et contrôlaient remarquablement bien leur lien.

Elle sourit à ses souvenirs, puis activa sa marque d’agilité tout en conservant celle d’invisibilité, puis prit une grande inspiration et se laissa tomber dans le vide : les yeux grands ouverts, elle profiter du spectacle et savoura la sensation du vent lui figer le visage et plaquer ses vêtements contre son corps. À quelques mètres de la terre ferme elle se redressa à la verticale, maintint actives les marques par la force de son esprit et se posa sur le trottoir bétonné en toute tranquillité. Elle vérifia qu’aucun humain doté du souffle ne l’ait aperçue et se téléporta à la Cathédrale Saint-Guy : le quartier général et la résidence des théurgistes. Les Cathédrales étaient majoritairement construites aux endroits où l’énergie des éléments y était la plus forte pour assurer la sécurité des théurgistes et favoriser leur utilisation de leurs marques. À l’intérieur, l’architecture était celle d’origine : les murs étaient en pierre claire avec de larges colonnes pour soutenir la structure, le sol était en bois et les lustres installés à égale distance donnaient un aspect jaunâtre et une ambiance chaleureuse.

- Alors ? s’enquit-Taylor en apparaissant dans le hall où Lev l’attendait accoudé au mur.

- Tu as encore fait un cauchemar ? supposa-t-il.

- Ce n’était rien.

- Tayl…

- Je vais bien, le coupa-t-elle.

Taylor n’était pas du genre à se confier : elle avait appris à ses dépens à se méfier des personnes qui l’entouraient, et même si Lev était son meilleur ami et son affect, une part de doute résidait en elle et l’empêchait de se livrer, ce qui le faisait souffrir.

- Alors ce message ?

Lev lui indiqua les portes rouges à quelques pas d’eux.

- Je vois…

Taylor n’appréciait guère le Conseil et c’était réciproque. Ils étaient là pour faire le lien entre la confrérie et le peuple théurgiste. Il était constitué de cinq membres, dont Lenka, sa mère. Elle soupira et traîna des pieds pour rejoindre ladite salle : la main sur la poignée, elle entra sans prendre la peine de s’annoncer.

- Merci d’annonce sa présence avant d’entrer dans la salle du Conseil, rappela Lenka en usant de son statut pour paraître supérieur à sa fille.

- Il y a un message pour moi ? demanda Taylor à Hektor, le président du Conseil, en s’avançant au centre du cercle qui faisait face à l’estrade.

- C’est exact.

Il posa une enveloppe cachetée sur son pupitre : elle la récupéra et hésita à l’ouvrir.

- Aurais-tu l’amabilité de nous faire part de son contenu ? lui demanda Lenka en contenant ses émotions pour ne pas laisser transparaître l’animosité qu’elle ressentait pour sa progéniture.

- Lenka, la mit en garde Hektor, conscient du dégoût que lui procurait sa fille.

De son plus vieux souvenir, Taylor l’avait toujours connue ainsi : acerbe, dégoûtée, méchante en essayant de paraître supérieur à elle. Cela l’avait longtemps affectée, puis elle avait grandi et maintenant son comportement à son égard l’indifférait.

- La confrérie veut me voir, répondit-elle en lisant les quelques lignes inscrites d’une écriture fine et délicate.

- Quand ? s’empressa de demander Andrej.

La simple vue de cet homme répugnant aux tendances perverses donnait à Taylor des envies de meurtre. Néanmoins, elle s’abstint de le tuer : une mission plus urgente l’attendait.

- Ce soir.

- Lev t’accompagnera, décida Hektor.

Taylor serra les dents, elle détestait la méfiance de son peuple à son égard, ils la traitaient de monstre, la regardaient comme tel, mais au fond elle n’était pas si différente d’eux.

- Je dois y aller seule.

- Ce n’est pas à toi d’en décider, répliqua Lenka en lui lançant un regard menaçant.

- Il est noté que je dois venir seule.

- Bien, alors va, conclut le président.

Taylor ne s’éternisa pas davantage et se dirigea vers la sortie, pressée de mettre de la distance avec le Conseil, mais quelqu’un lui attrapa le bras alors qu’elle se trouvait sur le pas de la porte. Klement la regarda avec intensité et l’emmena à l’égard, dans un coin reculé de la pièce à l’abri des oreilles indiscrètes du reste du Conseil. C’était un homme quelque peu étrange, mais très gentil. Il était né de parents humains sans aucun don pour le souffle : un phénomène extrêmement rare qui traduisait pour certains un miracle. Ce n’était pourtant pas l’avis de Klement qui avait vécu une grande partie de sa vie en pensant être totalement fou et schizophrène, voire hypocondriaque : il fut enfermé dans un asile durant de nombreuses années avant d’obtenir un emploi comme médecin légiste. Les théurgistes du Centre étaient venus à sa rencontre, lui avaient appris tous de sa nature et lui avaient donné la possibilité de siéger au Conseil malgré son instabilité mentale.

Taylor appréciait le regarder errer dans les couloirs en se parlant à lui-même et en ayant cure des jugements qu’on lui portait. Elle enviait cette capacité, elle-même n’arrivait pas à faire abstraction des remarques et des insultes, même si elle affirmait le contraire.

- Klement ?

- Tu vas au cimetière n’est-ce pas ? Aurais-tu la gentillesse de… chut, je parle à Taylor… de déposer ça sur… oui, mais attend ! Tu vois bien que je discute… sur la tombe… ça suffit Allyster… de mes parents ?

Une profonde tristesse se lisait dans ses yeux et résonnait en Taylor : la perte, la solitude, la douleur, c’étaient des notions qu’elle avait expérimentées et qui ne disparaissent jamais complètement.

- Bien sûr, compte sur moi.

- Merci Taylor.

Elle lui sourit et récupéra le paquet, puis Klement regagna son siège en murmurant des paroles à l’ami que lui seul voyait. Taylor franchit la porte et soupira lorsqu’elle se referma dans son dos.

- Ça va ? se soucia Lev, le dos appuyé contre le mur opposé.

- Elle me fatigue…

- Qu’a-t-elle encore dit ?

- Ce n’est pas tant ses propres, mais son ton. Elle veut tellement paraître supérieure…

- Que disait le message ? demanda-t-il pour changer de sujet.

- La confrérie veut me voir ce soir.

- Sais-tu pourquoi ?

- Non.

En réalité, elle supposait que c’était en rapport à ses cauchemars quotidiens, mais elle ne fit pas part de sa théorie à Lev : elle ne les lui avait jamais expliqués par peur et surtout parce qu’il allait essayer de l’aider. Taylor n’était pas sûr de vouloir connaître l’origine et la signification de ses cauchemars, même si elle avait l’intime conviction que ce soir tout changerait.


Texte publié par Aihle S. Baye, 6 juin 2023 à 14h41
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