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Feng avait veillé toute l’après-midi sur sa fille, tandis que Shu-Fang était retourné à la Triade Huo pour répondre de ses occupations. Ils étaient maintenant assis dans la cafétéria de l’hôpital et mangeaient des en-cas achetés au distributeur pendant que Yeva se reposait dans sa chambre.

- Quand quittes-tu Dragon ?

- Je n’ai pas encore de date précise, j’ai des choses à finaliser avant de partir.

- Tu as quelque chose en tête, supposa-t-il.

- En effet, je t’en parlerai en temps voulu, lui promit-elle.

Il acquiesça, but une gorgée de son café et le silence s’installa, mais il finit par reprendre la parole.

- Est-ce récurrent qu’une identité blesse Yeva ?

- Ce n’est pas la première tentative d’Edmée.

- As-tu remarqué son regard ?

Feng eut un sourire fugace, puis regarda Shu-Fang droit dans les yeux.

- Bien sûr que tu l’as remarqué. Tu as déjà tout prévu, devina-t-il.

- Yeva ne fonctionne pas différemment de nous : les identités sont simplement des fragments de personnalité qui auraient dû être rassemblés en une seule entité.

- Pourquoi lui interdis-tu l’entraînement complet ?

- C’est encore trop tôt. Chaque identité à un âge, une force physique et un caractère très différent, expliqua-t-elle. Il faut d’abord développer le mental et le physique du corps pour renforcer la cohésion entre les identités.

- En étant plus soudées, elles évolueront plus vite, compléta Shu-Fang.

- Exact. Dès l’instant où les identités sont apparues, une hiérarchie s’est automatiquement créée. Anushka contrôle le plus souvent le corps, car elle évolue en même temps que lui. Ruby est comme la protectrice, celle qui prend le contrôle quand la situation devient compliquée à gérer.

- Et Edmée dans tout ça ?

- Elle est totalement en retrait, Ruby l’empêche de prendre le contrôle du corps pour qu’elle ne le blesse pas.

- Sauf que ce n’est pas la solution, fit remarquer Shu-Fang. La clé c’est l’agonie d’Edmée.

- Oui, c’est elle qui permettra de lui offrir la capacité d’éteindre ses émotions et ses sentiments.

- Pour faire d’elle une tueuse, compléta Shu-Fang. Dans ce cas, pourquoi ne pas commencer l’entraînement complet maintenant ?

- Les identités doivent se faire confiance et se développer ensemble, sinon Edmée prendra le contrôle permanent du corps et deviendra inarrêtable.

- Les entraînements aux arts martiaux et aux maniements des armes vont suffire pour créer cette connexion ?

- Ça prendra du temps, mais ça fonctionnera.

- Comment peux-tu en être si sûr ?

Elle sourit, but une gorgée de son café et continua ses explications.

- L’entraînement que la mafia russe m’a donné était quelque peu différent des autres novices. J’ai été entraîné plus durement et plus longtemps.

- Pourquoi ?

- La peur.

Shu-Fang fronça ses sourcils et une petite ride apparut sur sa peau lisse.

- La peur d’un coup d’État, précisa-t-elle. Un parrain d’une mafia est forcément très méfiant et n’a confiance en personne, pas même en son propre enfant. Dès l’instant où j’ai débuté mon entraînement, j’ai compris que sa méfiance ne ferait que s’accroître par peur que je veuille prendre de force sa place.

- Donc il a fallu s’assurer que tu deviennes un soldat obéissant en t’entraînent plus durement.

- Oui, mais ça a eu l’effet inverse, dit-elle fièrement. J’étais parfois torturée pendant des jours sans recevoir la moindre goutte d’eau. Il m’emmenait aux portes de la mort et me ramenait dans les dernières secondes. Il pensait mieux me contrôle, mais c’est le contraire qui s’est produit, rit-elle.

Shu-Fang l’écoutait attentivement, sans comprendre le lien entre le passé de Feng et le cas de Yeva.

- Plus on me torturait, continua-t-elle, plus je devenais une menace. J’ai commencé à m’auto-analyser, à chercher à comprendre le processus qui nous transforme en tueur dénué d’émotions et de sentiments. Puis j’ai ensuite torturé et observé attentivement les novices pour aller plus loin dans mes recherches. J’ai fini par comprendre que la part rationnelle de notre personnalité devait être dans un profond état de détresse pour s’abandonner totalement à l’instinct tueur qui nous habite.

- Le cas de Yeva étant plus complexe, il faut d’abord renforcer les identités pour qu’elles se fassent confiance, expliqua Shu-Fang en suivant le raisonnement de Feng. Ensuite, l’entraînement pourra continuer et grâce à Edmée l’instinct tueur surgira.

Feng acquiesça. C’était un processus complexe qui demanderait du temps, mais le résultat en valait la peine. Cela pouvait sembler atroce comme agissements, sauf que le monde dans lequel ils vivaient était encore pire. C’était l’unique manière pour que Yeva soit capable de se défendre et d’agir si un danger survenait. Feng ne faisait que lui donner les clés pour survivre.

Ils finirent de déguster leur boisson en silence, puis soudain Feng sentit un frisson la parcourir. Elle regarda autour d’elle, mais la cafétéria était vide à l’exception d’un agent d’entretien.

- Un problème ? demanda Shu-Fang en suivant son regard.

- Il se passe quelque chose. Retournons voir Yeva.

Ils se levèrent et se précipitèrent dans l’ascenseur qui les ramena à la chambre. Feng sortit son couteau et le tint fermement en pénétrant dans la pièce. Elle regarda à gauche et à droite avant de ranger son couteau et de se précipiter auprès sa fille.

- Tout va bien ? lui demanda-t-elle.

Elle n’obtint aucune réponse. Yeva regardait ses mains, absente. Shu-Fang suivit son regard et vit le papier qu’elle tenait. Il posa sa main sur la sienne pour la réconforter et récupéra l’objet de son mutisme : une carte de visite avec un logo imprimé dessus. Feng le reconnut immédiatement, c’était le symbole de la Triade 14K.

- Yeva, as-tu vu leur visage ?

- Non, répondit-elle en levant la tête pour croiser le regard de sa mère.

- Ont-ils dit quelque chose ?

- Oui, qu’il n’y aura plus d’avertissement et que la prochaine fois le sang coulera, mon sang coulera, répondit-elle les larmes aux yeux.

Elle serra sa fille contre elle et la rassura avec des paroles douces, tandis que ses propres yeux avaient perdu toutes traces d’humanités. Elle la borda, puis s’éloigna de quelques pas pour téléphoner. Shu-Fang la rejoignit pour l’empêcher d’agir précipitamment.

- Si quelqu'un t'a fait du mal, ne cherche pas à te venger. Va t'asseoir au bord de la rivière et bientôt tu verras passer son cadavre, cita-t-il.

- Si on ne riposte pas, l’organisation va s’effondrer. Je dois leur montrer qui je suis et ce dont Phénix est capable.

Il réfléchit, puis capitula, préférant agir avec elle, plutôt que la laisser affronter seule une Triade.

- Dis à tes hommes de venir à la Triade Huo pour préparer le plan d’attaque.

Feng tourna la tête vers sa fille qui dormait profondément et l’inquiétude la submergea.

- Des hommes viendront assurer sa sécurité jusqu’à ce qu’elle puisse quitter l’hôpital. Il ne lui arrivera plus rien, lui assura-t-il.