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tome 1, Chapitre 19 tome 1, Chapitre 19

Feng reposa son couteau sur le chariot sans se défaire de son regard meurtrier, puis Shi Shu-Fang appela ses Hommes pour leur ordonner de nettoyer et de se débarrasser du corps de Vyacheslav.

- Faites parvenir ceci à cette adresse, leur demanda Feng en leur confiant une boîte contenant les ongles du cadavre qu’elle avait soigneusement ramassé.

- Ce sera fait, acquiescèrent-ils en s’inclinant.

Feng quitta ensuite la pièce et gagna les toilettes de l’hôtel pour nettoyer le sang sur ses mains et les gouttes séchées sur son visage. Shu-Fang entra avec elle et l’observa ses gestes : elle était encore dans un état second, tout comme lui. Il était difficile de retirer les barrières mentales et de faire revenir les émotions. Shu-Fang n’avait pas torturé cet homme, mais ça ne faisait aucune différence, il avait assisté et joué son rôle dans sa mort. Il ne regrettait pas, il ne regrettait jamais, mais après une telle scène, il était souvent plongé dans un néant où la solitude et le noir l’envahissaient. C’était les conséquences de leur capacité à pouvoir éteindre une partie de leur cerveau et de leurs émotions, mais en la regardant, il se sentit moins seul.

Il s’approcha d’elle, passa ses bras autour de sa taille et l’enlaça en enfouissant son visage dans son cou. Feng suspendit ses gestes et le regarda dans le miroir : il semblait fatigué et perdu dans le lointain. Ils venaient de deux organisations différentes, mais leur apprentissage avait été similaire et son état faisait écho au sien.

- Ne dis rien, la coupa-t-il avant même qu’un seul son ne traverse ses lèvres. Restons simplement comme ça, s’il te plait.

Un léger sourire se dessina sur son visage, elle lui fit face, passa à son tour ses bras autour de sa taille et posa sa tête contre sa poitrine pour entendre son coeur battre. Il la serra davantage contre lui et se laissa enveloppé par cette sensation de chaleur.

- Nous devrions remonter, annonça-t-elle quelques minutes plus tard en se détachant à regret de lui.

Il acquiesça et ils reprirent le chemin de l’ascenseur jusqu’à la suite où le calme y régnait et donnait l’impression que le temps s’était suspendu. Feng s’apprêta à rejoindre sa chambre, mais Shu-Fang la retint.

- Accepterais-tu de…, commença-t-il en chuchotant, dormir avec moi ?

Il plongea son regard dans le sien pour y guetter une réponse. Sa demande pouvait sembler déplacée, mais il n’avait pourtant aucune arrière-pensée, il avait simplement besoin de son contact pour revenir pleinement à lui et pour trouver le sommeil.

- Ce n’est pas pour…voulut-il s’expliquer.

- D’accord.

- De ?

- Ta présence me fait du bien, je n’arriverai pas à dormir seule dans ma chambre, avoua-t-elle avec les joues légèrement teintées.

Il lui sourit, puis la guida jusqu’à sa chambre et la laissa rejoindre la salle de bain attenante tandis qu’il retira ses vêtements pour mettre un short en guise de pyjama. Lorsque la porte s’ouvrit, il découvrit Feng vêtue uniquement de ses sous-vêtements et ne put s’empêcher d’admirer son corps malgré les nombreuses cicatrices qui témoignaient la dureté de l’entraînement subi. Un pansement recouvrait sa récente blessure à l’abdomen, mais ce qui l’interpella, au point de s’avancer jusqu’à se tenir à quelques pas d’elle, fut son tatouage. Pour la première fois, il le voyait en entier. Il fit glisser ses doigts sur les chaînes qui enroulaient son poignet et remontaient le long de son bras, puis caressa ensuite la large bande noire et son inscription en russe « Par la lame nous vivons, par la lame nous mourrons. ». Shu-Fang continua de parcourir le tatouage du bout des doigts jusqu’à remonter sur sa poitrine où un Phénix déployait majestueusement ses ailes. Il admira le mélange des couleurs et la finesse des traits, puis releva la tête pour croiser le regard de Feng où ses émotions reprenaient vie.

- Est-ce que tout sera différent après ? murmura-t-il sans la quitter des yeux.

- De ?

- Est-ce que tout sera différent si je t’embrasse ?

- …

Les mots de Feng moururent sur les lèvres de Shu-Fang. Il posa sa main au creux de ses reins et l’autre sur sa joue, puis continua de l’embrasser avec douceur. Il sentit son cœur battre plus fort et son corps se rapprocher du sien, mais il reprit ses esprits et s’écarta.

- Je suis un papillon ayant perdu ses ailes, un papillon qui veut voler, lui confie-t-il. Avec toi je peux de nouveau le faire, avec toi le néant disparaît. Il y a encore beaucoup de choses que l’on ignore l’un sur l’autre, mais l’avenir est tellement incertain que je ne veux pas regretter d’avoir voulu attendre le bon moment, avoua-t-il sans la quitter des yeux. Allons dormir, tu me répondras plus tard si tu le souhaites.

Il fit le tour du lit et s’allongea sous la couverture tandis que Feng resta debout à réfléchir à ce qui venait de se passer. Elle toucha ses lèvres du bout des doigts où la sensation de celles de Shu-Fang y était encore imprimée.

- Viens.

Elle fit un pas, puis un autre et s’installa dans le lit à côté de lui. Son corps frôla le sien et un frisson la parcourut. Elle ne savait pas comment réagir, quel comportement adopter et quoi penser. Elle allait avoir besoin d’un peu de temps pour faire le point et savoir ce qu’elle voulait vraiment. Heureusement, Shu-Fang était compréhensif et à l’écouter de ses besoins. Ils s’endormirent l’un à côté de l’autre dans un sommeil profond et réparateur.

Feng fut réveillée par la voix de Ming qui l’appelait. Elle ouvrit les yeux et vit sa main posée sur le torse nu de Shu-Fang qui dormait paisiblement. Elle se leva, remit ses vêtements, puis quitta la chambre discrètement. Elle retourna dans la sienne où elle prit une douche pour se débarrasser des dernières traces de sang.

- Salut, dit-elle froidement à Ming en arrivant dans le salon.

- Tu es là, s’exclama-t-il soulagé.

- Que se passe-t-il ?

Il s’approcha et lui fit lire un article sur son smartphone.

- Xie Tao l’a lu ?

- Il dort encore.

- Réveille tout le monde pour une réunion d’urgence.

Il acquiesça et alla frapper à chaque chambre. Dix minutes plus tard, Dragon était rassemblé autour de la table sur laquelle le petit-déjeuner avait été servi. Feng, un café entre les mains, relisait l’article en attendant que l’équipe émergente de leur brusque réveil.

- Que se passe-t-il ? demanda finalement Xie Tao.

- Une nouvelle vient de tomber : la compétition se jouera dans la nouvelle version du jeu, annonça-t-elle.

- Mais elle est sortie il y a tout juste une semaine ! se plaignit Lenny.

- Ils ont le droit de faire ça ? questionna Tsao Wu.

- J’ai relu le règlement, il est stipulé que les organisateurs peuvent exiger qu’une compétition se poursuive avec la version la plus récente si celle-ci est sortie une semaine avant la prochaine phase de la compétition, expliqua Feng désarçonnée face à la nouvelle.

- Nous n’avons que très peu jouer avec la nouvelle version, fit remarquer Duàn Li-Wei paniquée.

Elle était déjà stressée, c’était sa première compétition professionnelle et l’annonce de ce changement lui donnait envie de pleurer. Tsao Wu, assit à côté d’elle, lui tapota le dos pour la réconforter, mais tous étaient abattus. Une nouvelle version du jeu demandait des heures d’entraînement pour maîtriser toutes les nouvelles fonctions et pour ajuster leur technique, sauf qu’ils n’avaient que deux jours devant eux.

- Vous allez y arriver ! les encouragea Feng.

- Nous pouvons le faire, ajouta Ming. Ne nous laissons pas déstabiliser !

Sans le mental, même le meilleur joueur du monde s’effondrait et Feng était fière de voir la détermination briller dans les yeux de Dragon, cela la confortait dans sa décision de les quitter.

- Finissez de manger et je vous emmène prendre l’air avant de commencer votre entraînement intensif.

Ils acquiescèrent et se dépêchèrent de terminer leur repas pour ensuite aller se préparer. Shu-Fang sortit finalement de sa chambre, rejoignit la cuisine où il se servit une tasse de café et alla se placer devant la fenêtre pour admirer la ville.

- Nous allons sortir, le prévint Feng en se tenant à ses côtés.

- Deux hommes nous accompagneront et d’autres seront en arrière.

- Bien.

- Est-ce que ça va ? lui demanda-t-il en la voyant s’éloigner.

- J’ai juste un mauvais pressentiment, avoua-t-elle, mais elle en fit abstraction pour le bien de l’équipe.

Lorsqu’ils furent prêts, Feng les emmena au bord de la Volga : le plus long fleuve d’Europe. La vue y était apaisante malgré les bruits environnants de la ville, mais les joueurs s’en accommodèrent et profitèrent des quelques rayons de soleil.

Feng observa le paysage sans le petit frisson qu’elle avait l’habitude de ressentir en marchant dans les rues de Moscou. C’était le signe que sa place n’était plus ici et qu’il était temps pour elle d’en finir avec son passé.

- Xenia !

Elle empoigna immédiatement le manche de son couteau qu’elle portait toujours sur elle en entendant son prénom de naissance.

- Xenia, Xenia, Xenia, tu n’aurais jamais dû revenir ! ironisa une voix qu’elle n’eut aucun mal à reconnaître.

Un homme grand aux muscles développés vêtu d’un long manteau noir se leva du banc sur lequel il était assis et s’avança jusqu’à se tenir devant Feng.

- Clarence, dit-elle froidement en serrant les dents.

- Et bien, et bien, et bien, qu’avons-nous là ? ricana-t-il en caressa du bout des doigts son visage.

Shu-Fang fit un pas en avant pour s’interposer, mais Feng l’arrêta de son bras.

- Et bien, répéta-t-il, tu as un toutou obéissant. Dommage que tu n’aies pas été aussi docile étant plus jeune.

- Je n’ai jamais aimé me soumettre, répliqua-t-elle.

- Voilà qui est déroutant, tu étais pourtant bien docile quand ils se sont occupés de toi.

Il rit et Feng se retint de ne pas lui trancher la gorge. Clarence était le premier fidèle de son père depuis de nombreuses années. Sa position au sein de l’organisation avait engendré une compétition entre eux pour savoir qui satisferaient le plus le parrain de la mafia et Feng avait lamentablement échoué.

- Que veux-tu ? demanda-t-elle en conservant son sang-froid.

- Simplement te saluer. J’ai su que tu étais de retour pour quelque temps, il était naturel que je vienne à toi avant que tu finisses comme ce lapin, répondit-il sans se défaire de son sourire de fierté.

Feng comprit immédiatement la teneur de ses paroles et exerça un puissant contrôle sur elle-même pour masquer ses émotions.

- Tu croyais réellement pouvoir quitter le pays aussi facilement ? Xenia, tu es toujours si naïve. Tu penses réellement que nous t’aurions laissé t’implanter à Shanghai sans moyen de te ramener ? Crois-tu réellement que le parrain n’a aucun pouvoir en dehors de la Russie ? Je vais te dire un secret, déclara-t-il en se penchant vers son oreille pour qu’elle seule entende, la Triade 14K est sous nos ordres.

Il se recula et se mit à rire tel un fou. Les membres de Dragon qui écoutaient l’échange sans être en mesure de le comprendre eurent soudain peur de cet homme qui dégageait une aura menaçante.

- Tu ne dis plus rien ? Tu fais moins la fière tout d’un coup. Tu n’es pas à la hauteur, tu n’es pas faite pour ce monde. Regarde-toi, si faible… Quel gâchis, soupira-t-il. Heureusement, nous pouvons encore nous rabattre sur ta progéniture. Elle sera peut-être plus coopérative.

Un goût métallique envahit la bouche de Feng alors qu’elle essayait de résister à l’envie de le tuer.

- C’était un plaisir de te revoir Xenia, à une prochaine ! Pense à saluer tes Hommes et ta fille de ma part, dit-il en s’éloignant en riant.

Feng lâcha son couteau qu’elle tenait fermement, puis proposa d’aller manger dans un restaurant comme si rien ne s’était passé. Dragon ne posa aucune question, car ils ne comprenaient pas le russe, en revanche ce n’était pas le cas de Sacha et de Shu-Fang. Le premier posa simplement sa main sur l’épaule de sa marraine en guise de soutien. Shu-Fang, quant à lui, eut la sensation d’être un étranger dans le monde où sa famille et Feng évoluaient avait aisance. Il réalisa que sa carrière d’idol le mettait inévitablement en retrait et que c’était lui qui l’avait choisi. Pourquoi avait-il tant voulu s’éloigner de ce monde en dépit de sa famille et de qui il était réellement ? Il n’avait pas encore la réponse, mais le moment venu il savait qu’un choix s’opposerait à lui.

Ils entrèrent dans le restaurant et le découvrirent vide : Feng avait privatisé l’endroit pour assurer leur sécurité. Le propriétaire les salua, leur indiqua leur table et Feng commanda pour tout le monde des plats typiques du pays.

Elle profita du temps de la préparation pour sortir de table et se diriger vers les toilettes sans y entrer. Elle se tint derrière un paravent et sortit son téléphone pour contacter le bâton rouge de la Triade Huo, Shi Shen.

- J’écoute.

- La situation se complique.

- À quel point ?

- Le premier fidèle du parrain de la mafia russe est venu à ma rencontre, annonça-t-elle sans prêter attention à ce qui se passait à la table. La Triade 14K travaille pour eux, ils ont pour ordre de me ramener auprès du parrain. Ma fille est également en danger, s’ils la récupèrent…

Elle ne put finir sa phrase : un haut-le-cœur la saisit à l’idée d’imaginer ce qu’ils feront à Yeva s’ils mettaient la main dessus. Elle ne doutait pas que son père ferait tout pour la rendre obéissance à chacun de ses ordres, au point de lui laver le cerveau et de lui ordonner de tuer sa propre mère.

- Votre fille est en sécurité, l’Ancien y veille, la rassura-t-il. N’agissez pas, vous ne devez pas commencer cette guerre.

- La guerre a déjà débuté.

- Pas encore, ils ne font que vous tester dans l’espoir que vous fassiez une erreur qui pourra vous coûter la vie, rectifia Shi Shen. Ils comptent sur votre connaissance du fonctionnement de la mafia russe et sur votre relation avec le parrain pour vous faire commettre une erreur. Gardez la tête froide Liu Feng, pour votre survie, celle de votre fille et de votre organisation.

- Combien de temps dois-je attendre ?

- Jusqu’au moment venu.

- Quand sera-t-il ?

- Vous le saurez lorsqu’il arrivera. En attendant, vous devez rester alerte, garder le contrôle sur vos émotions et vous tenir prête.

- Très bien, conclut-elle avant de raccrocher.

- Explique, ordonna Shu-Fang en apparaissant devant elle.

- Plus tard, esquiva-t-elle.

- Non, grogna-t-il avec un regard glacial. Maintenant.

Les conversations autour de la table se turent, puis le bruit d’une chaise qui grinça sur le sol se fit entendre et Ming les rejoignit derrière le paravent. Feng maintint le regard de Shu-Fang. Baisser les yeux s’apparenterait à de la soumission et comme elle l’avait dit à Clarence, elle n’aimait pas se soumettre, elle n’était pas née et n’avait pas été éduquée pour être inférieur aux autres.

- Plus tard, répéta-t-elle d’un ton sans appel.

Shu-Fang fit un pas vers elle sans jamais la quitter des yeux, il n’y avait plus la moindre trace de tendresse dans leur regard, seulement de l’animosité et de l’arrogance. Ming assista à la scène sans avoir conscience de ce qui se jouait devant lui, il avait simplement un goût amer dans la bouche qui faisait écho à la jalousie qui le dévorait. Malgré la gifle qu’il avait reçue de Feng, il continuait de se montrer insistant et dévoué.

- Que se passe-t-il ? osa-t-il demander.

- Rien qui te concerne, répondit Shu-Fang toute forme de politesse envolée.

Ils se toisèrent encore durant plusieurs longues secondes, puis ils reprirent leur place respective autour de la table où l’ambiance y était soudain devenue plus lourde.

Feng prit sur elle pour ignorer la présence de Shu-Fang à ses côtés, qui était blessé par son manque de confiance à tel point qu’elle lui cachait de précieuses informations, et le regard accusateur de Ming en face d’elle. Elle avait l’impression d’être continuellement dans le mensonge, de filtrer sa personnalité et de vivre une vie qui n’était pas la sienne. Cela l’épuisait et même si Dragon et son rôle de manageuse avait une certaine important, elle avait hâte de voir son dernier jour auprès d’eux arriver.


Texte publié par Aihle S. Baye, 23 juin 2024 à 15h03
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