«

»

La nuit était sur le point de tomber, Feng embrassa le front de sa fille qui plongeait déjà dans un profond sommeil, puis quitta le QG de Dragon en silence. Elle rejoignit le repère de la Triade Huo où Shi Shun, la grand-mère de Shu-Fang, l’attendait en haut des marches du Hall du feu ardent. Elles se saluèrent, puis s’installèrent dans la pièce Rouge.

- Que puis-je faire pour vous, Liu Feng ?

- J’ai un projet dont je souhaite vous faire part.

- Je vous écoute.

Shi Shun était une femme aimante avec le cœur sur la main et toujours prête à venir en aide aux autres. Pourtant, elle était mariée au Tak khunn de la Triade Huo et connaissait les activités de l’organisation, bien qu’elle restait en retrait des prises de décisions et assistaient que rarement aux réunions. Autrefois, son métier consistait à tisser la soie, aujourd’hui elle faisait du bénévolat dans des associations et participait à l’élaboration d’événements caritatifs.

- J’ai pour projet de créer une fondation pour venir en aide aux enfants atteints de maladie rare ou peu connue.

- Pourquoi choisir cette cause ?

- Ma propre fille est atteinte d’une maladie rare, répondit Feng sans s’étendre sur le sujet.

Shi Shun la fixa avec intensité à la recherche de la supercherie. Elle connaissait les personnes comme Liu Feng qui évoluait dans un monde violent dépourvu de limites.

- Quel est l’intérêt derrière ? À quoi vous servira réellement cette fondation ?

Feng sourit et Shi Shun ressentit le frisson de la peur glisser le long de sa colonne vertébrale.

- Ne vous encombrez pas des détails, lui dit-elle sans se défaire de son sourire en coin.

- Vous venez me solliciter, j’exige donc de connaître la réelle fonction de la fondation.

Feng savait qu’elle était digne de confiance, car elle n’avait jamais trahi son mari et la Triade Huo, alors elle répondit à sa requête.

- La fondation couvrira les fonds obtenus des activités de nos deux organisations, affirma-t-elle avec assurance.

- C’est donc votre but premier, conclut Shi Shun déçue.

- Vous connaissez ce monde, vous savez comment il fonctionne. Pourtant, j’ai décidé de venir en aide à des enfants malades et vous osez paraître dégoutée ?

- Vous faites ça pour votre propre intérêt.

- Vous pensez peut-être que je suis dépourvue de cœur, d’émotions et que je connais uniquement la violence, répliqua Feng le visage fermé et la voix tranchante. Vous n’avez pas la moindre idée de ce que j’ai vécu. Oui, la fondation est un moyen de masquer nos activités illicites, affirma-t-elle, mais je souhaite avant tout la créer pour que ma fille et d’autres enfants puissent être encadrés et accompagnés pour qu’ils puissent avoir un avenir.

Contre toute attente, Shi Shun sourit avec bienveillance, puis se leva et tendit sa main en direction de Feng. Elle fut d’abord déconcertée, mais reprit ses esprits et se leva à son tour pour sceller leur alliance sur ce projet.

- Pardonnez-moi pour ma conduite, je souhaitais m’assurer de votre motivation à l’égard de ce projet, avoua-t-elle doucement. Je serais ravie de vous apporter mon aide.

- Merci.

Elles se quittèrent devant le Hall du feu ardent en s’inclinant mutuellement, puis Shi Shun retourna dans la pièce Rouge.

- Feng ! l’appela Shu-Fang alors qu’elle regardait les Hommes de la Triade Huo se préparer pour l’attaque.

Elle le rejoignit sans savoir quel comportement adopter : devait-elle simplement s’incliner devant lui ? L’embrasser ? Ils n’en firent rien et évitèrent même toutes formes de salutations. C’était plus simple, mais Feng ne put s’empêcher de se poser des questions quant à ce qu’ils représentaient l’un pour l’autre.

- Il y a un problème ? demanda-t-il soucieux.

- Aucun.

- Alors que faisais-tu avec ma grand-mère ?

- Nous parlions affaires.

- Quelles affaires ?

Feng haussa les épaules et s’éloigna en souriant. Shu-Fang la rattrapa et lui coupa la route.

- Dis-moi.

- Non, répondit-elle en le contournant.

- Feng ! s’exclama-t-il.

Elle rit, ce qui frustra davantage Shu-Fang. Toutefois, il ne comptait pas abandonner si vite. Il la rattrapa, mais au lieu de lui barrer la route, il passa ses bras autour de sa taille, la tient fermement contre lui et murmura à son oreille.

- Dis-le-moi.

- Non, dit-elle en se tournant pour lui faire face.

- Pourquoi ne veux-tu rien me dire ?

Elle se mit sur la pointe des pieds, s’approcha de son oreille et lui chuchota qu’il s’agissait d’un secret, puis elle déposa un baiser sur sa joue et rejoignit le parking où les Hommes étaient regroupés. Shu-Fang ne put s’empêcher de sourire en la suivant.

- Le groupe de Feng et Shu-Fang vous passerez par les hauteurs, vous trouverez tout ce qu’il faut là-dedans, informa Shi Shen en jetant devant eux des sacs remplit d’armes blanches et de cordes. Le groupe de Vitali prendra l’entrée sud et mon groupe ira à l’entrée nord. Nous devrons agir simultanément au signal de Sacha.

- Ne laissez personne vous échapper et ne faites aucun prisonnier, ajouta Feng.

- Que le feu nous guide et accompagne nos lames ! s’exclama Shu-Fang.

Les soldats répondirent par un cri de guerre, puis montèrent dans les véhicules. Feng interpela Shi Shen avant qu’il prenne place à son tour dans l’une des voitures et l’entraîna à l’écart.

- Si vous avez le moindre doute concernant Arkadi, mettez le K.O. Si vous le voyez nous trahir, tuez-le.

- Je vais le surveiller de près, acquiesça-t-il.

Ils prirent place dans les voitures blindées et s’engagèrent dans la nuit noire pour rejoindre le repère de la Triade 14K avec une seule idée en tête : faire couler le sang.

Feng se concentra pour éteindre ses émotions et laisser son instinct de tueuse prendre le dessus. Elle sourit en voyant les soldats à côté d’elle déglutir sous le poids de son aura, consciente du danger qu’elle représentait et des actes qu’elle s’apprêtait à commettre.

Les véhicules s’alignèrent le long d’un trottoir près du repère de la Triade 14K et attendirent le feu vert.

- Sacha, les caméras, ordonna d’une voix glaciale Feng en appuyant sur son oreillette.

- J’y suis presque, l’informa-t-il. C’est bon ! Caméras neutralisées, vous pouvez y aller.

Les voitures accélèrent et encerclèrent le repère, puis les Hommes descendirent et se séparèrent en trois groupes. Feng et Shu-Fang guidèrent en silence le leur jusqu’au bâtiment voisin où ils prirent le temps d’observer, dissimulés derrière un muret, si des soldats montaient la garde.

- Les hauteurs sont dégagées, indiqua Shu-Fang en appuyant sur son oreillette.

- Mettez-vous en place, répondit Shi Shen.

Ils évaluèrent la distance qui séparait le toit des deux bâtiments, reculèrent pour prendre de l’élan, sautèrent et se réceptionnèrent avec une roulade. En silence, ils se positionnèrent autour de la porte et attendirent le signal pour entrer.

Progressivement, le bâtiment était encerclé par des Hommes armés et capables d’éteindre leurs émotions pour devenir de véritablement tueur surentraîné. La Triade 14K, aussi forte fût-elle, ne pouvait pas survivre au massacre qui se préparait.

- Gōng dă ! s’exclama Shi Shen et l’assaut débuta.

Les trois équipes ouvrirent les portes simultanément et pénétrèrent dans le bâtiment avec rage et détermination. Feng et Shu-Fang, en première ligne de leur groupe, évoluèrent avec aisance à travers les étages pendant qu’en bas les cris de guerre retentissaient. Sacha avait récupéré les plans du bâtiment et identifié le bureau du Tak khunn au dernier étage, protégé par des soldats. Leur groupe avait pleinement conscience du bain de sang qui allait suivre, et tous en avaient déjà les yeux brillants d’excitation. Ils trépidaient d’impatience à l’idée de détruire leur ennemie, mais Feng et Shu-Fang les calmèrent d’un signe de la main. Ils devaient être prudents pour limiter au maximum les pertes dans leur rang.

L’agitation au rez-de-chaussée alerta les étages supérieurs et les membres se dispersèrent pour aider leurs frères d’armes. Le groupe de Feng et Shu-Fang en profita pour continuer d’avancer et de se faufiler à travers l’environnement. Ils se positionnèrent à des endroits stratégiques, sortirent leurs armes et attendirent le moment opportun pour attaquer.

Shu-Fang acquiesça et Feng retira sa manchette pour laisser apparaitre son tatouage de son bras gauche, puis ils se jetèrent hors de leur cachette et tranchèrent la gorge des premiers Hommes de la Triade 14K. Le sang gicla et recouvrit leur visage dénué de toutes émotions. La surprise fit réagir les autres soldats qui empoignèrent fermement leur arme et se jetèrent avec un cri de guerre contre l’ennemi qui venait les assaillir. Un combat féroce s’engagea, le spectacle qu’ils offraient pouvait s’apparenter à une danse finement chorégraphiée et répétée : leurs gestes étaient d’une précision inégalable et chaque mouvement de leur adversaire était anticipé. La neutralité de leur visage, leur rapidité, leur force fit naître chez leur adversaire une peur venue des profondeurs de leur être. Elle était si puissante que certains se paralysèrent en attendant que leur vie leur soit arrachée.

- Pitié, implora un homme à genou et le visage baigné de larmes.

Feng prit son menton entre ses doigts, releva sa tête et examina son reflet recouvert de sang dans ses yeux : la mort. C’était ce qu’elle incarnait, le dernier visage que ses ennemis voyaient avant de quitter ce monde de sa main. Elle leva son bras, approcha son sabre contre la jugulaire de l’homme, sourit et lui trancha la gorge. Elle le regarda tenter d’arrêter l’hémorragie avec ses mains, mais il était déjà trop tard, l’oxygène lui manquait et il finit par s’éteindre les yeux fixés sur Feng.

Elle continua son ascension jusqu’à atteindre le bureau du Tak khunn en tuant tout ennemi sur son passage, ne laissant derrière elle que des cadavres. Shu-Fang arriva à ses côtés, ils se regardèrent, mais dans leur état, ils étaient comme des étrangers. Ils avancèrent ensemble et tuèrent les derniers Hommes qui se dressaient sur leur chemin, puis atteignirent enfin le bureau où le Tak khunn se retranchait lâchement. La porte céda sous les coups d’extincteur et ils entrèrent pour faire face au chef.

- Tak khunn de la Triade 14K, je te condamne à la mort pour la lame, annonça Feng d’une voix grave et autoritaire.

Il laissa tomber son arme, écarta ses bras et sourit. Son plan avait fonctionné et sa mission allait pouvoir s’achever à travers sa mort. Feng s’approcha lentement, son sabre tendu devant elle et s’arrêta lorsque la pointe de la lame vint toucher la poitrine de l’homme.

- Tes dernières paroles, réclama-t-elle.

- Je n’étais qu’un pion sur le plateau, avoue-t-il sans fierté. Nous t’avons approché, nous t’avons éloigné de tes priorités et la porte s’est ouverte.

Feng l’écouta attentivement : les paroles d’un condamné étaient toujours synonymes de vérité, mais le sens de celles-ci lui échappait.

- Il se prépare. Il sera bientôt prêt. Il sera bientôt là, dit-il la voix tremblante de peur.

- Qui ? ne put-elle s’empêcher de demander.

- Tu le sais, tu le connais bien.

Feng plaça la lame de son sabre contre la jugulaire du Tak khunn et attendit qu’il prononce le nom qu’elle redoutait d’entendre.

- Ladislas von Keyserling.

Un geste précis et rapide de son bras trancha sa gorge, son corps tomba et il succomba dans son propre sang. Feng appuya sur l’oreillette à son oreille et informa les troupes.

- Le Tak khunn de la Triade 14K est mort.

- Il vous reste peu de temps, la police approche, informa Sacha.

Elle se pencha au-dessus du corps, déchira son vêtement d’un coup de sabre, entailla sa chair au niveau de son cœur et coupa le carré de peau sur lequel le tatouage de la Triade figurait. Elle l’enveloppa dans un bout de tissu et le plaça dans sa poche, puis se leva et alla finir de tuer les derniers survivants, Shu-Fang sur ses talons.